Créer un site internet
la feuille volante

Philippe Besson

  • Un soir d'été

    N°1871– Avril 2024.

     

    Un soir d’été – Philippe Besson – Julliard.

     

    J’ai toujours lu Philippe Besson avec plaisir tout en constatant que je n’avais rien de commun avec lui puisque notamment nous n’avons pas le même âge. Cette fois encore j’ai apprécié son style fluide et agréable à lire, j’ai eu, en plus, plaisir a retrouver l’île de Ré qui a fait partie de ma jeunesse même s’il fallait souvent attendre le bac pendant des heures sous le soleil et surtout ne pas manquer le dernier, sauf à passer la nuit à Sablanceaux où les hôtels manquaient et même si on était romantique, la traversée n’avait rien d’une croisière. Besson revoit les uniformes blancs des marins qui assuraient le passage, moi j’ai plutôt souvenir de lamaneurs en bleu de chauffe ! Pour les îliens, je faisais partie de ceux « du continent » qui venaient ici pour les paysages sauvages qui n’existent plus ; la salicorne ne se vendait pas et le sel servait aussi à dégeler les routes l’hiver. Il n’y avait pas encore de surfeurs, les vacanciers préféraient les tentes aux résidences secondaires qui n’étaient parfois qu’un aménagement sommaire de blockhaus de l’ancien « mur de l’Atlantique », les bateaux du port, aux couleurs d’aquarelle étaient ceux des pêcheurs et la cheminée de l’épave du « Champlain » veillait au large. Aussi loin que ma mémoire remonte, les ânes étaient en culottes et les femmes en kichenotte, quant aux roses trémières,elles n’avaient pas encore envahi les ruelles. Elle n’était pas encore une « presqu’île » où se ruent aujourd’hui les estivants, il n’y avait pas de « boite de nuit », on n’y faisait pas encore de vélo mais c’était le but estival de bien des jeunes et de leurs premiers émois amoureux. Chaque adolescence est unique avec ses joies éphémères, ses illusions, ses craintes pour l’avenir et les vacances c’était le plaisir d’être avec ses copains, sur la plage, le bronzage, le sel sur la peau, les cigarettes qui faisaient tousser, la fascination pour le corps des filles et les tentatives maladroites d’attirer leur attention. Pour le jeune Philippe et son homosexualité c’était un peu différent et l’attirance qu’il avait pour les garçons était parfois déçue par leurs choix personnels et ses baisers étaient éphémères comme un amour d’été.. Parfois pourtant une rencontre se concluait par une étreinte rapide et sans aucune suite. Bref ils étaient cinq garçon et une fille en vacances sur l’île en cet été 1985, glandeurs et désinvoltes, chacun avec son parcours et ses projets mais désireux de profiter du moment présent. Quand l’un d’eux disparaît, c’est le drame, avec questionnement, recherches et culpabilité, prise de conscience de la réalités des choses de la vie, l’espoir de le retrouver qui active l’imagination et surtout l’impensable idée de la mort qui vous fait, d’un seul coup, quitter l’insouciance.

    C’est avec ce genre d’événement qu’on mûrit, qu’on devient plus vite adulte, qu’on apprend à admettre les choses dans leur simplicité autant que dans leur complexité,, qu’on prend conscience que la mort existe, qu’on ne reverra plus celui qui vient de nous quitter, que cela fait simplement partie de notre condition humaine..Je ressens à titre personnel ce roman comme une réflexion sur l’absence, un échec à cet oubli, qui caractérise tant la nature humaine, comme un acte de mémoire que Philippe Besson fait pour son ami. Il portait probablement en lui cette période de sa vie comme une plaie non cicatrisée que l’écrivain qu’il est ne pouvait panser qu’avec des mots. C’est sans doute dérisoire mais, même si je ne crois guère à l’exorcisme de l’écriture, une telle démarche a, d’une certaine manière, dû libérer son auteur. Un beau roman en tout cas.

  • Ceci n'est pas un fait divers

    N°1720 – Février 2023

     

    Ceci n’est pas un fait divers – Philippe Besson – Juillard.

     

    Qu’est ce qu’un fait divers ? C’est un type d’évènement qui n’est classable dans aucune catégorie qui habituellement compose l’actualité. Ainsi « les faits divers » forment-t-ils eux-mêmes pour la presse une rubrique à part qui regroupe des circonstances particulières n’ayant aucun lien entre elles ce qui ne signifie pas qu’elles sont sans importance. Ici, les faits sont brutaux, ce n’est pas un crime passionnel jadis absout par la justice, il s’agit du meurtre d’une femme par son mari en présence de leur fille Lea, 13 ans. C’est elle qui annonce par téléphone la nouvelle à son frère, 19 ans, danseur à l’Opéra de Paris. Quant au père, il a disparu. S’ensuit une enquête où les détails horribles ne nous sont pas épargnés, ce qui le transforme moins en roman policier qu’en un dossier d’analyse psychologique pour tenter d’expliquer l’inexplicable.

    Aujourd’hui, on ne peut pas consulter les médias sans apprendre ce genre catastrophe qui en devient presque banale, les statistiques en font foi et on a même crée un mot nouveau pour cela : féminicide. Et cela ne sera jamais un fait divers. Ce roman est basé sur un fait réel et Philippe Besson se l’est approprié sur la demande d’un de ses lecteurs à qui il laisse la parole. L’auteur quitte donc son registre habituel où il nous faisait partager ses états d’âme souvent intimes (pas tout à fait cependant) pour nous parler d’autres gens. Au-delà de l’histoire, toujours racontée avec la même écriture à la fois simple, économe en mots et juste, Philippe Besson met en lumière moult questions. Les êtres choisissent naturellement de se rapprocher entre eux pour faire obstacle à la solitude. Cela donne des couples qui, lorsqu’ils sont mal assortis, traînent derrière eux le malheur comme une destiné. Ils sont condamnés à voir le bonheur de loin, chez les autres et à souffrir de cette injustice. C’est sur ce terrain que croissent des frustrations qu’on garde souvent enfouies en soi par pudeur ou pour ne pas traumatiser ses proches. Quand on est jeune et qu’on rencontre l’amour qui n’est souvent qu’une attirance physique passagère, on fait semblant de croire à l’avenir qu’on habille de projets et de fantasmes. On tente même de forcer le destin en fondant une famille. Souvent, cela ne dure guère et s’use sous le coups du quotidien et l’idée qu’on se faisait du bonheur s’érode peu à peu pour souvent disparaître définitivement. Puis viennent les hasards qui ne font pas toujours bien les choses et on se sent rejoint par le malheur, celui d’être né sous une mauvaise étoile, qui s’accroche à vous comme un cancer et vous dévore de l’intérieur, rendant vain votre combat contre cette adversité. On fait la constatation que l’amour, s’il a existé, s’est dissout, le couple choisit de se séparer, souvent dans les premières années de vie commune, comme c’est le cas actuellement et ce sont les enfants qui en pâtissent. Parfois on compose, on patiente, on se fait une raison, on se drogue, on va voir ailleurs, on fait durer le couple par hypocrisie, pour des raisons sociales, financières ou religieuses, l’espoir d’un impossible changement, de la survenue hypothétique d’un accident ou de la maladie. La violence s’invite parfois comme dans cette sordide histoire.

    Ici Léa incarne ces enfants qui, trop souvent ignorés, sentent les choses, veulent les faire changer, sont témoins et donc presque complices, mais qui ne peuvent rien faire face aux secrets, aux silences, aux manipulations des adultes, à part générer contre eux-mêmes cette colère et cette détestable culpabilité qu’ils traîneront toute leur vie. Chacun des deux enfants s’interrogent, se critiquent, s’accusent, se souviennent de l’incompréhension voire de l’animosité de leur père, de sa duplicité, se raccrochent aux souvenirs apaisants tissés avec leur mère, mais la réalité l’emporte avec les exigences de la procédure, les obligations de l’enquête, les réalités administratives, les rituels, les remises en cause de chacun pour son avenir et ses ambitions, l’acceptation des échecs qu’on voulait éviter, le procès à venir, l’impossible travail de deuil...

    Une autre idée s’impose à moi, celle de l’utilité de la littérature bien différente de celle de vendre des livres puisque notre société apprécie bien souvent ses membres à l’aune d’un critère comptable. Elle classe bien souvent les écrivains dans une élite intellectuelle qui les éloigne du quotidien. Parmi les nombreux rôles qu’on peut lui assigner, celui d’être le miroir de notre société ne me paraît pas être le moins important. Pour l’écrivain, donner la parole à ceux qui ne veulent ou ne peuvent la prendre, mettre des mots sur leurs souffrances secrètes, formuler simplement les choses qui les bouleversent, donner à voir une facette non idyllique de la condition humaine dans laquelle d’autres pourront se reconnaître et peut-être y puiser du réconfort, tout cela me paraît essentiel.

    Philippe Besson s’empare de ce type de fait de société avec beaucoup d’humilité.

     

     

  • Paris-Briançon

    N°1700 – Décembre 2022

     

    PARIS – BRIANÇON - Philippe Besson – Juillard.

     

    J’ai assez pris le train durant ma jeunesse, michelines omnibus aux couleurs délavées et qui s’arrêtaient à toutes les gares de la campagne ou trains de nuit aux compartiments bondés et pleins de militaires rejoignant leur caserne, pour ne pas être tenté de monter dans celui-là aussi. Cela n’avait pourtant à l’époque rien à voir avec le mythique Orient-Express et tous ses fantasmes et je passais souvent la totalité du voyage dans le couloir ou dans les soufflets et même si aujourd’hui ce sont des trains-couchettes, principalement à destination du sud de la France, je me suis dit que cela me rajeunirait. J’ai toujours été attiré par les trains parce que j’en ai été longtemps le client assidu et que l’espace de quelques heures on se retrouve en promiscuité avec des gens qu’on ne connaît pas, avec qui on peut lier conversation pour ensuite ne plus jamais les croiser. Pendant ces entretiens improvisés, dans le huis-clos des compartiments, on pratique la philosophie du café du commerce, on raconte souvent sa vie en une sorte de confession, les questions se font parfois indiscrètes, les réponse aussi, on refait le monde, on parle de la météo, de la politique, à en oublier le sommeil, d’autant plus facilement qu’on a affaire à un inconnu. J’ai toujours été attiré par cette ambiance propres aux trains.

