Joris Karl Huysmans.
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Là-bas
- Par hervegautier
- Le 10/10/2024
- Dans Joris Karl Huysmans.
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N°1939– Octobre 2024.
Là-bas – Joris-Karl Huysmans Flammarion.
Je poursuis ma recherche sur Charles-Marie Georges Huysmans (1848-1907) plus connu sous son nom de plume Joris-Karl Huysmans, écrivain de critique d’art français, avec cet ouvrage paru 1891 en feuilleton dans « L’écho de Paris ».
En réalité Huysmans traverse à cette époque de sa vie une crise créative puisqu’il rompt avec le naturalisme dont il fut jadis très proche tout en reconnaissant son importance, et découvre le catholicisme. Il y a eu certes dans sa démarche littérature, une rupture avec le naturalisme de Zola notamment à partir de la publication de son roman « A rebours » (1884). Son écriture évoluera par la suite vers le symbolisme mais, dans ce livre il reste encore quelque peu marqué par ce mouvement initial. Dans ce roman, l’auteur met en scène, dans un dialogue initial avec un certain des Hermies, médecin, Durtal, un auteur, érudit célibataire et parisien, qui apparaîtra dans des œuvres ultérieures, telles « En route » ou « La cathédrale », qui peut être considéré comme le double de Huysmans et. qui se consacre à une biographie de Gilles de Rais, par curiosité personnelle sans doute. Ce personnage historique a été accusé au XV° siècle d’avoir violé, tué des dizaines d’enfants et d’avoir pratiqué le satanisme, il fut brûlé à Nantes. Les détails biographiques sur sa vie ainsi que sur les sciences occultes sont particulièrement précis, mais ce genre risquant de ne pas intéresser ses lecteurs, il ajoute une intrigue amoureuse entre Durtal et Mme Chantelouve, épouse adultère, puisque, à cette époque, Huysmans vivait une passade avec une maîtresse un peu mystérieuse, Berthe Courrière. Par ailleurs ce roman fait référence à une correspondance féminine reçue par l’auteur. Le mélange de ces deux thèmes auquel il faut ajouter un œil critique sur son temps et sur une partie du clergé, peut être regardé comme une hardiesse littéraire pour l’époque et traduit une évolution majeure dans sa recherche créative. C‘est par le biais de Mme Chantelouve, personnage fictif en lien avec un chanoine sataniste que Durtal introduit la question du satanisme qui évidemment n’était pas absente de sa recherche sur Gilles de Rais dont il souhaite parler dans son livre ainsi que d’une messe noire à laquelle sa maîtresse lui permet d’assister. Ce thème est un peu étonnant de la part d’un homme découvre le catholicisme et qui deviendra oblat. En effet il ne se convertit pas au sens strict puisqu’il a été baptisé à sa naissance mais il affirme, par la bouche de Durtal « Il faut croire au catholicisme… ce n’est pas le Bouddhisme et les autres culte de ce gabarit qui sont de taille à lutter contre la religion du Christ ». Il n’en est pas moins vrai cependant que pour les catholiques, Satan, incarnation du mal, reste une obsession.
Le style de Hysmans est certes un peu désuet pour un lecteur d’aujourd’hui mais, à titre personnel, il ne me déplaît pas, je le trouve agréable à lire. Il y a certes une recherche de vocabulaire et une pratique originale de la syntaxe qui honorent notre belle langue française mais je déplore que cet auteur majeur de la littérature française soit injustement oublié
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La retraite de Monsieur Bougran
- Par hervegautier
- Le 30/12/2023
- Dans Joris Karl Huysmans.
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N°1811 – Décembre 2023.
La retraite de Monsieur Bougran. Joris-Karl Huysmans – Éditions Jean-Jacques Pauvert.
M. Bougran est un fonctionnaire travaillant dans un ministère. Il est intègre, célibataire, zélé, ponctuel, respectueux de la hiérarchie et vit ses fonctions, essentiellement bureaucratiques, comme un sacerdoce. Malheureusement pour lui, à l’âge de 50 ans il est mis à la retraite d’office pour « invalidité morale » alors qu’il est en pleine possession de ses moyens intellectuels et ce au profit d’un autre agent, plus jeune et moins compétent, probablement protégé. Autant dire qu’il est considéré comme gâteux et cette mise à l’écart sonne pour lui comme une injustice puisque l’Administration se prive ainsi d’un savoir-faire, d’une mémoire, d’un serviteur fidèle et lui d’une ambiance de travail qui était toute sa vie. En réaction, et après avoir ressassé cet affront, il recompose fictivement à son domicile son univers perdu en y jetant un regard critique.
J’ai lu cette courte nouvelle, écrite dans un style un peu suranné mais assurément agréable à lire et en usage à l’époque, qui a été redécouverte par le célèbre avocat, Maître Maurice Garçon, après avoir été, en son temps (1888), l’objet d’un refus au point que son auteur l’avait reléguée dans un tiroir. Pourtant, à bien y réfléchir, ses lignes nous rappellent quelque chose d’actuel. Je passerai sur la critique récurrente des fonctionnaires, souvent désignés comme boucs-émissaires au cours de périodes où l’emploi est menacé, mais je m’attacherai davantage au désarroi de ces salariés âgés qu’on précipite dans un chômage brutal alors que leur vie s’est inscrite dans un travail désormais supprimé pour des raisons comptables. L’ambiance de bureau, les échanges pas toujours d’un niveau élevé avec les collègues mais qui manquent tant à Bougran, n’est pas sans faire penser au télétravail récemment instauré et qui ne fait pas l’unanimité. Il fait également allusion aux promotions qui lui ont échappé pour être données à des collègues moins qualifiés mais assurément plus flagorneurs. Ce genre de procédure d’avancement n’est sans doute pas prête à tomber en désuétude. Son expulsion a certes été précipitée, mais il note que, malgré le décor qu’il tressé à son domicile et qui lui rappelle ses anciennes fonctions, ce n’en est pas moins la consécration de la solitude et l’antichambre de la mort. C’est parfois le cas d’une retraite non préparée.
Ce que je retiens surtout c’est l’œil que M Bougran, le type même de l’anti-héros, porte sur son époque et sur son ancien univers. Cela ne fut pas difficile à Huysmans qui fut un humaniste, écrivain et critique d’art, et qui passa sa vie au Ministère de l’Intérieur. Il avait déjà évoqué cet univers dans « A vau-l’eau », une longue nouvelle publiée. Le regard qu’il porte sur son ancien univers de labeur est à la fois critique et subtilement humoristique et s’attache non seulement au décor convenu des bureaux, de ceux qui les occupent et leurs manières hypocritement courtisanes mais aussi aux jeunes arrivants, plus préoccupés par leur avancement que par la qualité de leur travail. Ses remarques me semblent particulièrement pertinentes en ce qui concerne la prose administrative et ses nuances protocolaires, une phraséologie digne de Colbert, des formules de politesse hiérarchiquement dosées, des synonymes réglementaires également mesurés, un art consommé de triturer les nuances et de jouer sur les contradictions de manière à rendre parfois compliqué ce qui est simple.
Cette courte nouvelle est l’occasion de renouer avec l’univers créatif de Hysmans (1848-1907), un écrivain injustement oublié.