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la feuille volante

Hervé Le Tellier

  • Le nom sur le mur

    N°1928 – Septembre 2024.

     

    Le nom sur le mur – Hervé Le Tellier – Gallimard.

     

    A la recherche d’une maison en Provence, l’auteur, trouve une vieille bâtisse avec un nom inconnu gravé maladroitement sur le vieux crépis. C’est pour lui le début d’une quête qui le met en présence de quelques photos présentant un jeune homme d’une vingtaine d’années, André, mort en 1944 face aux Allemands et dont le nom figure sur le monument de la commune. Ces maigres reliques le montre enlaçant sagement une jeune fille, Simone, et attestent l’avenir qu’elles portent parce que ce qu’on demande avant tout à la vie c’est d’être heureux et qu’à cet âge tout est possible. Mais le destin qu’on ignore en a décidé autrement et la vie ne tient pas toutes les promesses auxquelles on fait semblant de croire. André tombera sous les balles ennemies, Simone se mariera plus tard avec un autre mais confiera à sa fille ces fragiles clichés parce que, si la vie continue, le papier glacé a conservé trace de ces moments heureux avec, pour ceux qui restent, un sentiment d’injustice et l’inévitable mais inutile sentiment de culpabilité.

     

    L’auteur ne peut évoquer cette histoire intime sans la remettre dans son contexte historique de l’Occupation, de la guerre, de la Résistance et de la collaboration qui par ailleurs met en évidence le côté sombre de l’être humain ordinaire et en révèle les tristes facettes qu’on se dépêche d’oublier mais que des circonstances « exceptionnelles » suffisent à révéler. Il revient à son sujet à travers l’histoire d’André, destiné au STO eu égard à son âge et qui gagne le maquis. Son engagement patriotique lui sera fatal.

     

    J’ai lu sans désemparer ce livre fort bien écrit non seulement parce qu’il est un témoignage d’autant plus émouvant qu’il est agrémenté de photographies, mais aussi parce qu’il fait revivre, l’espace de quelques dizaines de pages, la mémoire d’un de ceux, anonymes, qui sont morts pour que nous soyons libres. André figé dans la mort aura toujours vingt ans, ne connaîtra ni décrépitude de la vieillesse ni les nombreuses déceptions dont l’existence n’est pas avare. A titre personnel, j’apprécie qu’un écrivain profite de sa notoriété pour faire revivre la trace d’un de ces héros oubliés.

     

  • L'herbier des villes

    N°1862– Avril 2024.

     

    L’herbier des villes – Hervé Le Tellier – Textuel.

     

    J’ai pris ce livre un peu au hasard sur les rayonnages de la médiathèque, un peu aussi de confiance à cause du nom de l’auteur dont j’avais apprécié la très oulipienne « Anomalie » couronnée par le prix Goncourt 2020. J’ai cru avoir emprunté un livre pour enfants à cause des « illustrations » mais en réalité ce livre est le résultat d’une collecte que l’auteur a réalisée avec son fils en 2005 dans le 18° arrondissement de Paris, un peu en hommage au génial Georges Perec. Il a présenté le résultat de sa triste récolte d’objets abandonnés sur la chaussée avec des haïkus. A la réflexion, cela pourrait parfaitement être un livre pour enfants, pour les sensibiliser à une des incivilités qu’il vaut mieux éviter si on veut favoriser le « vivre ensemble » dont on nous parle souvent. Cela ne coûte effectivement rien de jeter dans une poubelle ces petits objets dont on veut se débarrasser plutôt que de les abandonner sur la voie publique. Par dérision ou par humour Le Tellier à baptisé son livre du nom « d’herbier » comme ce qui nous était demandé jadis par les instituteurs pour apprendre les plantes de la nature. Cela consistait à présenter fleurs et herbes séchées dans un cahier documenté et ainsi apprendre par nous-mêmes ce qui composait notre environnement. C’est bien le nom qui convient en effet puisque nos trottoirs offrent tout un panel d’objets devenus inutiles qui font partie de notre décor urbain. On devrait même dire un « urbier » ! Le haïku, par sa simplicité de rédaction (5-7-5) et surtout parce qu’il ne dit pas, convient bien à cette démarche négative, révélatrice d’un état d’esprit de plus en plus développé chez nos contemporains qui, se croyant tout permis, transforment aisément en décharge publique la moindre parcelle de territoire. La nature humaine est décidément peu fréquentable. C’est certes oulipien mais c’est aussi le rôle de l’écrivain d’être témoin de son temps !