    Philippe Bessons plante ici le décor, des personnes, jeunes ou vieux, d’horizons professionnels différents et aux motivations diverses d’être ici, vont se rencontrer pour un voyage ferroviaire nocturne de plus de douze heures. Souvent ils ne se connaissaient pas auparavant et vont se découvrir. Au début on a l’impression d’être dans l’ambiance traditionnelle des romans de l’auteur avec son lot de rencontres masculines dictées par la chance comme il les affectionne, telle celle d’Alexis et de Victor dans la torpeur d’un long trajet. Leur rencontre éphémère que rien ne laissait prévoir révèle autant une découverte mutuelle que la certitude de devoir vivre avec ce secret. Rien ne devait se passer, tous devaient arriver à Briançon sans encombre et reprendre le cours de leur vie après cet intermède nocturne, la routine… Puis c’est l’accident brutal et avec lui la mort. Elle fait partie de la vie, en est simplement la fin et on oublie un peu vite que nous n’en sommes que les usufruitiers, que nous sommes mortels, qu’elle peut nous être enlevée sans préavis et surtout au moment où nous y attendons le moins, même si nous menons notre existence en faisant semblant de l’oublier. On songe au thème de la fatalité, du hasard malheureux, d’un enchaînement d’évènements évoquant la fragilité de notre vie, la certitude que nous ne sommes que de passage, qu’un rien peut soudain faire changer radicalement les choses, que se trouver « au mauvais endroit au mauvais moment » peut être fatal, que ceux qu’on a aimés ou simplement appréciés l’espace d’un instant peuvent simplement basculer de l’autre côté et qu’on ne les reverra plus jamais, que la quasi totalité d’entre nous ne laissera de son passage sur terre qu’un nom sur une pierre tombale...

    Face à cela s’est installé cette habitude qui s’est ancrée dans notre quotidien, ce « droit à l’information » quelque peu dérisoire au regard de l’horreur et à la souffrance d’autrui, faisant de chacun d’entre nous de véritables voyeurs demandeurs d’images, qu’elles viennent des réseaux sociaux ou de la télévision. De tels événements qui émaillent notre quotidien révèle la cruauté de notre existence mais aussi sa futilité.

    Les trains de nuit que j’ai connus n’ont plus rien de commun avec les intercités actuels, évidemment plus confortables mais j’ai retrouvé avec plaisir le style de Philippe Besson et les personnages attachants qu’il nous donne à voir. Cela m’évoque cette parole d’Apollinaire « crains qu’un train ne t’émeuve pas ».

     

  • le dernier enfant

    N°1670 - Août 2022

     

    Le dernier enfant – Philippe Besson - Julliard

     

    Ce fait de nombreuses années que je lis avec plaisir les romans de Philippe Besson. Ici  j’ai retrouvé son style agréable à lire, comme à chaque fois. Pourtant, le livre refermé j’ai eu un sentiment bizarre, sans doute à cause du thème choisi que son expérience de fils a sans doute dû nourrir. Théo est en effet le dernier des trois enfants du couple ordinaire et sans doute heureux que forment Anne-Marie et Patrick. Deux enfants sont déjà partis mais Théo est le dernier, un peu comme si après son départ quelque chose devait changer parce qu’après lui allait s’installer entre eux un rythme de vie différent, plus solitaire, plus vide, plus égoïste peut-être, en donnant enfin libre court à ses projets personnels. Et puis il entreprend des études supérieures ce qui est pour les parents une source d’orgueil mais il doit pour cela partir et s’installer loin d’eux alors que, traditionnellement les enfants jeunes, en apprentissage ou salariés, restaient encore un temps dans la maison familiale. C’était moins brutal. On peut toujours parier sur son avenir professionnel, sa réussite, les petits-enfants à venir et l’agrandissement de la famille, on n’est jamais sûr de rien et cette entrée dans la vie a quelque chose d’intimement déchirant.

    Le temps passe, une page se tourne et c’est à l’aune de ce genre d’événement, pourtant ordinaire, qu’on mesure brutalement cette évidence et qu’on se livre à un bilan en égrenant les souvenirs communs, en épluchant les photos, les instants de bonheur simple… Il y a eu les années de vaches maigres, les craintes pour l’avenir, les sacrifices pour les enfants, l’amour partagé, la joie d’être ensemble et les moments plus durs qu’on préfère oublier . On a beau se dire qu’on n’a pas des enfants pour soi, qu’ils doivent partir et faire leur vie parce que le contraire serait anormal et que l’ombre de «Tanguy » a quelque chose de redouté, il est difficile de se convaincre soi-même et il y a toujours cette incontournable culpabilité de n’avoir pas toujours fait ce qu’il fallait au moment opportun. Elle est enfin là cette réalité banale où on se retrouve à deux, seuls comme au début où on ne vivait que pour soi, malgré les espoirs qu’on fait semblant d’avoir pour les prochaines années. Il y avait eu entre Anne-Marie et Patrick la magie de la rencontre, la folie des projets jamais réalisés, la routine qui s’était installée entre eux sans qu’ils s’en aperçoivent.

     

    Ici, c’est plutôt par le prisme d’Anne-Marie que le roman est décliné (il lui est d’ailleurs dédié) un peu comme si le père comptait pour rien, ne ressentait pas lui non plus de peine à ce départ, parce que c’est la mère qui porte les enfants, qu’elle pourvoie traditionnellement à leur éducation, qu’on parle davantage de l’amour maternel, qu’on laisse au mari le rôle habituel de censeur, qu’on réserve à la mère la conduite de la maison et de son budget, … Ça aussi c’est un peu une image d’Épinal parce que les choses ont changé, comme dans bien d’autres domaines et que dans un couple tout ne se passe pas toujours d’une manière aussi idyllique avec les adultères, les trahisons, les divorces fréquents ou la maladie et les décès toujours possibles. La vie de cette famille est banale mais finalement sans grands bouleversements, simplement consacrée à la recherche de ce bonheur auquel nous aspirons tous et je retrouve bien le rôle de l’écrivain qui est d’être le témoin de son temps, même dans les détails les plus anodins. Notre vie est une succession de petits ou grands renoncements et ce que je retiens c’est la solitude d’Anne-Marie face à cette épreuve, certes connue à l’avance mais dont on repousse l’échéance.

    Le thème choisi a quelque chose d’ordinaire mais traduit bien ce qu’est le quotidien de la plupart d’entre nous qui avons fondé une famille. J’ai à la fois pris plaisir à découvrir ce roman parce que la lecture est un plaisir et que Philippe Besson est un bon auteur mais je l’ai lu rapidement, presque impatient de découvrir le dénouement. Certes la fuite du temps est inexorable et donne le vertige quand on le mesure à l’aune de ses souvenirs mais l’épilogue m’a paru un peu convenu, trop décalé, presque artificiel et carrément exagéré, d’une originalité excessive par rapport à la réalité, malgré l’émotion et la nostalgie distillées tout au long de ce texte.

     

     

     

  • Dîner à Montréal

    N°1583 - Septembre 2021

     

    Dîner à Montréal – Philippe Besson - Juillard

     

    D’emblée l’auteur tient à informer son lecteur fidèle que ce roman se réfère à un personnage déjà rencontré dans un ouvrage précédent, Paul Darrigrand. Cette chronique s’en est fait l’écho comme d’ailleurs une grande partie de l’œuvre de Philippe Besson.

    Disons le tout de suite, bien que ce ne soit pas essentiel, il y a dans ce récit une unité de lieu, de temps et d’action ou plus exactement d’inaction puisque il ne s’agit que d’arguments échangés, de moments évoqués. D’autre part Philippe Besson fait partie de ses écrivains qui pratiquent le solipsisme, qu’il a choisi de faire de sa propre vie un roman, c’est à dire de nous faire partager ses émois, ses fantasmes, ses peurs. D’ailleurs il se met lui-même en scène et parle à la première personne. Il ne se contente donc pas de relater des faits mais cherche en permanence à les analyser à la lumière de sa propre sensibilité avec la subtilité qu’on lui connaît. Ainsi entre Philippe et Paul y a-t-il quelque chose de subtilement caché ou d’à peine révélé. Pourtant il nous rappelle que ce qu’il raconte est rigoureusement exact pour, plusieurs pages plus loin, apporter une nuance de contradiction. Mais il est un fait que, pour un écrivain, un bouleversement intervenu dans sa vie donne souvent un livre c’est à dire que les mots sont un exorcisme, un exutoire et que l’écriture lui offre cette extraordinaire occasion de digérer un échec ou de remodeler la réalité. Il aborde le phénomène de l’écriture, disserte sur la responsabilité de l’écrivain au regard de ce qu’il écrit, assume ses choix et le fait dans un style fluide et agréable à lire où la qualité de l’écriture le dispute à l’analyse des sensations et des sentiments. Même si je n’ai pas toujours partagé ses thèmes favoris, ses romans ont toujours correspondu à un bon moment de lecture.

     

    Philippe, 40 ans, est donc à Montréal pour la promotion d’un de ses livres en compagnie d’Antoine de vingt ans son cadet. Il rencontre par hasard, alors qu’il effectue une signature dans une librairie (mais est-ce vraiment par hasard?) Paul son ancien amant, marié à Isabelle, père de famille et bien établi dans la vie. Un restaurant les accueillera les deux couples pour célébrer ces retrouvailles. Ce sera donc un dîner à quatre convives comme le suggère la couverture. On peut dès lors se demander pourquoi Isabelle a accepté cette rencontre amicale puisqu’elle porte en elle un germe potentiellement destructeur à cause des souvenirs communs des deux hommes. Ils ont été heureux ensemble mais ils se sont quittés et dix-huit ans ont passé depuis ces amours de jeunesse, de quoi avoir le vertige à cause du temps qui fuit. Entre Philippe et Paul, le dialogue s’engage au départ avec pour thème ces années, ces deux parcours, ces deux réussites et, en filigrane, l’activité littéraire de Philippe, le sida des années 90 et leurs menaces... Mais entre eux on sent rapidement une sorte de gêne, des non-dits, des sous-entendus, des retenues, de fuites et même des mensonges, et ce, pas seulement à cause de l’épouse et de l’ami. Plus on évoque les souvenirs communs et plus ça devient ambigu. Dans cette rencontre qui ressemble à une sorte de confrontation, Isabelle et Antoine font de la figuration au début mais rapidement Isabelle, méfiante, reste sur la défensive et cherche à éluder ce qui peut rapprocher les deux ex-amants, évitant ou voulant éviter que le dialogue entre eux ne devienne gênant voire impudique. A mes yeux elle incarne une certaine morale bourgeoise et hypocrite qui ne veut rien savoir du passé de son mari et surtout qui craint pour la solidité de ce qu’elle a bâti avec lui. Antoine, au contraire, à cause de son jeune âge ou de sa désinvolture naturelle, met carrément les pieds dans le plat et les agite en évoquant ce qui peut déstabiliser Paul et surtout Philippe qui est celui qui a choisi de formaliser ses expériences intimes. Après tout c’est lui l’écrivain, c’est à dire un homme qui choisit de livrer son histoire au premier lecteur venu qui va le juger, qui doit accepter par avance les critiques parfois douloureuses à entendre de la part de gens qui refusent de voir qu’il s’est livré à la page blanche avec ses fêlures et ses fantasmes qui parfois peuvent choquer. Ce dernier est même sommé de s’expliquer sur la genèse de certains de ses romans et il est permis de s’interroger sur l’attitude d’Antoine au regard de sa relation avec Philippe dont les romans parlent souvent de ruptures. Sera-t-il lui aussi rejeté au rang de simple passade anecdotique ou au contraire son amant vieillissant cherchera-t-il à s’accrocher à lui ? Formaliser ses peurs, ses certitudes peut s’avérer dangereux puisque l’écrivain fabrique en quelque sorte des armes contre lui-même.

