Philippe Mascaro
-
Tarpeium
- Par hervegautier
- Le 27/08/2021
- Dans Philippe Mascaro
- 0 commentaire
N°1577 - Août 2021
Tarpeium – Philippe Mascaro – Éditions Pic de la Mirandol (et bookelis)
Qu'y a t-il de commun entre un photographe animalier, une petite fille à vélo, un énarque qui lorgne du côté de l’Élysée, son directeur de cabinet qui agit dans l'ombre et une aristocrate éditrice?
Le titre un peu énigmatique du roman évoque Rome, la colline du Capitole où les vainqueurs recevaient l'hommage de la Cité et la roche tarpéienne toute proche d'où on jetait les condamnés à mort, l'image du dilemme humain perpétuel entre célébrité et déchéance, souvent bien proches l'une de l'autre.
J'ai lu ce livre comme un roman de politique-fiction à propos d'une ascension aussi rapide que déloyale mais encore plus comme une étude psychologique de personnages, certes hors du commun parce qu'ils naviguent dans les sphères du pouvoir ou de l'argent, mais bien caractéristiques de l’espèce humaine cependant. La vie de chacun y est patiemment disséquée, avec la recherche de la lumière et de la notoriété indispensables à qui veut être au premier plan mais aussi les incontournables zones d'ombre, les aspirations, les ambitions souvent obsessionnelles et les manœuvres parfois douteuses, la pratique de l'opportunisme pour y parvenir. L'auteur nous propose un panel de personnages dont il analyse les motivations, l'attente inévitable de cette opportunité qui finit par arriver et qu'il faut impérativement saisir faute de laisser passer sa chance, les tractations en coulisses... Il décrit les équilibres fragiles qui président à toutes ces constructions personnelles, ces prestigieuses familles où les mariages de raison établissent des empires, ces luttes d'influence qui se développent à l'ombre des Institutions, ces amitiés qui ne résistent pas à une promotion, ces actions machiavéliques, ces jalousies dévastatrices, ces fêlures personnelles qui sont autant de possibles destructions dont le monde politique a le secret, ces alliances qui ne tiennent que par les pressions ou les accords de partis dont les calculs ne sont évidemment pas exclus et qui seront trahis à la première occasion au gré des opportunités.
Au départ Paul Louvel est un ministre très en vue et surtout présidentiable à gauche ; dans quelques mois il ne fait aucun doute que les élections le porteront à l’Élysée. A la suite d'un accord, d'une sorte dette personnelle, son ami et condisciple Jean-François Pesquet le suit comme son ombre. C'est ensemble qu'ils devront réussir, l'un dans la lumière, l'autre dans l'ombre et ce tandem fonctionne après les élections qui portent Louvel à l’Élysée. Un malheureux accident antérieur, mal géré par ce dernier l'a mis à la merci de Jacques Labouret, un photographe animalier inconnu et marginal que sa passion pour la photo met en situation de devenir incontournable et capable de faire basculer la carrière de Louvel en le jetant en pâture à l'opinion. De cette situation résulte un équilibre fragile qui perdurera pendant tout le quinquennat. Il est cependant constructif pour Labouret qui, à la surprise générale, obtient ce qu'il veut avec une apparente facilité en se mettant lui-même en situation d'être surveillé, sa vie personnelle disséquée par les "Renseignements intérieurs"et sondée pour déterminer les motivations de sa conduite. Pour lui aussi on perce évidemment "ce petit tas de secrets" dont parlait Malraux qui sont à la fois mystérieux et intimes et seront autant d'armes contre lui et dont le microcosme politique se servira le moment venu. Dans ce jeu de massacre politique, des têtes tombent, mais pas celle de Labouret qui résiste à cause de la peur qu'il inspire au Président. Ce dernier va même jusqu'à s’enchaîner volontairement à lui tant la tension est pour lui destructrice. Pesquet finit par s'expliquer cette situation pour le moins cynique et délétère mais cela complique encore les choses en générant sa propre culpabilisation tandis que Labouret exerce ses responsabilités avec un talent reconnu dans un monde où il est étranger mais où il s'insère de plus en plus, en demande encore davantage, mû par une vengeance personnelle autant contre le système que contre lui-même. Cela épaissit encore davantage le mystère qui enveloppe le photographe, cet homme venu de nulle part qui n'est même pas du sérail. Il ne cessera de conforter sa position politique dans les mois qui suivirent, jusqu'à la magistrature suprême.