    C’est une sorte d’inventaire où on trouve pêle-mêle une collection qui va de cannettes écrasées, aux billets froissés de cinéma, en passant par les PV pour stationnement interdit, ou un foulard de soie où une femme a laissé son parfum…J’ai pensé que s’il avait fait un vrai herbier, rural celui-là, il aurait sans doute été moins fourni que celui que jadis les potaches studieux réalisaient puisque, à force de jeter des objets dans la nature, cette dernière a fini par dépérir à cause des détritus qu’on y déverse. C’est malheureusement le résultat de notre comportement qui détruit autour de nous la flore et la faune sauvages et on est fondé à se demander le but de tout cela et la raison de ce qui n’est pas autre chose qu’une volonté irrationnelle d’autodestruction.

     

     

     

  • l'anomalie

    N° 1536 – Mars 2021

     

    L’Anomalie – Hervé Le Tellier – Gallimard (Prix Goncourt 2020)

     

    Franchement je ne m’attendais pas à cela quand j’ai ouvert ce roman dont on peut ainsi résumer l’intrigue : Un avion d’Air France assurant la liaison Paris-New York se pose en juin 2021 sur le territoire américain avec ses 200 passagers. L’ennui, c’est que ce même avion, avec ses mêmes passagers s’est déjà posé en mars de la même année, soit une centaine de jours avant à New York. Devant ce mystère, les États-Unis ont pris la décision de retenir l’appareil sur une base militaire en attendant une explication de ce phénomène. C’est déjà assez étrange mais ce n’est que le début. Entre un voyage dans l’espace-temps, un film d’anticipation si on veut le voir ainsi et « une rencontre du troisième type » le lecteur se voit imposer des explications scientifiques incompréhensibles et c’est tout à la fois un roman psychologique aux multiples et étranges personnages face à eux-mêmes, qui sont « dupliqués » et qui se demandent s’ils sont le double ou l’original d’eux-mêmes, une œuvre de science-fiction ou un thriller. En fait c’est une sorte de mosaïque de genres avec tout ce que cela pose comme problèmes religieux, politiques sociologiques, humains...Et pour compliquer encore davantage les choses, ce roman s’inscrit dans un contexte bien actuel avec des noms et  «  toute ressemblance avec des personnes… » ne ne saurait être une coïncidence. Entre ces personnages, leur « double », leurs préoccupations, leurs amours, leurs espoirs, c’est un jeu de miroirs, un concept de gémellité où ils se retrouvent brusquement avec un frère ou une sœur qu’ils ne connaissaient pas mais qui leur ressemblent tellement qu’ils sont eux-mêmes, des enfants qui se retrouvent avec deux mères ou deux pères, des maris avec deux épouses, des situations entre extraordinaire et invraisemblable où l’ordre des choses est bousculé, sous le regard et le contrôle des psy et des policiers. Le passé ressurgit, où le mensonge qui est le propre de l’espèce humaine n’a plus cours, des vies multipliées, partagées et aussi un peu volées. Avec le décalage dans le temps, les circonstance sont courtelinesques mais aussi parfois paradoxales et dramatiques. Les gens voient leur double dans le passé, connaissent leur avenir immédiat mais ne peuvent peser sur le cours des choses, des secrets se dévoilent, des certitudes tombent, la mort marque une pause ou un répit, mais pas la souffrance qui avec son cortège de rage, d’horreur et d’impuissance prend ses marques et ouvre le chemin à la Camarde qui dès lors prélèvera un double tribu sur la vie…Une manière sans doute de nous rappeler que nous avons une face cachée, une vie secrète, des espoirs impossibles, un misérable petit tas de secrets comme le disait Malraux...