    Entre Paul et Philippe il y a une sorte de d’agressivité feutrée au départ en présence de tous les convives, quelque chose qui ressemble à des reproches, des regrets ou des remords, une manière particulière de régler des contentieux intimes restés en suspens et lorsqu’ils se retrouvent seuls pour une conversation privée, favorisée par l’absence voulue des deux autres, les choses s’éclaircissent entre eux et on sent quelques déconvenues de la part de Philippe, on apprend qu’à l’époque, il était sincèrement amoureux de Paul mais que ce dernier jouait un double jeu pourtant connu de son partenaire et qu’il a prévalu. La confession de Paul a quelque chose à la fois d’apaisant et de douloureux pour son ami que l’épilogue illustre.

     

    Ce roman tourne autour du passé commun des deux hommes, de leur jeunesse passionnée enfuie que de nombreux analepses éclairent et on comprend très vite que ni l’un ni l’autre n’en ressortiront pas indemnes. Paul repartira vers sa famille, Philippe poursuivra sa carrière d’écrivain avec l’écriture, qui est une thérapie, pour seule vraie compagne qui l’aidera peut-être à oublier cet amant, puisera dans ses souvenirs, connaîtra des amours nomades, les évoquera dans des romans avec retenue et nostalgie, mais au bout ce sera la mort solitaire. Le temps d’un repas, chacun d’eux est rattrapé par ses fantômes mais Isabelle, à sa manière, remet les choses à leur vraie place et la parenthèse se referme.

    Ce roman me fait penser à un aphorisme d’Albert Camus qui rappelle qu’on ne peut revivre à quarante ans les joies qu’on a connues à vingt. C’est, à mes yeux, une des leçons de ce récit.

     

  • Un certain Paul Darrigrand

    La Feuille Volante n° 1328

     

    Un certain Paul Darrigrand Philippe Besson – Julliard.

     

    Philippe Besson puise dans ses souvenirs biographiques pour nourrir ses romans et cultiver sa différence. Comme c'est souvent le cas, il narre, ici à l'occasion d'une photo retrouvée par hasard, une rencontre qui a marqué sa vie, celle d'un jeune homme, Paul Darrigrand, légèrement plus vieux que lui, rencontré au cours d'une période de formation universitaire à Bordeaux, l'auteur a alors une vingtaine d'années. Sauf que ce Paul est marié, souhaite avoir un enfant avec Isabelle, pense à son avenir et à celui de sa famille alors que l'auteur est plus insouciant, fait prévaloir le présent. C'est donc un peu compliqué et entre eux, c'est une sorte de valse hésitation où la séduction le dispute à l'indifférence, l'envie à la retenue. Au départ, le désir est du côté de Philippe, le narrateur, alors que Paul donne l'impression de vouloir le fuir et quand ils se rencontrent en présence de sa femme on sent Paul gêné. Puis ce sont les regards qui trahissent la tentation, la peur de soi-même, l'attente de l'autre, le plaisir de l'étreinte, la complicité, les instants volés, les paroles étouffées, la honte aussi. Leur relation est faite de silences, de questions non posées, d'interrogations sans réponses immédiates. Elle existe dans le secret, entre le simple adultère et la vraie histoire d'amour ou la banale toquade, avec cette culpabilisation et l'hypocrisie à l'endroit d'Isabelle, amoureuse et honnête mais trompée et bafouée sans avoir mérité ni cette trahison ni cette humiliation. La solitude, le temps qui passe, l'absence de Paul rompent le silence avec, en contre-point cette femme dont on ne sait pas si elle leur tend un piège, si elle est naïve ou si sa complicité amicale avec Philippe est réelle. Il analyse avec des mots la nature de leur relation, entre doutes et passion, clandestinité et volonté de s'afficher, avec une interrogation sur la sexualité de Paul, cette alternance potentielle entre les deux sexes, cette ambivalence et le choix des femmes pour la tranquillité et la normalité. L'auteur multiplie des confidences érotiques avec images, odeurs et sentiments.

    Quand il aborde le chapitre de sa maladie, il le fait avec un certain suspense mais qui, au bout du compte devient un peu trop long et même fastidieux. De plus, j'avoue avoir peu goûté l'épilogue, n'y avoir pas vraiment cru tant il est vrai qu'une telle trahison laisse des traces et que la brisure qu'elle provoque est définitive et sans véritable pardon possible malgré la confession de Paul, son désir de sauver son couple.

     

    Notre auteur avoue sa sensibilité d'alors, sa volonté de la refréner, et la conscience qu'il a que tout cela finit par exploser en donnant autant de romans. Il y a donc chez lui une lente maturation de l'écriture, un mûrissement volontairement contenu dans le temps. Il confie aussi que chacun de ses livres est une sorte de dialogue avec des disparus puisque, dans les années 80, le sida faisait des ravages dans la communautés gay. Il dissèque le mécanisme de l'écriture, ses velléités, ses insuffisances, ses impasses. Cette mise au point du processus de la création romanesque m'a paru extrêmement intéressant. C'est aussi un paradoxe de son écriture que de se livrer avec précision à l'expression et à la dissection des sentiments intimes et en même temps confesser son impossibilité de les transcrire totalement avec des mots. Sur ce chapitre, il en profite même pour évoquer et expliciter certains de ses romans antérieurs, donner des précisions sur leur construction, sur son travail d'imagination...

     

    A l'occasion de la sortie de ce livre, je voudrais faire une remarque personnelle. Comme toujours j'ai pris un vif intérêt à ce roman comme à l'ensemble de son œuvre. Nul n'ignore qu'à compter d'août 2018 Philippe Besson a été nommé au poste de consul général de France à Los Angeles et que cette décision fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil d’État dont notre auteur a décidé d'attendre l'arrêt. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique nomme ainsi un homme de lettres à un poste de représentation diplomatique. Confier ainsi à quelqu'un qui a honoré son pays en servant sa culture le soin de le représenter à l'étranger est un choix qui se défend parfaitement. D'autre part, donner à sa vie ou à sa carrière professionnelle un nouveau souffle en forme de défi personnel est un choix intéressant quand l'opportunité ainsi se manifeste. Notre auteur l'a, je crois, d'ailleurs déjà fait. Ainsi n'y a -t-il rien à dire sur le principe de cette promotion et de son acceptation. En revanche, je ne peux pas ne pas penser qu'une telle nomination intervient après la publication de son récit « Un personnage de roman »(publié en septembre 2017) consacré à la campagne électorale d'Emmanuel Macron. Que Besson soit fasciné par le personnage ne me gêne pas, qu'il quitte à cette occasion le costume de romancier pour revêtir celui de chroniqueur politique est parfaitement son droit, mais comme je l'avais exprimé dans le commentaire publié à la sortie de ce livre, j'avais craint qu'il puisse y avoir une dimension de flagornerie, annonciatrice peut-être de prébendes. C'est apparemment le cas. Sans entamer mon avis sur les grandes qualités littéraires du romancier, cela me gêne un peu, mais après tout qui suis-je pour m'exprimer sur cette polémique ?

    Je ne peux pas ne pas me souvenir cependant que, à ma connaissance, le dernier romancier qui a occupé ce poste prestigieux était Romain Gary.

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • Un personnage de roman

    La Feuille Volante n° 1217

    Un personnage de roman – Philippe Besson – Julliard.

     

    C'est un destin politique ou un destin tout court qui passe par une transgression des règles qu'on considérait comme immuables, ou par une opportunité qu'on saisit d'autant plus volontiers qu'on pense que c'est le moment, que les choses ont changé dans l'opinion, qu'elle est prête pour une véritable réforme et qu'on peut l'incarner. C'est sans doute ce qui détermine Emmanuel Macron à démissionner de son poste de ministre et de se lancer dans cette bataille. Ici, il ne s'agit pas d'un roman comme l'auteur en a l'habitude et ce même si le personnage dont il est question peut aisément avoir une dimension stendhalienne, flaubertienne, balzacienne ou fitzgeraldienne, comme on voudra, à condition toutefois que son histoire se confonde avec celle de la nation. C'est un récit, écrit à la première personne où Besson nous confie son intuition d'avoir eu affaire au futur Président de la République dès sa déclaration de candidature et ce malgré tous les obstacles classiques dressés devant lui pour arriver au pouvoir. Une gageure quand on sait que pour gagner une élection présidentielle en France, il faut avoir derrière soi un grand parti et de l'argent. Or, à cette période, il n'a ni l'un ni l'autre et l'image de Brutus assassinant César lui colle déjà à la peau. Pourtant, notre auteur n'avait pas vraiment cru, au début, au succès de cette ambition qui déjà pointait. Pour autant, il va observer cet homme qui peu à peu va s'imposer grâce à l'énergie que lui donne le couple fusionnel et atypique qu'il forme avec son épouse. De septembre 2017 à mai 2018, il va donc suivre sa campagne, hésitante au début, puis de plus en plus convaincante et rendre compte par le menu à travers les rumeurs, les discours, les sondages de l'ascension de cet homme jeune, cultivé, inconnu et qu'on disait sans expérience politique, ni programme au début et dont on dénonçait l'absence de mandat électif, mais qui avait choisi de mettre en avant les atouts de la France quand les autres discours faisaient dans l’alarmisme et, surtout sur qui bien peu pariaient. Pourtant, la France est considérée depuis longtemps comme ingouvernable, les Français rebelles à toute réforme, prompts à la critique, engoncés dans leurs contradictions, suspicieux vis à vis des élites politiques, mais fascinés par l'homme providentiel. Pourtant cette campagne, il le sait, sera un long chemin de croix parce qu'il incarne « les riches » détachés des difficultés du peuple et toujours susceptibles de démagogie. Il sera finalement élu, mais avec un fort taux d'abstention ce qui trahit quand même quelques défiances à son égard.

