Maria Larrea
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Les gens de Bilbao naissent où ils veulent
- Par hervegautier
- Le 02/11/2024
- Dans Maria Larrea
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N°1942– Octobre 2024.
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent – Maria Larrea - Éditions Grasset & Fasquelle.
Le titre est un paradoxe car on ne naît évidemment pas où on veut. C’est plutôt une marque d’orgueil pour les Bilbayens d’être nés dans cette ville emblématique, comme l’auteure.
C’est la triste histoire de deux abandons d’enfants à cause de la misère dans cette Espagne franquiste. Dans un petit village, une femme pauvre et malheureuse en ménage met au monde une fille qu’elle confie aux sœurs du couvent qui lui donnent le prénom de Victoria. A cette même époque, à Bilbao, une prostituée donne naissance à un fils, Julian, qu’elle confie aux jésuites. Bien entendu, ces deux enfants, après une jeunesse difficile, se croisèrent, s’aimèrent, se marièrent et quittèrent le pays basque pour la France. Ils resteront des immigrés espagnols pauvres dans le Paris des Trente glorieuses, domestiques des riches et Maria, leur fille unique , vivra sa vie difficile, entre drogue, alcool, excès, avortements et rêves de cinéma. Le père est violent, alcoolique, passionné d’armes et la mère est effacée. C’est l’histoire à la fois triste et parfois picaresque, avec des fantômes aussi célèbres que furtifs, de ces trois destins que les arcanes de la cartomancie viennent bousculer par une révélation. C’est elle qui, à la première personne, est la narratrice et donc le témoin de ce roman qu’elle déroule avec force analepses, entre fiction et autobiographie, par l’alchimie de l’écriture.
Je suis entré dans ce récit, pas tant à cause du style simple, libre et sans fioriture qui procure une lecture aisée, mais bien plutôt à cause du fort attachement qu’il suscite. De plus, tout au long de ma lecture, j’ai eu le sentiment, toutes choses égales par ailleurs, que l’abandon dont ont été victimes Julian et Victoria, leur vie pendant laquelle ils sont passés à côté du bonheur, m’ont évoqué quelque chose de personnel. J’ai donc lu ce roman sans désemparer avec une curiosité mêlée d’émotion. La narratrice à 27 ans quand, par hasard, elle découvre qu’elle a été adoptée et cherche à savoir d’où elle vient, sans doute pour faciliter et maîtriser enfin son parcours futur.
C’est un roman en deux parties d’inégale longueur, une première consacrée à la vie difficile de trois générations d Espagnols, les secrets, les mystères et la misère qui les entourent, la seconde axée sur une improbable quête d’identité de la narratrice à travers une hypothétique gémellité sur fond de trafic d’enfants et d’une recherche légitime mais non moins hasardeuse de ses géniteurs. En matière de filiation, le droit organise les choses avec la constante préoccupation de l’Ordre public et la conception d’une vie reste un secret face la folie passagère d’un soir, une toquade amoureuse, un coup de foudre, les guerres et les brassages de population...
A chaque fois que je lis une autobiographie, je me pose les mêmes questions. Écrit-on sa propre vie, avec tout ce qu’il y a d’intime, pour l’exorciser, régler des comptes, répondre à ses propres interrogations, conjurer son possible mal de vivre, laisser à la génération suivante une trace généalogique originale, garder le souvenir de ceux qu’on a connus et aimés , aider peut-être un hypothétique lecteur qui se sera reconnu dans cette démarche? Je crois comprendre que cette quête a été libératrice pour l’auteure. C’est peut-être la bonne réponse à cette quête.
Je me suis laissé un peu entraîné sur le problème de l’immigration et sur les idées fausses et lénifiantes véhiculées sur ce sujet, sur la France pays accueillant, celui des droits de l’homme et de la liberté, la recherche et l’acceptation de soi-même, le mensonge qu’on tisse, le non-dit qu’on cultive, le silence qu’on respecte parce que cela arrange tout le monde, le hasard qui invite à lever tous ces voiles et l’écriture qui libère, tout cela est pour moi autant d’interrogations.
Ce texte a été mis en scène au théâtre Marigny en octobre 2024 et la comédienne Bérénice Bejo y incarne plusieurs personnages de ce roman.