Colin Niel
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Seules les bêtes
- Par hervegautier
- Le 03/01/2018
- Dans Colin Niel
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La Feuille Volante n° 1200
SEULES LES BÊTES – Colin Niel – Rouergue noir.
Dans le Causse, Évelyne Ducat, l'épouse parisienne et sophistiquée d'un riche homme d'affaires revenu au pays, a disparu lors d'une randonnée en plein hiver. On n'a retrouvé que sa voiture au pied de ce plateau où ne vivent que des hommes seuls, des agriculteurs ou des éleveurs. Pourtant, dans cette région tout se sait, même si les gens sont un peu taiseux, surtout vis à vis des gendarmes, tous ont leur vie plus ou moins liée à cette histoire. Pourtant on accuse la « tourmente », cette tempête légendaire qui tue comme une malédiction mais en réalité l'enquête est au point mort et cette disparition sans corps ni victime, qui ressemble de plus en plus à un meurtre, met la maréchaussée dans l'embarras.
Dans un style populaire et même rural voire « couleur locale » africaine, l'auteur nous fait partager, avec pas mal de quiproquos, une tranche de vie de cinq personnages pas forcément suspects, où chacun laisse aller son imagination, ses fantasmes et surtout sa peur de l'autre. Alice tout d'abord, assistante sociale à la mutualité agricole dont le métier est d'assister les agriculteurs dont beaucoup se suicident à cause de la solitude, du métier qui évolue trop vite ; son couple bat de l'aile et elle se croit autorisée à le saborder en prenant Joseph, un de ses clients qui n'a vraiment rien de plus que son mari, comme amant. Elle aurait quand pu choisir mieux ! Mais il se pourrait bien que son époux, Michel, victime de cette femme volage, naïf et désespéré au point de se laisser attiré par le miroir aux alouettes que notre société invente et entretient chaque jour, avec, il est vrai la complicité active d'internet, ait un lien avec la disparition d’Évelyne d’autant plus qu'il semble, lui aussi, avoir choisi la fuite. Joseph, cet éleveur célibataire taiseux et renfrogné, qu'Alice a choisi pour tromper son mari, a un lourd contentieux avec les Ducat, d'anciens voisins avec qui sa famille ne s'est jamais entendue. Lui aussi a un bon mobile mais j'avoue avoir assez mal compris son attitude au cours de cette affaire, victime lui aussi de cet imbroglio. Il y a aussi les naïfs, comme Maribé, cette parisienne un peu déjantée qui vient dans les Causses pour se mettre au vert, ceux qui croient que l’âme sœur existe et sont persuadés de l'avoir rencontrée, les paumés, les malchanceux qui croient ce qu'ils voient parce que leur vie est tellement morne qu'ils sont prêts à la jouer à pile ou face avec le premier venu, ceux qui voient dans l'adultère la solution à tous leurs maux, ceux qui, comme Michel, croient au grand amour qui bouleverse la vie et la rend plus belle, qui font une confiance aveugle à leurs proches en faisant semblant de croire qu'ils ont raison, ceux que la vie ballote entre illusions et espoirs, toujours déçus, ceux qui, comme Armand, cet africain minable qui, depuis son pays et grâce à internet, exploitent cette crédulité. C'est aussi un voyage entre les Causses balayées par le vent et la neige et l'Afrique de l'ouest surchauffée, mais peut-être, plus qu'un polar, c'est aussi une critique de notre société où le virtuel prend de plus en plus le pas sur le réel, devient de plus en plus la règle ordinaire, avec le merveilleux qui l'accompagne.
Ce roman est plein de suspens bien que le scénario criminel, intéressant au début, m'a paru au fil du texte un peu faible et même secondaire. Il met surtout en exergue, à travers l'étude des différents personnages, la solitude de chacun de ceux qui sont évoqués, une solitude pesante et prégnante dans laquelle chacun retombe, son moment de gloire passé et qui sert de terreau à l'arnaque. Je note aussi cette culpabilité judéo-chrétienne dans laquelle l'occident se complet à propos de n'importe quoi et aussi sans doute le degré d'isolement face à l'incompréhension et à l'indifférence des autres au moment où l'on nous rebat les oreilles avec le « vivre ensemble ». La folie existe et aussi le droit à l'erreur, le tout donne un roman assez éloigné du polar, sauf peut-être dans le style d'écriture.
© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]