    Philippe Besson quitte ici son costume de romancier pour endosser celui d'observateur voire de commentateur politique. Pourquoi pas après tout et s'intéresser à la vie et à l'avenir de son pays est une chose louable, d'ailleurs nombre d'artistes ont l'habitude de soutenir des hommes politiques. On le sent fasciné par le personnage après il est vrai avoir été quelque peu dubitatif, par sa volonté et l'ambition de faire changer les choses et l'énergie qu'il déploie pour cela, tout en voulant se garder de toute manipulation. J'apprécie depuis longtemps l'univers créatif de Philippe Besson, cette chronique en atteste. J'avoue avoir été un peu surpris par le parti-pris de ce livre mais le personnage a tellement bouleversé le paysage et les habitudes politiques, est tellement hors normes et porteur d'espoirs après deux précédents quinquennats si désastreux que les Français ont dénié le droit à leur responsable de se représenter, qu'il fallait faire quelque chose. Que Besson s’intéresse à ce phénomène ne me gêne pas puisqu'il le fait selon ses dires seulement aminé par l'amitié qu'il porte au couple présidentiel. Pour ma part, je m'en tiens à ce compte-rendu original d'un écrivain que j'apprécie depuis longtemps. Pourtant, « et en même temps », je ne peux pas ne pas penser qu'une telle démarche, même si elle souhaite être neutre, n'a pas des relents de subjectivités. Ce récit à au moins le mérite de nous remettre en mémoire toutes les phases de cette campagne atypique et de détailler cette ascension spectaculaire d'un homme jeune, inconnu au départ, qui finalement s'impose au milieu de la déconfiture des partis politiques traditionnels dont il profite des voix, quelque chose comme une transition, une révolution tranquille dans un paysage trop longtemps sclérosé par une alternance droite-gauche inefficace et démagogique. Alors, personnage de roman Macron ? Peut-être après tout (dans ce domaine il me semble qu'il ne faut pas non plus oublier son épouse). Il a ce côté fascinant qu'on retrouve rarement chez les hommes politiques, mais en revanche, je n'ai pas retrouvé chez Besson la plume que d'ordinaire j'apprécie. C'est certes bien écrit, peut-être un peu trop dans le style journalistique à cause du sujet traité, et qu'il ait sacrifié à l'amitié qui les lie, que cela se soit transformé au fil des pages en panégyrique, pourquoi pas ? À condition toutefois qu'il n'y ait pas d'arrières-pensées de sa part. Pourtant je le préfère en romancier qu'en chroniqueur factuel.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • Les passants de Lisbonne

    La Feuille Volante n° 1137

    Les passants de LisbonnePhilippe BESSON - Jullard

     

    Mathieu aborde un jour une femme seule, Hélène, à la terrasse d'un café de Lisbonne parce qu'il l'a vue ainsi depuis quelques jours. Cela peut paraître cavalier mais cette démarche n'a rien d'une drague, ce sont juste deux Français qui ne se connaissent pas, qui se rencontrent en terre étrangère et qui éprouvent le besoin de parler. Le hasard y est pour beaucoup et fait plutôt bien les choses mais leur échange est plutôt quelconque. Et puis la mélancolie est liée depuis toujours au Portugal, cette « saudade » qui fait partie de l'âme lusitanienne, car c'est bien de mélancolie dont il s'agit puisque, au fil de leurs conversations, on apprend qu'elle vient de perdre son mari dans un séisme à San Francisco (nous sommes dans une fiction mais depuis le temps qu'on en parle... et puis ça s'est déjà produit en 1906!), que le compagnon de Mathieu l'a quitté sans prévenir, lassé peut-être de leur relation épisodique et qu'il est à sa recherche. C'est étonnant le reflexe qu'on a, quand on a perdu un proche, de mettre entre soi et le quotidien une distance censée exorciser la douleur. A chaque fois je pense à Sénèque pour qui « Voyager n'est pas guérir son âme » et la distance n'y fait rien, le temps non plus d'ailleurs, c'est seulement nous qui changeons, qui nous habituons à l'absence, au manque ; nous n'avons plus que cela et nous le baptisons comme nous voulons, stoïcisme, fatalisme, résignation...

    L'objet de ce roman est évidemment la confidence, l'histoire personnelle, intime, qu'on raconte à un inconnu. Elle est censée alléger l'âme, les mots seraient un exorcisme et mettre des mots sur ses maux serait bénéfique mais c'est aussi raviver la souffrance, une forme de masochisme, une manière de se complaire dans sa douleur parce qu'on est toujours seul face à elle. Hélène devait aimer son mari, Vincent, puisque cette absence est de plus en plus prégnante et la rencontre avec Mathieu provoque des révélations qu'on ne fait pas d'ordinaire aussi spontanément, à moins de vouloir déstabiliser ou culpabiliser son interlocuteur en lui exposant sa peine. Ici, il n'en est rien et on la sent désemparée, détruite par cette perte qu'elle mettra du temps à admettre, si elle peut le faire un jour. Bien sûr, elle ne connaît pas Mathieu mais l'invite à se confier à elle dans une sorte de troc dont elle ne soupçonne pas le résultat. Lui aussi souffre d'une absence, singulièrement assez semblable dans la brusquerie et cruauté de sa survenance et il y a sans doute, pour lui qu'on suppose pudique, quelque réticence à montrer ses plaies. La relation avec Diego, son ami portugais devait être sincère et exclusive, à tout le moins du côté de Mathieu, mais brusquement il prend conscience qu'elle n'était pas partagée et le vide qui en résulte est un manque assez identique à ce que ressent Hélène, sauf que dans un cas c'est le hasard, ou le destin qui ont frappé et dans l'autre c'est une décision humaine. Si sur Hélène pèse la fatalité de la mort, vécue comme une injustice, sur Mathias, c'est la trahison et le mensonge qui ont connu leur épiphanie dans la fuite sans explication de son ami. Leurs deux chagrins sont différents mais ils ont tous les deux en commun cette absence, ce disparu, ce manque, ce vide. Depuis qu'elle a rencontré Mathieu, il semble se tisser entre eux une sorte de complicité, une solidarité dans le malheur, souvent émaillée de silences. Chacun reste avec l'ombre de son propre fantôme collée à la peau et qui dessine sur leur visage cette sorte de tristesse définitive. Pourtant lui a résolu de combattre sa peine par des escapades garçonnières et parfois féminines mais toujours éphémères, quant à elle, elle a pris l'habitude de se laisser aller en vivant au jour le jour, dans le souvenir de son défunt, de se complaire dans son deuil au nom de la fidélité ou dans l'impossibilité affirmée d'aimer un autre homme, malgré la vie qui continue.

    Dans ce genre de situation, le déroulement normal serait une passade probable entre Hélène et Mathieu, d'autant qu'ils habitent le même hôtel, mais les choses ne sont pas si simples.  Mathieu a cette « beauté vénéneuse » de ceux qui plaisent et dont on sait qu'on ne les reverra pas. C'est un peu comme si, chacun avec sa peine, aidait l'autre par sa seule présence. Il est remarquable que l'auteur mette en perspective deux villes emblématiques qui ont connu un tremblement de terre dévastateur, San Francisco et Lisbonne, la première comme raison du deuil et de la détresse d'Hélène et la seconde comme source d'un possible retour à la vie, d'une manière à la fois particulière et partagée.

    Je suis, quant à moi, et sans doute définitivement, fasciné par les villes du bord de mer et surtout, par les ports, les bateaux , la houle, les habitants, les embruns…

     

    D'ordinaire j'ai plaisir à lire les romans de Philippe Besson à cause de son style fluide que j'ai encore une fois apprécié ici. Il distille un climat particulier que j'ai aimé tout au long de ces presque deux cents pages. Pour une fois, je dois dire que la fin m'a un peu déçu, non pas à cause de l'ombre de Pessoa qui y passe, au contraire, je m'attendais à ce que son œuvre y soit plus présente, mais peut-être à cause de cet épilogue peut-être un peu trop convenu et prévisible, peut-être un peu trop dans le « Happy-end » dont nous savons qu'il n'existe bien souvent que dans les romans. 

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • De là, on voit la mer

    La Feuille Volante n° 1136

    De là, on voit la merPhilippe Besson – Jullard.

     

    Louise est écrivain, très célèbre , très parisienne, la quarantaine, mais un écrivain qui connaît l'angoisse de la page blanche et une période de sécheresse et qui, pour exorciser cela se dépayse à Livourne, seule, dans la maison d'Anna. Graziella, la gouvernante italienne discrète assure l'intendance pour que Louise puisse écrire. François, son mari très effacé, s'accommode de cette solitude et de cette indépendance depuis des années et cette fois-ci il est resté à Paris. Louise adore le bord de mer, l’effervescente du port, ce sera peut-être le décor de son prochain livre ? Elle doit manquer d'imagination ou bien alors l'écriture est-elle un extraordinaire moyen de se tisser une autre vie, mais dans son intrigue elle s'imagine veuve et prétend écrire des romans prémonitoires, un effet de la solitude sans doute ? Ce détail du veuvage a son importance dans l'univers créatif de Louise, l'écriture ayant, à mon sens une fonction compensatrice. Voila que Graziella a un petit accident et ne pourra venir assurer son service et c'est son fils, Luca, un jeune élève-officier de marine qui vient le lui annoncer et quand plus tard il reviendra en tenue militaire, elle en tombera évidemment amoureuse, le prestige de l'uniforme sans doute à moins que ce ne soit le fameux démon de midi ? Je l'imagine personnellement assez directive pour séduire ce garçon qu'elle rêve de mettre dans son lit.

     

    Au début, j'ai cru un moment que Besson, dans une sorte de mise en abyme, allait nous parler de la genèse de l'écriture, de l’inspiration si capricieuse, de ses exigences au regard de l'écrivain, ravalé au rang de simple scribe, des servitudes que ce dernier se doit de respecter pour pouvoir, peut-être enfanter un beau texte qu'il signera, de ses moments bénis où quelque chose comme une vibration se passe dans la tête de l'auteur et qu'il faut, toutes affaires cessantes, écrire dans l'instant faute de quoi toutes ces belles phrases, toutes ces images uniques seront perdues à jamais. Après tout pourquoi pas et cela me semblait aller dans le sens de ce roman que Louise peinait à écrire. Puis, la fiction va passer au second plan pour céder la place à sa propre histoire, cette passade avec ce jeune homme qui a l'âge du fils qu'elle n'a pas. Après tout pourquoi pas ? Je note que de cet ouvrage qui a pourtant motivé son absence, nous ne saurons rien, il en est seulement question comme du « livre », sans plus, un peu comme si cela n'était qu'un prétexte qu'accepte François parce qu''il y trouve sans doute son intérêt, notamment financier, et de lui nous n'apprendrons que peu de choses, il est une véritable ombre.