Ce n'est pas un roman d'amour, tant s'en faut, mais l'amour n'en est pas absent, celui qui naît entre Jacques Labouret et Aurore de Lionne son éditrice, bien avant ces événements. Elle se préparait à renoncer à "un beau mariage" par attachement à cet homme solitaire et énigmatique. Pourtant cet amour est condamné, moins à cause du fossé social qui le sépare de cette femme d'affaires qui ne le comprend plus qu'à cause de la culpabilisation qui ronge Jacques et détruit tout ce qu'il pourra entreprendre pour la combattre et parce qu’il suit un autre voie où Aurore n’est plus. Les circonstances achèveront ce qui aurait pu être entre eux quelque chose de beau. Labouret en veut encore plus, en fait beaucoup en ce sens. Autour de lui, son ascension pose question, notamment à Aurore qui ne l'a pas oublié, mais sa démarche vers lui ne sert à rien puisqu'il ne peut rien lui avouer, prisonnier qu'il est de son propre secret, condamné désormais à conquérir le pouvoir. Le président est de plus en plus perdu dans ce maelstrom où son maître-chanteur détient les clés de ce jeu malsain.
Ce regard aiguisé de l'auteur ne se porte pas seulement sur le monde politique dont il est un observateur attentif, il inclut celui de l'édition où la réussite professionnelle, tissée à travers une démarche culturelle, financière et personnelle est un mode d’émergence différent mais bien réel et tout aussi sauvage. Il n'omet pas les difficiles démarches d'un auteur inconnu qui présente, sans beaucoup d'illusions, le fruit de son travail à un éditeur, ce qu'il peut ressentir à un refus comme à un accord et les relations qui peuvent exister entre eux, l’accueil parfois frustrant qui y est fait dans le public. On peut penser que, là aussi, son expérience personnelle a nourri son travail de réflexion et d'écriture.
J'ai lu avec plaisir ce roman passionnant, fort bien écrit, documenté et construit qui s'inscrit dans l'actualité en évoquant l'importance grandissante de l'écologie, le poids constitutionnel du Président, les attentats terroristes et l’insécurité, qui distille jusqu'à la fin un suspense de bon aloi et retient l'attention de son lecteur. Les analepses qui émaillent le texte sont les bienvenus pour la compréhension de situations personnelles parfois inattendues où les lâchetés, les non-dits, les coups-bas, les angoisses, les egos exacerbés viennent brouiller les pistes et font oublier l'intérêt général supérieur dont pourtant chacun se recommande hypocritement. Le rôle que chacun joue dans cette comédie humaine de la lutte pour le pouvoir est finement observé et analysé au scalpel. Il a une dimension générale et dépasse le cadre du palais de l’Élysée qui finalement ne sert que de décor.
Le livre refermé j’avoue que j’ai ardemment désiré connaître l'épilogue, même si le titre le laissait quelque peu entrevoir, mais cela intervient dans un registre bien différent de ce à quoi on peut s'attendre. J'ai retenu la force du hasard, celle du secret, la chance insolente qui accompagne Labouret, ce parcours basé sur des culpabilités, des hypocrisies et des trahisons, j'ai apprécié cette analyse de l'espèce humaine notamment dans son appétit de pouvoir et la licence qu'on s'accorde à soi-même pour y parvenir, j'ai repensé que, même s'il s'inscrit dans la fiction, un livre est univers douloureux, un exutoire, un exorcisme, des mots mis sur les maux. Je me suis remémoré mon mantra personnel qui dit que la politique, même si elle est un jeu pour initiés, est passionnante, mais ceux qui la font le sont assurément moins.
©Hervé Gautier - http:// hervegautier.e-monsite.com