    Au fur et à mesure de cette histoire extraordinaire, les personnages qui nous ont été présentés au début sous forme d’une énumération à la Prévert, sans qu’on sache très bien ce qui allait leur arriver et surtout pourquoi certains avaient soudain affaire à la police, jouent leur rôle ou plus exactement voient leur vie bouleversée sans qu’ils y puissent rien. Ils sont comme des marionnettes dans ce grand théâtre d’ombres qu’est la vie, mais ne le sommes-nous pas tous nous-mêmes au fil de notre quotidien? Grace aux réseaux sociaux la chose prend soudain une ampleur mondiale, les fanatiques religieux se mettent de la partie avec l’incontournable châtiment divin, les philosophes en rajoutent sur le thème de l’existence, du virtuel, de la simulation, de la duplication, on reparle du réchauffement de la planète et de la liberté de pensée, d’informer dans un monde devenu fou où l’instinct grégaire anesthésiant est dominant et où les humoristes tentent de calmer le jeu parce qu’il faut rire de tout et que c’est notre seul arme. Cela amène l’auteur à se poser une question fondamentale sur nous-mêmes, sur notre existence au sens philosophique du terme, le monde qui nous entoure est-il réel et nous-mêmes ne sommes nous pas autre chose qu’une simulation, qu’un banal programme informatique, un peu comme s’il n’y avait pas que les personnages de romans qui sont virtuels.

    Il y a quand même un cas original dans cette somme d’originalités, celui de Victor Miesel, écrivain ayant écrit un roman intitulé « l’anomalie ». Je me suis dit que ça me rappelait quelque chose et au début j’ai hésité entre un clin d’oeil, une somme de remarques sur la notoriété qui tarde à venir et une mise en abyme. Le premier Victor a pris l’avion de mars puis s’est donné la mort ensuite, ce qui permet selon le processus la duplication à un second Victor mais qui maintenant est seul, de recueillir la notoriété grâce à son livre.

     

    J’ai lu avidement cette histoire bien écrite, érudite et passionnante malgré son côté échevelé mais qui, par bien des côtés m’a rappelé le monde dans lequel nous vivons actuellement. J’ai tenté de ne pas perdre de vue que nous sommes nous-mêmes à la fois dans l’irrationnel, l’anxiété, l’absence de boussole et d’espérance, que nous sommes des êtres souffrants et surtout mortels dans un monde où on marche sur la tête en permanence, mais en me répétant que nous avons tous, dit-on, notre sosie et que nous serions peut-être bien surpris d’en faire la connaissance si d’aventure nous le croisions.

    Je ne suis pas spécialiste de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) auquel notre auteur est un adhérent passionné, mais ce roman me paraît s’inscrire dans une tentative de littérature inventive. Que la vie reprenne son cours normal à la fin comme une parenthèse qui se referme, comme si rien ne s’était passé, que les mots eux-mêmes s’évanouissent dans une sorte de calligramme ou dans un tourbillon qui les avale comme un rêve qui se dissipe au matin, me paraît conclure cette histoire un peu folle mais qui nous interroge. Puis j’ai refermé le livre qui restera sans doute dans ma mémoire grâce à sa singularité. Diaghilev disait à Jean Cocteau « Etonne-moi, Jean ». Je ne suis qu’un simple lecteur, habitué aux romans traditionnels, mais devant cette expérience originale en matière d’écriture, j’ai vraiment été étonné.

  • JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT - Hervé LE TELLIER

     

    N°421– Avril 2010

    JE M'ATTACHE TRÈS FACILEMENT – Hervé LE TELLIER - Éditions Mille et une nuits.

     

    Avant de commencer un roman, je lis toujours l'exergue qui en fait partie. Ici, j'apprends que l'ouvrage emprunte son titre à une citation de Romain Gary. L'intérêt que je porte depuis longtemps à cet auteur m'incite à ouvrir le livre avec confiance. Et puis, cette expression me ressemble tellement que c'est sans doute bon signe. Moi aussi, je m'attache très facilement, mais laissons cela!

     

    L'histoire qu'il faut bien raconter, est banale si tant est qu'une histoire d'amour puisse l'être. Nous savons tous qu'elle est au contraire unique. L'homme, c'est « notre héros » et la femme « notre héroïne », cela me paraît un peu désincarné, j'aurais sans doute préféré des êtres nominatifs, mais laissons cela! Il a la cinquantaine, c'est donc « un homme mûr »(j'apprécie l'euphémisme qui cache un début de vieillesse avec ses rides, ses bourrelets et sa calvitie) qui pense encore qu'il est capable de séduction... et elle a vingt ans de moins que lui. « Notre héroïne » est donc jolie, elle est «  grande, élancée, possède de charmants petits seins ». Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle maîtresse fût laide et repoussante. Bien sûr, « notre héros » en est follement amoureux. Comment pourrait-il en être autrement? On n'est cependant pas très sûr que la réciproque soit encore vraie, même si le plaisir est encore au rendez-vous de leurs étreintes. Mais laissons cela!