     

    Puis,  petit à petit, Besson nous dévoile la personnalité de Louise. Elle est certes libre et tient beaucoup à cette liberté dont elle jouit grâce à la compréhension de son mari, mais elle est complètement déculpabilisée, de moque de la fidélité, se convainc que sexe et amour sont deux choses bien différentes. Avec une pareille psychologie le lecteur n'est pas dupe et se dit que, contrairement à ce qu'elle affirme, ça ne doit pas être la première fois qu'elle prend ainsi ses distances avec l'institution du mariage et ses engagements, surtout face à un époux aussi passif qui, sûrement lui, n'a jamais failli. C'est sans doute pour elle une posture ordinaire. Nous allons donc assister à une banale histoire d'amour entre une femme mature et un jeune homme. On y trouve toutes les ficelles ordinaires d'un roman de ce genre, l'été italien en Toscane maritime, la voiture décapotable rouge, le vent dans les cheveux, la maison isolée qui donne aux amants l'impression d'être seuls au monde et cette soudaine réminiscence pour Louise de quelque chose qu'elle croyait avoir définitivement oublié, dont on pense que ce sera éphémère mais qu'elle voudrait quand même retenir. Peut-être pas une banale passade ?

     

    Tout cela serait pour le mieux si François n'avait un accident grave, d'ailleurs provoqué par lui délibérément pour attirer l'attention de sa femme et la faire revenir ou peut-être pour se tuer lui-même, n'ayant pas le courage de faire cesser les errements amoureux de son épouse. A ce stade de l'histoire, Louise doit se dire que que le destin sert ses intérêts, en faisant d'elle une possible veuve,enfin! Comment s'est-il rendu compte de cette toquade ? Nous ne le saurons pas mais nous pouvons imaginer que les années de vie commune lui ont permis de lire en elle comme dans un livre, à moins que, attentif à l'art de sa femme, il ait choisi de respecter cette règle édictée par elle. Quand il sort du coma, les explications commencent comme une partie d'échecs et avec elles reviennent les vieilles rancœurs, les doutes intimes, les interrogations recuites...Elle tergiverse, se dérobe, esquive entre non-dits et mensonges et finalement la question de l'adultères est posée. Elle pourrait nier mais elle avoue, facilement d'ailleurs. Avec des réponses convenues elle rappelle son besoin de liberté, officiellement pour écrire, invoque l'usure des choses, le temps qui a passé, l'envie de retrouver sa jeunesse perdue... De son côté François qu'on imagine fidèle et amoureux de sa femme est peut-être tout simplement lassé du manège de son épouse et décide d'y mettre fin, à moins qu'au contraire, longtemps naïf, il s'en aperçoive pour la première fois. Il vit cela comme une trahison qu'il ne méritait pas et se rappelle à l'occasion qu'on n'est jamais aussi bien trahi que par les siens. Pour lui aussi les amours passent comme dans le poème d’Apollinaire. C'est un homme qui aime sa femme et qui, tout d'un coup, comme une révélation ou une fulgurance prend conscience qu'elle le trompe et ce sûrement depuis des années alors qu'il lui faisait confiance. Trop amoureux ou trop benêt, il n'a rien vu venir, n'a peut-être jamais rien su des trahisons de celle qu'il a épousée et qu'il croyait connaître. Il prend conscience que l'amour, la compréhension qu'il lui a donnés n'étaient pas réciproques, qu'il ne rime pas avec « toujours », que le cocuage n'arrive pas qu'aux autres, que cette femme, loin de toute culpabilisation, n'entendait rien changer à sa vie et à ses amours de contrebande. Alors, volonté de se moquer de lui, de l'humilier, de se considérer comme supérieure à lui parce qu'elle écrit et qu'elle est célèbre, de profiteur de sa candeur avec la certitude que tout lui est permis, qu'elle a le droit à l'arrogance, à l’égoïsme parce qu'elle est une femme et qu'à ce titre aussi elle peut le garder comme simple pis-aller. Il n'empêche, c'est l'après qui est intéressant, même si les apparences du couple sont sauves, elle a insinué le doute dans leurs relations et a unilatéralement brisé le contrat qui les liait. François n'en sortira pas indemne. Elle a beau voir eu du plaisir avec Luca, avoir aimé transgresser les tabous et les interdits, elle ne trouvera jamais ces années enfuies. Elle peut donner toutes les raison qu'elle veut à sa fantaisie italienne dont on imagine que ce n'est pas la première, faire des plans sur la comète et laisser libre court à son imagination d'écrivain, la décision qu'elle prend est déconcertante, à la mesure sans doute de sa personnalité. Ce roman est une sorte de pièce de théâtre en trois actes mais qui n'a rien d'un vaudeville dont on rit et ressemble plutôt à une tragédie. Les choses y sont inversées puisque c'est l'épouse qui trompe son mari et non l'inverse, c'est François qui est la victime effacée…

     

    Je ne suis pas spécialiste mais, avec l'amour, on n'est jamais à l'abri d'une surprise, bonne ou mauvaise, mais quand même, je ne donne pas cher de la décision de Louise.

     

    Je l'ai déjà abondamment dit dans cette chronique J'aime bien les romans de Philippe Besson parce qu'ils sont écrits dans un style fluide et agréable à lire, parce qu'ils se prêtent à mon commentaire qui n'est peut-être que le résultat de mon imagination. Avec elle il m'arrive parfois de poursuivre la fiction.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Une bonne raison de se tuer

    La Feuille Volante n° 1135

    Une bonne raison de se tuer – Philippe Besson – Juillard.

     

    Novembre à Los Angeles est un peu frais et l'Amérique s'apprête à voter pour Obama. Laura Parker, 45 ans, divorcée, se réveille, solitaire et lointaine, dans cette ville étonnamment calme. Sa tête est vide, ses enfants sont loin et cette journée ne sera pas pour elle semblable aux autres. Samuel Jones, divorcé, est un peintre vaguement hippie, un homme un peu marginal. Il émerge lui aussi, mais son réveil plein de souvenirs ressemble à un retour de cuite, aujourd'hui il va enterrer son fils de 17 ans, Paul, qui s'est suicidé.  Il est un père désormais orphelin même s'il n'y a pas de mot pour exprimer cela. Laura et Samuel sont deux quidams qui, à ce moment du récit, ils ne valent pas mieux l'un que l'autre, lui à cause de son deuil et elle parce qu'elle a décidé de mettre fin à sa vie qui n'a été qu'un échec. L'auteur nous décrit leur dernière journée, presque banale, évoque leur histoire personnelle où la tristesse ordinaire domine et avec elle la certitude de ne pas être à sa place, la culpabilisation, les souvenirs, les questions et l'envie pour Laura de mettre un terme à ce qui est devenu avec le temps un poids insupportable.

     

    L'histoire fictive de ces deux personnages ne me paraît pas si éloignée de la réalité et nous avons tous un avis que la question, forcément forgé en fonction de notre caractère, de notre personnalité ou des événements qui ont jalonné notre parcours. C'est un vaste sujet que celui de la vie que l'auteur choisit de traiter à travers ces deux personnes qui ont en commun un mal-être qu'ils combattent comme ils peuvent : Samuel qui n'a jamais eu de chance et qui vient de perdre son fils unique et Laura qui jette sur son itinéraire personnel un regard désabusé. Tous les deux survivent comme ils le peuvent dans une vie au quotidien, accrochés à leurs souvenirs et à leurs regrets. Tous les deux ont une bonne raison de se tuer, sûrement différente de celle qui a projeté Paul dans la mort. L'auteur évoque leur vie qui se déroule indépendamment l'une de l'autre, ils ne se connaissent pas, finiront par se croiser par hasard mais cette rencontre sera presque muette, impersonnelle et je sais gré à l'auteur d'avoir évité l'épilogue facile auquel peu ou prou le lecteur s'attend, surtout sur fond de liesse populaire électorale, pensez-donc, un noir à la « Maison Blanche », ça ne s'était jamais vu !

     

    Philippe Besson choisit de nous parler de la vie en évitant de nous dire, comme une abondante littérature nous le rappelle à l'envi, qu'elle est belle et qu'elle vaut la peine d'être vécue. Cela, on l'entend tous les jours, comme si elle était un long fleuve tranquille, comme si elle ne nous réservait pas plus d'épreuves que de joies. C'est un poncif, mais face à elle, il y a différentes manières de réagir. Samuel entame sa résilience qui sera longue et douloureuse. Son art l'y aidera peut-être mais il y a fort à parier que ses tableaux en seront les témoins et que « cette belle lumière » qu'il est venu chercher sur la côte ouest prendra des teintes grises et sombres. Laura a une attitude inverse et tente, par le travail et un semblant de lutte quotidienne, d'exorciser ses souvenirs d'avant, quand elle était mariée et avait une famille. Tous les deux sont assaillis par la culpabilisation de n'avoir peut-être pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait, par les remords , par la malchance qui s'attache à leurs pas depuis le début aussi, mais si la mort de son fils bouleverse Samuel, c'est la décision de Laura pour elle-même qui la perturbe parce qu'on la sent épuisée, entre hésitations et déterminations. Je note que l'auteur n'a pas résisté à s'insinuer dans son propre roman par un clin d’œil malicieux. Est-ce pour lui la marque d'un solipsisme inévitable ou une manière de donner sa propre réponse à cette question ? Allez savoir !

     

    Il m'a semblé que l'auteur nous invitait aussi à réfléchir sur l'amour, la famille, la vie qu'on donne (ou qu'on impose) aux enfants qui vont naître de l’union d'un homme et d'une femme. Cette vie va couronner ou conforter leur amour, assurer une descendance ou n'être qu'un accident. ; On peut toujours y aller de ses projets, de ses serments, mais les choses changent et parfois la trahison et d'adultère s'insinuent dans les couples et les font éclater. On a certes le droit de refaire sa vie avec quelqu'un d'autre au nom d'une erreur parce que notre liberté nous en fait les propriétaires, mais nous appartient-elle vraiment ? Ce sont les enfants qui paient ce genre de bouleversements, ils en sont durablement ébranlés et leur vie future reste marquée par cette épreuve pour laquelle ils ne sont pas préparés, au point parfois de la reproduire eux-mêmes. Paul a dû être à ce point ravagé par la séparation de ses parents qu'il a voulu briser sa solitude et qu'un échec sentimental lui a paru insurmontable. Samuel et Laura ont connu ce conflit conjugal et ne voient leurs enfants qu'au titre du « droit de visite », c'est à dire en pointillés et cet éclatement, cette vie entre deux foyers, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire en parlant des « familles recomposées », n'est pas vraiment pour eux un facteur d'équilibre, pas plus d'ailleurs que pour leurs parents restés seuls parce qu'ils ont été abandonnés par leur conjoint. Est-ce là, une bonne raison de se tuer ? Qu'on ne compte pas sur moi pour répondre à cette question mais l'état de déréliction qui résulte de ces situations conduit parfois à l'autodestruction à petit feu par l'alcool ou la drogue, ou au suicide parce que la vie est soudain devenue insupportable, parce que c'est une délivrance et qu'on n'a plus la patience d'attendre, qu'on a le sentiment de ne plus servir à rien ni à personne, qu'on n'a plus le courage de résister...

