la feuille volante

Sagesse

N° 1454- Avril 2020.

 

Sagesse – Verlaine.

 

Ce recueil, paru en 1881 à compte d’auteur, a été écrit par Verlaine (1844-1896) soit en prison soit après la captivité. Il témoigne de son retour à résipiscence, un itinéraire intime vers Dieu. Quand il en commence la rédaction, nous sommes en juillet 1873, Verlaine a perdu son poste à l’Hôtel de ville de Paris, s’est remis à boire et après avoir tiré sur Rimbaud avec qui il a eu une liaison tumultueuse, il est en prison à Bruxelles puis à Mons et évoque sa geôle (« Le ciel est par dessus le toit »), se désole de son sort, se posant en malheureux (« Gaspart Hauser chante ») . Elles sont loin les bonnes résolutions et les serments d’amour exprimés dans « La bonne chanson »(1870) dédiée à Mathilde qu’il a épousée quelques mois et où il rêve d’une vie paisible avec elle. Pourtant il les réitère, entre habileté en candeur (« Écoutez la chanson bien douce ») mais, malmenée par son mari, elle obtiendra leur séparation puis le divorce plus tard. Libéré, il poursuivra un parcours chaotique entre scènes violentes, condamnations pénales, rechutes dans l’alcool, séjours à l’hôpital, liaisons houleuses, errances puis reconnaissance de ses pairs comme « Prince des poètes » en 1894, mais il meurt dans la misère. Ce recueil, publié après une longue période de silence, a été publié dans l’indifférence générale et il faudra attendre la mort de l’auteur pour qu’il soit reconnu comme un chef-d’œuvre puisque notamment on y retrouve toute la musique du vers de Verlaine.

 

Revenons à ce recueil qui atteste de sa conversion religieuse. Est-ce un authentique parcours mystique comme on l’a dit, une tentative de résilience, l’usage de l’écriture comme un exorcisme face à l’adversité ? Je note, même s’il existe des vers d’une métrique différente, que l’usage majoritaire de l’alexandrin dans ce recueil peut donner une note de sincérité dans sa démarche. Sa scansion a quelque chose de religieux, à tout le moins à mes yeux. Abandonné, emprisonné, il débute son recueil par une sorte d’allégorie médiévale où le Malheur, la souffrance, l’ont aidé à connaître l’amour divin(« Bon chevalier masqué ») puis c’est un dialogue entre Dieu et son âme humble de pécheur, (« Mon dieu m’a dit ») et, à longueur de poèmes, il confesse sa faiblesse, chasse les péchés pour privilégier obéissance à Dieu et louer son action (« Ah, Seigneur, qu’ai-je ? Hélas »), évoque la foi catholique, en appelle à Marie, aux chrétiens célèbres, à la foi des bâtisseurs de cathédrales…

 

J’en reviens à la question posée. Il n’est évidemment pas question de nier le chef-d’œuvre que l’auteur nous a laissé, ni l’immense apport qui fut le sien à la poésie. Il est, lui aussi, à mes yeux un exceptionnel serviteur de notre belle langue française et redécouvrir la poésie à travers lui est toujours une démarche enrichissante. Verlaine était baptisé, élevé dans une famille bourgeoise catholique. Même s’il a un peu oublié le message religieux avant son incarcération, il est parfaitement plausible que, dans l’état de déréliction qu’il connaissait alors, il se soit tourné vers Dieu. Cette expérience n’est pas unique, bien au contraire et elle a même donné de grands mystiques, mais dans son cas, la liberté retrouvée, il a renoué avec ses vieux démons. On peut toujours changer d’avis, certes la chair est faible, mais quand même !Fut-il sincère dans sa démarche vers Dieu. C’est possible et cette sorte d’extase spirituelle qui apparemment fut la sienne eut des prolongements dans sa volonté de reconquérir sa femme («Écoutez la chanson bien douce »)et ainsi de rentrer dans le rang de l’époux traditionnel, d’avoir avec Rimbaud des relations plus apaisées (« Aimons-nous en Jésus » lui écrit-il, tentant vainement de le convertir), et d’effectuer un séjour à l’abbaye de Chimay, mais il est possible aussi que ce parcours vers Dieu ait atteint ses limites et l’ait déçu. Verlaine était un poète, certes peu célèbre et reconnu seulement sur le tard mais qui aspirait à la consécration. Qu’il ait puisé dans cet épisode délétère de sa vie pour nourrir sa créativité n’a rien d’exceptionnel et cela peut mettre en lumière la force cathartique de l’écriture qu’il ne faut pas négliger. Il a publié ce recueil chez un éditeur catholique et non chez Lemerre comme précédemment, sans doute pour donner plus d’ampleur à son message.

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 
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