     

    Notre homme a décidé de rejoindre cette femme en Écosse où elle est partie voir sa mère, mais sans pour autant y avoir été invité. Le rendez-vous de ce qui ressemble de plus en plus à une rupture, est fixé à l'embranchement de deux routes. C'est un symbole évident, mais laissons cela! Pourtant notre héros n'abandonne rien au hasard, il téléphone, prend l'avion, réserve pour lui seul une chambre d'hôtel, loue une automobile. C'est là que le lecteur, que le narrateur prend constamment à témoin, se rend compte que le titre est un jeu de mots, puisqu'il apprend que « notre héroïne » ne s'attache pas facilement, comprenez qu'elle ne boucle pas automatiquement sa ceinture de sécurité en voiture. Là aussi la polysémie est soit bienvenue, soit facile, c'est selon.

    Ce même lecteur comprend aussi très facilement que la tendresse ne fait plus partie du jeu et que l'espoir, pour lui, n'est plus permis puisque la décision de « notre héroïne » est apparemment sans appel, à cause sans doute de la lassitude, de l'usure des choses, d'une autre passade ou d'une autre passion. Mais laissons cela! Puis c'est le retour à Paris, non sans avoir fait un détour par le beau visage d'une autre femme plus jeune, mais tout aussi inaccessible pour « notre héros », la solitude qui revient et avec elle la vieillesse qui se fait plus pesante. Même s'il veut se jouer la comédie de la jeunesse et de l'avenir, il repense à Romain Gary.

     

    C'est donc une histoire comme tant d'autres, une page qui se tourne, une tentative de

    ravaudage sentimental et... un désastre annoncé!

     

    Je suis pourtant volontiers attentif aux manifestations de l'Oulipo dont l'auteur fait partie mais j'ai très modérément aimé le style haché de cette histoire pourtant courte.

     

    J'ai quand même préféré « assez parlé d'amour »du même auteur.[La Feuille Volante n°419]

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • ASSEZ PARLÉ D'AMOUR - Hervé Le Tellier

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

    N°375– Octobre 2009

    ELDORADO – Laurent GAUDE- Actes Sud.

    Ce sont deux portraits croisés que nous livre l'auteur.

    L'un, Soleiman, un Soudanais, va faire jusqu'aux barbelés de Ceuta, un chemin cahoteux vers l' Europe, son Eldorado, un monde qui, pourtant, ne veut pas de lui. Comme ses compagnons d'infortune, il porte le devenir de toute une famille et espère trouver là-bas du travail mais, il le sait, tous ne parviendront pas au bout de ce chemin. Il est comme les autres clandestins la proie de passeurs sans scrupule et de tous ceux qui font commerce de leur espoir, et lui qui était digne et fier au départ va se découvrir, tout au long de ce voyage, solitaire, égoïste, voleur... Sa vie et son projet en dépendent et son aventure est celle du chacun pour soi nonobstant la présence de Boubakar. Il ira pourtant jusqu'au bout de ce rêve.

    L'autre, celui du commandant Salvador Piracci qui protège depuis 20 ans les frontières de l'Europe sur les côtes de Sicile à la barre de sa frégate[« Vous êtes là pour garder les portes de la citadelle, vous êtes la muraille de l'Europe » lui a -t-on dit]. Son rôle consiste à repousser le flot toujours plus grand des candidats à l'exil qui viennent chercher en occident une autre vie, mais aussi à sauver de la mort ces malheureux abandonnés en pleine mer, sur des embarcations de fortune. Quand ils les aura ramenés à terre et remis aux autorités, ils seront renvoyés dans leur pays d'origine et la ronde recommencera. Nous avons tous dans un coin de notre mémoire leur image qu'un journal télévisé nous a, au moins une fois, donné à voir...