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, mais j'associe souvent Philippe Besson au peintre américain Edward Hopper, comme si aux mots de l'un répondaient les couleurs silencieuses de l'autre ; comme si les personnages qu'ils nous donnent à voir, chacun à leur manière, avaient en commun cette vacuité, cette solitude, cette attente désespérée d'on se sait trop quoi, cette interrogation silencieuse coincée entre un passé trop lourd et un avenir trop incertain, des hommes et des femmes accablés par le chagrin, la détresse ou la souffrance, l'incompréhension, les remords et qui ne parviennent pas à se convaincre que cette vie peut être belle, comme si leurs deux talents donnaient à voir des êtres perdus dans cette société humaine dont on nous dit qu'elle est caractérisée par la vitesse, la communication, l’entraide... Chacun dans leur style ils expriment, pour l'avoir sans doute vécu douloureusement eux-mêmes, ces drames intimes et anonymes du quotidien qui se déroulent dans l'indifférence générale, ces certitudes d'être inutiles pour soi-mêmes et pour les autres, de n'être rien qu'une vie qui ne vaut rien, qu'une somme de jours qu'on peut interrompre parce que cela passera inaperçus et que ce sera une délivrance.

     

    La musique des mots de Besson est à la fois fluide et triste mais elle me parle et j'y suis sensible.  J'ai lu ce roman passionnant et fort bien écrit avec passion et ces courts chapitres montrent bien cette écume des jours et tressent cette ambiance familière d'un quotidien dérisoire et déprimant qui vous broie et vous détruit à petit feu, loin des clichés illusoires d'une vie idéale qui n'existe pas.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Vivre vite

    La Feuille Volante n° 1132

    VIVRE VITE – Philippe Besson – Julliard.

     

    Avait-il l'intuition qu'il ne vivrait pas longtemps pour vivre aussi intensément, aussi vite ?

     

    De santé fragile, Jimmy Dean a perdu sa mère de bonne heure, victime d'un cancer, ce qui lui valut d'être confié par son père à un oncle et une tante dans l'Indiana où il a grandi. Cette absence maternelle, compliquée par un éloignement d'avec son père avec qui il était étranger, ont certainement fait de lui un être sensible, plus doué en tout cas pour le théâtre que pour le base-ball, un enfant au caractère difficile, myope, basketteur, impétueux, fragile et tourmenté. La vie aura toujours pour lui la saveur de la vitesse, du whisky, de l'aventure parce que son talent et sa chance ont servi une existence éphémère.

     

    Philippe Besson insiste sur l'homosexualité de James Dean mais il est beaucoup plus vraisemblable qu'il était bisexuel, compte tenu de ses nombreuses liaisons avec des hommes et des femmes, mais toutes ces rencontres ont été déterminantes pour la suite de sa courte carrière

     

    Il fait partie de ses hommes et de ces femmes qui, même s'ils n'ont fait en ce monde qu'un bref passage, y gardent le rôle d'icône populaire et leur visage est omniprésent. Il n'a tourné que trois films importants mais il incarne sa génération et sert de modèle aux autres, symbolise la jeunesse et la beauté éternelles, une légende !

     

    C'est un livre qui se lit vite peut-être à cause du style toujours aussi fluide et agréable à lire de Philippe Besson mais aussi peut-être parce que son rythme soutenu, sous forme de courtes interventions romancées de ceux qui ont croisé sa route ainsi que de remarques attribuées fictivement à James Dean lui-même, s'est calqué sur celui de sa vie brève et intense.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Un tango en bord de mer

    La Feuille Volante n° 1129

    Un tango en bord de mer Philippe Besson – Julliard (Theâtre)

     

    C'est une histoire d'amour presque banale, celle que se termine par une rupture brusque, presque en catimini entre « Lui », Stéphane, la quarantaine, écrivain connu et reconnu et « l'autre », Vincent, vingt-deux ans, genre « latin lover ». Ils se sont aimés puis se sont quittés depuis deux ans et se retrouvent presque au bar d'un hôtel de luxe étonnamment vide, sorte de bateau ivre, au bord de la mer, la nuit. Au début, le lecteur a l'impression que cette rencontre est fortuite entre deux hommes qui se connaissent, puis, petit à petit il apprend que le hasard n'y est pour rien et que c'est Vincent qui est parti. Cette rupture n'a pas été sans souffrance, surtout pour Stéphane, abandonné sans explication. Ce huis-clos incite à la confidence et les hommes vont réveiller leur passé commun avec ses violences, ses regrets, ses remords, ses trahisons, sa passion aussi sans qu'on sache très bien la motivation de leur rupture. Pour eux aussi, au début, leur liaison a été heureuse avec la découverte de l'autre et le plaisir de vivre à ses côtés puis l'habitude s'est installée et avec elle l'usure des choses et l'étouffement de la routine. C'est Stéphane qui en a le plus souffert, à cause de la différence d'âge sans doute, de la tromperie et du départ de Vincent, puis petit à petit, l'alcool aidant, des reproches fusent, l'auteur défend sa qualité d'écrivain, son droit à la création et celui de prendre des modèles là où il veut jusques et y compris dans son entourage immédiat, parle de son métier de créateur, de ses grandeurs et de ses servitudes, des avantages qu'il procure aussi, l'argent et la notoriété tant désirée et si ardemment entretenue, de la qualité d’intellectuel reconnue et qui met l'auteur au-dessus du commun des mortels, de la spécificité de l'écriture, de solitude devant la page blanche, face aux personnages qu'il a lui-même crées et qui parfois lui échappent. Stéphane défend l'écriture comme étant un exorcisme, une catharsis, une source de créativité mais aussi une façon de panser ses plaies intimes, de faire pièce à sa souffrance quand Vincent montre une certaine jalousie d'avoir été, sans qu'il le veuille, l'objet des livres de son amant. D'évidence Stéphane parle de son art avec passion sur le ton de la justification et Vincent fait montre d'une certaine distance, qui, à ses yeux peut-être, à justifié son départ. Si l'un est de bonne foi, l'autre le semble sur la défensive. Immanquablement, leur ancien attachement va susciter des questions sur ce qu'il reste de cet amour qui fut, apparemment très fort, sur le hasard qui les a fait se rencontrer à nouveau, peut-être ou peut-être pas.

    Philippe Besson est surtout connu pour ses romans. Ici c'est une pièce de théâtre en un acte et un tableau, avec des dialogues entrecoupés de monologues, dans un décor à la fois anonyme et romantique (le bord de mer), avec de la vodka, où il est difficile de ne pas voir un épisode autobiographique mais aussi une sorte d'exercice de style de la part de Philippe Besson. Au-delà de la relation homosexuelle pour laquelle il ne manque pas de gens soit pour la rejeter au nom d'une morale désuète ou le simple besoin d'enfants, soit pour la justifier au motif qu'on a plus de points communs avec quelqu’un de son sexe que du sexe opposé, je me suis toujours demandé si la solitude n'était pas la meilleure solution dans cette vie. Vincent va opter pour un projet de mariage traditionnel avec une femme, rejetant son passé au nom du « petit tas de secrets » dont parlait Malraux, de son droit à l'oubli et son pari sur l'avenir, alors que Stéphane tient à sa sexualité et ne s'est pas remis de la fuite de Vincent et qui n'a vécu depuis que des toquades. La discussion dérape ensuite sur la mort par suicide ou par meurtre mais en ayant soin de le pratiquer pleine jeunesse, comme si c'était la conclusion obligée d'une relation homosexuelle, une sorte d'impossibilité de se réaliser, de refuser la vieillesse et sa décrépitude, d'être romanesque jusqu'au bout, sur une plage, comme Pasolini.

     

    Tout au long de ce dialogue, on sent la nostalgie de Stéphane et l''envie de Vincent de passer à autre chose. Il a tourné la page de cette passade mais n'est plus très sûr de lui !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • "Arrête avec tes mensonges"

    La Feuille Volante n° 1126

    « Arrête avec tes mensonges » - Philippe Besson – Juillard.

     

    Ce titre en forme de remontrance qu'on fait à un enfant viendrait, selon l'auteur, d'une réflexion de sa mère, inquiète de voir son très jeune fils inventer (déjà) une vie aux gens qu'il croisait par hasard. Ce ne sont pourtant pas des mensonges que nous livre Philippe Besson dans ce roman écrit à la première personne et qui prend des allures autobiographiques en trois temps. Il choisit en effet trois moments de sa vie, en 1984, alors qu'il a 17 ans et qu'il découvre l'amour dans la petite ville de Charente où il habite, avec Thomas Andrieux, élève dans le même collège (ce même nom se retrouve, comme une obsession sans doute, dans son roman « Son frère ») qu'il croit reconnaître ans un hall d'hôtel bien des années après. De cette première expérience sexuelle il ressort ébloui, lui le garçon quelconque et myope, mais aussi conscient que cette relation doit restée cachée, ce qui lui donne un sentiment complexe de la peur d'être découvert et de l'abandon. Le deuxième chapitre se passe en 2007, puis le dernier en 2016. L'auteur n'a jamais oublié cet amour de jeunesse, interdit et objet de jalousie de sa part puisque Thomas plaît aux filles mais la rencontre a quand même lieu parce que l'attirance est réciproque. L'auteur parle des rendez-vous clandestins, de la découverte du corps de l'autre, du plaisir qu'il prend à chaque geste, de la découverte des films sur l'homosexualité, de la peur du Sida qui tue irrémédiablement, de la nécessité de cacher cet amour inavouable alors qu'il voudrait le révéler publiquement, la peur de voir finir cette passade avec l'usure du temps, les événements de la vie et l'image de Thomas qui peu à peu s'efface,

    En 2007, c'est Bordeaux revenue à la vie de ses belles pierres ocres et lui est devenu l'écrivain que nous connaissons. Il n'a pas oublié ce Thomas qu'il croit reconnaître dans la foule anonyme. Ce n'est pas lui, mais l'homme cède à la sollicitation de Philippe. C'est Lucas, le fils de Thomas qui déroule l'histoire paternelle: il s'est marié dans cette Espagne catholique, un signe du destin peut-être pour que les choses reviennent à leur vraie place, et malgré la tristesse de cet homme que trahissent les photos, le retour en Charente, Philippe a la satisfaction de savoir que Thomas n'a rien oublié...mais cette rencontre sera sans lendemain, comme pour garder intact ce souvenir.