    Ce métier ne lui plaît guère mais, jusque là, il s'en est accommodé même s'il croisait, sans vouloir rien faire pour eux, le regard désespéré de ces hommes. Il décide pourtant de réagir à la suite de sa rencontre avec une femme rescapée d'une cruelle traversée et dont l'histoire l'émeut. Il va donc assumer ses contradictions et pour cela il quitte tout, au point de n'être plus personne, de n'avoir même plus d'identité et fait le chemin inverse de celui de Soleiman qu'il ne connaît pas, à la recherche, lui aussi, d'une autre forme d'Eldorado. Il endossera en quelque sorte le destin de ceux qu'il pourchassait!

    Lui aussi connaîtra des épreuves dans cette improbable quête et la fable, parce que c'en est une, réunira à la fin, ces deux hommes, sous l'égide de Massambalo, le dieu des émigrés et d'un collier de perles vertes, comme un talisman, comme un témoin que l'un passe à l'autre sans presque le toucher. Au bout du compte chacun trouvera ce qu'il cherche.

    C'est donc une histoire très actuelle que nous conte l'auteur dans un style agréable et fluide. Le livre refermé, j'ai pourtant un sentiment bizarre, quelque chose comme une sorte de malaise, de tristesse parce que les grandes et généreuses idées cèdent le pas devant les réalités [ On se souvient de Michel Rocard, alors Premier ministre, déclarant à la tribune de l'assemblée Nationale que la France ne pouvait prendre toute la misère du monde], mais aussi d'incrédulité au regard de l'attitude de Piracci et du dénuement qu'il a choisi. C'est une histoire qui emprunte à l'actualité son scénario, le commandant est certes seul au monde et sa liberté est entière, mais je ne suis pas sûr de la réponse qu'il apporte soit appropriée. Il me paraît que c'est plutôt une fuite, un aveu d'impuissance, quelque chose de peu constructif en tout cas!

    Soleiman est allé jusqu'au bout de son rêve, mais il me paraît que Piracci n'est pas parvenu au bout de sa révolte et le hasard a mis fin à une quête qui aurait pu avoir un épilogue différent! Au cours de cette histoire, tous les deux se sont découverts différents de ce qu'ils croyaient être et leur rencontre est véritablement improbable.

    Devant le problème éternel des pays riches qui, malgré les discours politiques officiels, se protègent des pays pauvres l'hypocrisie reste la réponse constante. Si Soleiman aura à coup sûr des imitateurs, je ne suis pas sûr que Piracci fasse des émules.

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com









    N°419– Avril 2010

    ASSEZ PARLÉ D'AMOUR – Hervé Le Tellier – Jean Claude LATTÈS.

    Ce titre était un peu engageant, après tout, les romans sont pleins d'histoires d'amour mais c'est aussi la dernière phrase du dernier chapitre qui revient ainsi comme un leitmotiv. Pourtant, le livre refermé, il apparaît que c'est une sorte d'antiphrase ironique puisqu'on pouvait penser qu'il n'y serait pas question d'amour, alors que, au contraire, c'est le thème unique de cet ouvrage où il n'est question que de cela! En réalité on se trompe, on se ment, on se quitte, on se croise et on tisse beaucoup d'histoires d'amour dans ce roman.

    Ce qui frappe d'abord c'est le temps bref (trois mois d'un automne plutôt chaud)pendant lequel se déroule ce récit. Le panel des personnages va de l'écrivain, à l'avocate célèbre, de l'analyste au scientifique connus... bref des intellectuels, mais aussi des notables parisiens, à l'abri des soucis d'argent, satisfaits d'eux-mêmes, comme il se doit. C'est surtout deux destins de femmes mariées, Anna et Louise, la quarantaine, mères de famille et heureuses. Elles se ressemblent sans se connaître et vont vivre deux amours semblables. Anna, pédopsychiatre mariée à un chirurgien,Stan, va croiser la route de Yves, l'écrivain et Louise, l'avocate, mariée à un scientifique, Romain, celle de Thomas qui est aussi l'analyste d'Anna. Thomas deviendra l'amant de Louise et Yves celui d'Anna. Ces deux passions adultères se recoupent donc avec pour toile de fond les maris auxquels elles n'ont pourtant rien à reprocher, qui sont amoureux d'elles et qui les protègent. Ils sont sans doute seulement les victimes de cette usure des choses, de cette envie d'ailleurs de leur épouse mais assurément ne méritaient pas cette épreuve... Quand ils finiront par comprendre ils en seront malheureux et peut-être aussi honteux [« Bien, dit Romain, pour résumer, je suis marié, nous avons des enfants, ma femme a rencontré un autre homme... Je suis très malheureux ». « Stan s'engloutit dans ce lent tourbillon qui le ramène soudain vers Anna, vers la pensée noire du corps nu d'Anna sous celui d'un autre, et l'image qui surgit le broie »].

    Pourtant elles se demandent si cet amant qui débarque dans leur quotidien et le bouleverse pourra être le nouvel homme de leur vie, avec toute la remise en cause que cela entraîne inévitablement. Ce sont, bien sûr des  liaisons potentiellement dangereuses puisqu'elles bousculent les certitudes établies, l'ordre des choses et ne laissent pas place, en apparence, à cette culpabilité judéo-chrétienne qui nous entoure. Tout cela est un peu compliqué d'autant que dans cette affaire il ne faut pas oublier les enfants. Ils ont toute leur place dans ce récit, même s'ils restent un peu en retrait. Le Tellier ne leur donne la parole qu'à la fin, notamment avec la métaphore d'Alice [« Oui, songe Anna, le Chat a raison, quand on ne sait pas où aller, le chemin n'a pas d'importance »].

    Louise et Anna, comme Thomas et Yves se croisent,(sans oublier les rencontres inévitable entre les amants et les maris cocus) Ce n'est peut-être pas si artificiel que cela et cela caractérise les personnages, pas si fictifs cependant. J'ai toujours plaisir à voir comment ils réagissent par rapport à l'auteur, j'aime imaginer l'usage qu'ils font de leur liberté... Yves, l'écrivain est un peu le double de Le Tellier et réagit probablement comme un auteur, surtout quand il écrit, pour les 40 ans d'Anna, un livre qui sera comme un cadeau et dont il sera évidemment question d'amour. Ce « livre dans le livre », c'est plus qu'une manière de mise en abyme, c'est une véritable trouvaille pleine d'émotions, de souvenirs.

    L'auteur s'interroge et interpelle son lecteur: A un âge où la vie semble définitivement tracée, où les choses sont établies, l'amour peut-il venir frapper, même sous la forme du « coup de foudre »qui autorise les folies, les espoirs, les remises en question, parce que le corps change, que le temps a passé et qu'on ne le rattrape pas, qu'on croit s'être trompé dans son choix d'avant, et que, pour cela on est capable de tout briser et de tout recommencer, malgré les convenances sociales, la honte, la culpabilité, les enfants qui nous jugeront plus tard... Avec aussi la certitude que l'être qui vous a préféré à un autre peut parfaitement remettre en cause, avec le temps, le choix qu'il a fait de vous!

    Il est aussi question de judéité dans ce récit mais aussi de dominos abkhases( et ce n'est pas un hasard tant les règles en sont compliquées mais Anna suggérera à Yves de substituer le titre initial prévu pour son livre « Tu parles d'amour dans ton livre...Alors met simplement « amour »), d'interrogations sur le langage, de la cryptobiose des tartigrades, des iguanes marins des Galapagos, de jalousie, d'hommage (celui que l'auteur rend à l'écrivain Edouard Levé qui s'est tué), de mort et de chagrin et de deuil.

    C'est vrai que c'est bien écrit, le style est fluide et agréable, avec un jeu sur les mots, où l'auteur joue sur l'ambiguïté du langage, les quiproquos, les lapsus(« fais-le pas » et « fais le pas »), parle, dans son roman, constamment d'amour,«  cette chose qu'on donne sans la posséder », une occasion unique pour Le Tellier, qui, un peu comme au théâtre, fait apparaître les personnage deux par deux, pour que, alternativement, ils se donnent la réplique. Leur rencontre a toujours quelque chose d'intime. Le contexte oulipien caractéristique ajoute de l'intérêt à tout cela !

    Une autre problématique se pose à l'auteur, celle de rencontrer son public. Avec ce roman, Il est permis de penser que oui!

    Je continuerai à suivre la démarche littéraire de cet auteur, son analyse de ces « vertiges de l'amour » m'a bien plu.

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com