    2016 nouvelle rencontre avec Lucas mais sollicitée par ce dernier. Dès lors les souvenirs se bousculent dans la tête de Philippe autant que les interrogations devant l'évidence, devant la relation que fait Luca des différentes phases du parcours de son père, de ses remises en cause, de ses renoncements du passé et de ses espoirs en l'avenir, avec tout le mystère qui entoure ses décisions. Tout cela fait de cet homme un étranger pour son propre fils, un inconnu pour ceux qui le côtoyaient et croyaient le connaître, un absent volontaire et anonyme dans ses trahisons, ses atermoiements, ses défections, sa honte, son appétit de liberté, son droit au silence, au droit d'écrire des lettres qui ne seront jamais envoyées et la fidélité à sa propre mémoire affective et amoureuse. Tout cela ne va pas sans émotions teintées peut-être d'impuissance pour Philippe 

     

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime lire Philippe Besson, j'apprécie son style sobre, la fluidité de sa phrase, sa manière simple de s'exprimer...Il m'est certes arrivé, au cours de:mes lectures de ne pas être toujours enthousiaste au regard du sujet traité qui est souvent le même, une sorte de manière d'être « mono-thématique à tendance obsessionnelle », mais cette fois,encore je dois dire que j'ai apprécié sa spontanéité, sa sincérité, même si je ne partage pas ses choix en la matière. L'homosexualité n'est heureusement plus tabou aujourd'hui même si cela est finalement assez récent et que « l’Église» a enfin cessé ses admonestations hypocrites et admet enfin ses fautes et ses errements coupables. En parler, écrire des livres à ce sujet, est sans doute salutaire pour lui et l'écriture se révèle encore une fois être une catharsis quand Thomas pourrait parfaitement nié cet épisode de sa jeunesse.

     

    J'ai toujours été attiré et peut-être fasciné par l’univers créatif des écrivains qui puisent dans leur vécu autant que dans leur imagination la trame de leurs livres sans qu'il me soit évidemment possible de dissocier l'un de l'autre. Mettre des mots sur ses maux m'a toujours paru à la fois salutaire et dérisoire puisque, à la fin, et à titre exclusivement personnel, je ne suis plus très sûr de l'aspect réellement efficace de cette démarche. Les romans de Philippe Bessons, qui sont autant de pièces d'un puzzle, sont néanmoins là pour témoigner de cette quête et je ne lui ferai pas l'injure de douter de sa bonne foi. Ses romans servent au moins aux autres qui vivent la même chose, à s'accepter comme ils sont par le seul fait qu'ils ne se savent plus seuls ; ils le lui disent d'ailleurs lors des séances de dédicace en librairie. Pour les témoins que nous sommes tous, il nous reste ce bon moment de lecture, parce que je considère Philippe Besson comme un bon serviteur de notre belle langue française, comme un écrivain délicat dans l'analyse des choses de cette vie qui pourtant n'est pas toujours belle !

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • LA MAISON ATLANTIQUE

    N°873– Février 2015

    LA MAISON ATLANTIQUE – Philippe Besson – Juillard.

    Au départ, une maison au bord de la mer en été où un père, brillant avocat d'affaires, retrouve pour quelques jours son fils, après quelques années de séparation et pas mal d'épreuves ; C'est donc une résidence secondaire, pleine de souvenirs. Tout aurait dû être pour le mieux, une période de vacances avec son farniente, son soleil mais, évidemment ce huis-clos familial un peu forcé augure mal de la suite. Dès le départ on sent bien une atmosphère tendue entre le fils qui est aussi le narrateur et son père, Guillaume, et cette « unité de lieu » donne aux faits évoqués la dimension d'une tragédie où les souvenirs, forcément mauvais, ne vont pas tarder à ressurgir. On convoque le passé, parfois par la seule force de sa mémoire, parfois en l'habillant de mots, mais c'est le silence qui dès lors prévaut avec ses regrets, ses remords, ses aventures d’adolescent, ses fantômes, celui de la mère notamment. Le présent aussi s'invite avec ses vieilles rancœurs. Avec lui reviennent les vieux démons du père, divorcé depuis quelques années et qui ne peut croiser une jeune et jolie femme sans vouloir la séduire. Cécile, la femme du couple qui s'installe en voisin, sera pour lui une proie, parce qu'il décèle chez elle une fragilité dont il va jouer, et profiter. Elle montre aussi une sorte d'envie mal refoulée, une appétence pour la liberté, une volonté peut-être de profiter de la confiance aveugle d'un mari trop amoureux, trop naïf, trop candide. Et puis c'est l'été, la saison des amours éphémères, des aventures sans lendemain... Ce n'est certes pas original comme situation mais ce n'est pour autant pas un banal vaudeville à la Feydeau et tous les éléments du drame sont en place avec cette mécanique implacable où la chance semble être du côté des fautifs, ce qui augmente le malaise. Ce genre de situation est d'une banalité sans nom, n'honore guère les participants qui, pour quelques moments de fugace plaisir et un très hypothétique amour vont remettre en cause leur vie mais bien souvent aussi celle des autres ; son issue, on l'imagine, ne va pas briller par sa nouveauté. ( « Les histoires d'amour se terminent mal en général » , air connu). Celle-là, dont l'auteur nous offre avec un vrai sens du suspens, les moindres détails et les états d'âmes du narrateur, n'échappera pas à la règle.

    Ainsi, cette période de vacances qui était censée rapprocher le père de son fils va contribuer à les éloigner l’un de l'autre, définitivement. En effet, les années de renoncement, d’indifférence, de trahison vont revenir d'un coup et charger cette atmosphère de haine. Durant toute la durée de ce roman, on sent le fils, le narrateur, un peu paumé dans le monde de son père qui, à l'évidence n'est pas fait pour lui. Il le sait, il en est le spectateur, n'en sera jamais l'acteur mais déplore aussi les victimes de son prédateur de père, son attitude à la fois désinvolte et égoïste.

    Il y a une dimension de culpabilisation constamment rappelée par le narrateur dans ce texte par rapport à ses silences devant de donjuanisme paternel et les souffrances vécues par sa mère et qui l'emporteront. Personnellement, je me suis toujours inscris en faux au regard de cette vision judéo-chrétienne des choses qui empoisonne la vie des gens. Il y a peut-être autre chose. Le narrateur se rapprocherait bien de Cécile qui ne lui est pas indifférente et dont l'âge lui paraît beaucoup plus compatible avec le sien, mais il est supplanté par son père plus entreprenant, plus attirant peut-être ? C'était un peu comme si le différent entre le père et le fils, latent jusqu'à présent, prenait ici une dimension différente, plus passionnelle, plus rituelle, le fils sortant enfin d'une adolescence prolongée et le père faisant perdurer un peu artificiellement une vie de séducteur sur le déclin. Dans cette relation de dupe, le mari, Raphaël, « cocu magnifique » tant moqué par le théâtre de boulevard, me paraît être carrément mis de côté et joue le rôle d'un mari honnête qui ne voit rien des turpitudes (habituelles?) de sa jeune épouse. On ne sait même pas faire vraiment la différence dans son attitude entre la volonté de ne rien voir, d'être accommodant, voire lâche et celle de témoigner à Cécile une confiance aveugle. On dirait volontiers qu'il se la fait « voler » mais mais c'est ramener cette dernière à un simple objet passif qu'on peut s'approprier alors que d'évidence elle joue un rôle actif dans cette relation adultère.

    Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je voudrais dire un petit mot sur la couverture de ce livre. Certes elle fait aussi partie du roman mais elle n'a, le plus souvent, que des fonctions attractives et des fins bassement commerciales. Ici, j'y vois peut-être autre chose. Elle représente un tableau du peintre américain Edward Hopper dont cette chronique a déjà parlé. Y figurent une maison au bord de la mer et un voilier ce qui va bien avec le titre. Compte tenu de l'attachement du peintre pour la Nouvelle-Angleterre et le cap Cod, on peut penser que ce paysage s'y rapporte. Le roman lui se situe en France, dans une ville balnéaire sans autres précisions. Ce qui me paraît important, c’est le rapprochement entre le peintre et le romancier. Avec « L’arrière-saison »(La Feuille Volante n°604) et aussi dans un certain nombre d'articles, Philippe Besson a clairement établi cette « parenté » artistique. C’est peut-être à cause de cela que je les associe maintenant tous les deux et que lorsque j'ouvre un de ses romans, ce sont les images et l’ambiance distillées par les toiles de Hopper qui me viennent à la mémoire.

    Une autre chose est intéressante et qui vient des différentes interviews où l'auteur précise que cette histoire n'a rien d'autobiographique mais qui au contraire est un œuvre de fiction parfaitement inventée. Le père dont il est question n'est pas celui de l'auteur comme l'atteste la dédicace non équivoque. Besson se pose donc ici en un véritable raconteur d'histoires. C'est en effet tout un art de tisser sur le néant de la feuille blanche un décor, une trame quasi-policière et une vrai étude psychologique des personnages tout en tenant en haleine son lecteur jusqu'à la fin. Il nous régale avec son habituel style à la fois fluide, simple, facile et agréable à lire qui distille une petite musique pleine de nostalgie et de sensibilité.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ENFANT D'OCTOBRE

    N°785 – Août 2014.

    L'ENFANT D'OCTOBRE - Philippe Besson-Grasset.(2006)

    Les gens de ma génération ne peuvent oublier « l'affaire Grégory », ce petit garçon de 4 ans retrouvé noyé dans la Vologne au soir du 16 octobre 1984, qui est toujours et sans doute pour toujours inexpliquée et ce crime impuni. La photo de garçonnet, rieur et les cheveux bouclés est dans toutes les mémoires. Cette affaire qui a tenu la France entière en haleine n'est pas officiellement terminée puisque relancée en 2013, mais les chances d'aboutir sont de plus en plus minces. Il y a eu ce meurtre atroce puisqu'il a été commis sur la personne d'un enfant sans défense mais il y eu aussi des indices mal exploités ou effacés, l'amateurisme dans l'enquête de gendarmerie puis des hésitations dans celle de la police, un juge trop jeune, sans expérience, complètement dépassé, un dysfonctionnement de la justice, des coupables trop vite trouvés puis relâchés ou exécuté pour l'un d'entre eux, des rebondissements nombreux, des jalousies familiales, de vieilles querelles, la vie difficile dans cette contrée des Vosges, une parentèle qui se déchire, un « corbeau » menaçant mais invisible, la pression médiatique et au bout du compte un constat d'échec, l'impossibilité de connaître la vérité ! De reconstitutions en annulations de procédure, de dénonciations en rétractations, de trahisons en lynchage médiatique, d’incarcérations en libérations, d’expertises accusatoires en en conclusions contradictoires, de maladresses des enquêteurs en pièces à conviction, de « crime parfait » en absence de mobile, d'intime conviction du juge en absence de preuves, d'obligation de résultats en oubli des principes élémentaires du droit, de nominations successives de magistrats instructeurs en jugement de non-lieu, cette affaire va de plus en plus à vau-l'eau entre cadavres et enfants à naître.Tout et le contraire de tout !

    C'est un roman et l'auteur imagine comment Jean-Marie et Christine se sont rencontrés, ont bâti leur vie. Il écrit sa fiction en y mêlant la réalité des informations qu'il détient. Il donne la parole à Christine, comme si elle était invitée à se confier à la feuille blanche, des pages imaginaires en quelque sorte. A travers son témoignage, le lecteur sent l'évolution de cette affaire où elle passe de la situation de mère éplorée ayant perdu son enfant unique à celle de coupable d'infanticide contre qui les experts et la presse vont se déchaîner pour enfin recouvrer la liberté. Elle doit maintenant faire face à l'opinion publique qui voit en elle une criminelle très présentable, d'autant que son mari vient de désigner et d'exécuter celui qui, à ses yeux, est le vrai coupable, et chacun de se faire sa propre opinion, subjective évidemment !

    Je n'ai malheureusement pas retrouvé le style agréable que j'avais apprécié dans les précédents romans de Besson. Ce livre est écrit avec une certaine froideur, comme une chronique judiciaire, à cause sans doute du sujet choisi. Il apporte un éclairage personnel sur l'enquête ce qui, immanquablement, amène le lecteur à se faire sa propre opinion. Pourquoi Philippe Besson, qui est un bon romancier, s’est-il dédié à une affaire criminelle en s'en faisant le chroniqueur ? J'ai personnellement du mal à voir ici un roman ordinaire et j'ai ressenti un véritable malaise à sa lecture. D’ailleurs une plainte a été déposée par les époux Villemin et l'auteur et l'éditeur ont été condamnés pour diffamation à 40 000 € d'amende. Il a peut-être voulu mettre en lumière les travers de l'espèce humaine, mais pourquoi l'avoir fait dans ce cadre là et surtout de cette manière ?

    Cette affaire est de celles qui ont bouleversé la France entière, de la même veine que d'affaire Dreyfus, toutes proportions gardées, ou que celle de Bruay en Artois. Ces deux crimes de sang, deux véritables tragédies modernes, resteront probablement à jamais non élucidés. Demeureront le chagrin des Villemin d'avoir perdu leur fils et le calvaire qu'ils ont dû subir, comme si la perte d'un enfant ne suffisait pas, un enfant assassiné mais sans assassin, une absence et une tombe pour le reste de leur vie.

    Je n'ai pas aimé ce livre abusivement appelé « roman ».

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson

     

    N°614– Décembre 2012.

    UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson- Juillard

    Depuis que j'ai croisé l’œuvre de Philippe Besson sur les étagères d'une bibliothèque et que cette chronique s'est fait l'écho de pratiquement la totalité de ce qu'il a publié, j'avoue bien volontiers que c’est la première fois que j'ai tant hésité à poursuivre la lecture d'un de ses livres. Il m'est même, à plusieurs reprises tombé des mains et je dois sans doute à son style fluide et agréable à lire, à sa phrase simple, précise et faite de mots sans prétention d'avoir poursuivi ma lecture. Peut-être aussi parce que cette histoire se déroule sous le soleil d'automne, à Florence, cette merveilleuse ville toscane qui porte un nom de femme ?

    Pourtant, cette histoire est un peu déconcertante. Sur les rives de l'Arno, en contre-bas du Ponte Santa Trinita, on a découvert au matin le cadavre d'un jeune homme, Luca Salieri, 29 ans. Accident, suicide ou meurtre ? Cette cité est celle des énigmes et, par conséquent, le cadre était plutôt bien choisi. Le lecteur s'attend donc à lire un roman policier, mais ce n'en est pas vraiment un, puisque le narrateur n’est autre... que le cadavre lui-même ! C'est lui d'ailleurs qui raconte la découverte de son corps, les questions que ne manquent pas de se poser les enquêteurs en pareil cas, l'autopsie, l'enterrement et j'en passe. Il n'est d'ailleurs pas avare de détails [« Voici que les vers s'attaquent à l'armature, que les asticots prospèrent, que la vermine accourt pour se nourrir de ma viande en décomposition, que des larves s'extirpent de mes orbites creusées. »]. C'est lui aussi qui donne la clé de l'énigme. Bien entendu, il parle à la première personne tout comme les deux autres personnages principaux, Anna Morante, sa compagne et Leo Bertina, un petit prostitué un peu minable qui officie dans le quartier de la gare. Ils interviennent directement et alternativement dans le récit, dévoilant petit à petit leur rôle dans cette affaire et surtout dans la vie de Lucas. A Anna, Luca réservait le mensonge et à Leo le silence. Ces deux portraits croisés vont petit à petit éclairer cette énigme, révélant le rôle personnel qu'ils ont pu y jouer et aussi la personnalité de Luca. Au fil des pages l'intrigue policière s'estompe peu à peu pour disparaître complètement par le biais d'une banale décision administrative. A sa place, Besson y substitue une histoire d'amour mais pas exactement celle à laquelle on pouvait s'attendre. Anna formait avec Luca un couple et un mariage était envisagé. A ce titre et puisque c'est elle qui a signalé sa disparition, elle est interrogée par la police mais prend petit à petit conscience des pointillés et des petits mystères qui existaient entre eux. Elle les supportait cependant par attachement et peut-être par amour pour Luca mais les investigations policières vont progressivement les éclairer et les expliquer. A côté de cette relation quasi-amoureuse, le lecteur assiste à la révélation d'une véritable liaison entre Luca et Leo qui met en évidence une hypocrisie familiale. Pourtant c'est Luca lui-même qui les réuni autour de son cercueil « Anna, Leo, de grâce, soyez assurés que j'emporte votre image avec moi ».

    Les autres intervenants secondaires, ses parents notamment, sont juste évoqués, comme des étrangers.

    C'est un peu comme si un mort-vivant nous raconterait ce qu'il « voit » à l'extérieur et ce qui lui passe par la tête, égrenant ses souvenirs et ses remords . Il le fait sur le ton léger de la vie, sans aucune angoisse de la mort, avec détachement et même soulagement d'avoir été enfin, par le hasard, débarrassé d'un fardeau. Il avait dû espérer quelque chose de cette existence qu'il n'a cependant pas obtenu d'elle, une sorte d'impossibilité à mener ce ménage impossible, ce trio qui ne pouvait que déboucher sur le scandale ou sur le néant. Il prend cette aventure avec un certain fatalisme et même de l'humour. Il est vrai qu'on peut toujours rire de tout, même des événements les plus inattendus et que c'est une arme efficace, même contre les tragédies... Pourtant Lucas avait tout pour être heureux, une bonne famille bourgeoise, une compagne jeune, jolie et aimante et ce Leo qu'il semblait avoir bien connu. Il incarnait pourtant sa face cachée, son aspiration vers autre chose, sa fêlure aussi, une autre vie impossible à réaliser. Philippe Besson cite d'ailleurs plusieurs fois Cesare Pavese, écrivain italien, auteur entre autre du « Métier de vivre » qui se suicidera.

    J'observe que Luca est mort jeune et que pour l'éternité il gardera les traits lisses de son visage, la souplesse de son corps, personne ne le verra vieillir et lui ne sentira pas ses os se déformer et ses yeux s'éteindre. C'est le thème de la jeunesse et de beauté des corps qui revient encore une fois sous la plume de Besson, allié aussi à l'obsession de la mort. Certes il y a l'homosexualité présentée ici comme la part d'ombre de Luca mais ce que je retiens aussi c'est l'hypocrisie, la trahison qu'il pointe du doigt et qui caractérisent tant l'espèce humaine et la rend définitivement détestable.

    Au début j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman. J'ai persisté dans sa lecture et je ne le regrette pas.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson

     

    N°613– Décembre 2012.

    SE RESOUDRE AUX ADIEUX – Philippe Besson - Juillard

    Il y a quelque chose de pathétique dans cette série de lettres que Louise adresse à Clément, l'homme qu'elle aime et qui l'a quittée. Elle les lui envoie cependant et sait que, bien qu'elle note son adresse au dos de l'enveloppe, il ne les lira pas, pire peut-être, reconnaissant son écriture, il les détruira avant de les ouvrir. Ce sont autant de bouteilles jetées à la mer puisqu'elle a choisi de mettre entre ce Clément et elle l'espace d'un océan, une étendue d'eau, celle de Cuba, de New-York ou de Venise. Elle ne peut en effet se résoudre à oublier cet homme et évoque les lieux d'où elle écrit ses missives, de Venise, de New-York et, évidemment de Paris, égrenant pour lui les bons et les mauvais moments.

    C'est donc un roman sur le chagrin amoureux d’une femme abandonnée qui a choisi de s'isoler du monde dans un endroit où personne ne pourra la localiser bien que, paradoxe, elle précise son adresse pour Clément. Seule Jeanne, son amie sait où elle est mais elle a promis le silence. Elle les égrène avec des chansons de Barbara ou d'Aznavour, comme un fil d'Ariane. Elle sait pourtant que ses mots sont sans espoir et que Clément restera avec Claire, celle avec qui il forme un couple officiel sinon légitime. «  Tu dois te demander ce que je cherche en t'écrivant . Rien  La réponse est rien. ». Il y a quand même des ressentiments dans ces lettres, pire, elles ne sont faites que de cela, entre humiliation de l'adultère, de la trahison et rancune de l'échec, entre fantasmes et faux espoirs.

    Pourtant il y a cet acte d’écriture qui, comme le note pertinemment l'auteur peut parfaitement cacher les choses [« L'écriture est un travestissement si on le désire »] Elle demande du courage cependant. J'ai déjà dit dans cette chronique, et spécialement à propos de cet auteur, le rôle apaisant de l'écriture. On sent que Louise est meurtrie par l'abandon de Clément, d'autant qu'il s'accompagne de sa part d'hypocrisies et de lâchetés ordinaires. Je trouve personnellement des vertus à l'écriture, même si je ne sais pas l'expliquer et je n'y vois pas, comme pour les médicaments, de contre-indications ou de l’accoutumance, mais ce n’est pas là un défaut, au contraire. C'est pourtant le seul moyen qu'elle a trouvé pour exorciser cette absence mais son soliloque tourne court. On imagine Clément déchirant les enveloppes avant que de les lire, indifférent aux états d'âme amoureux de son expéditrice. Cette écriture reste cependant celle « du souvenir du bonheur ». De même le voyage, le dépaysement avec leur lot d’aventures, de hasards, de découvertes, de passades peut-être restent un ersatz et la compagnie de Clément pendant ce périple est une fiction entretenue artificiellement. Même si les foucades sont possibles, Louise ne cherche plus à séduire et poursuit inlassablement ses souvenirs qui ressemblent de plus en plus à des remords. Je ne suis pas sûr que ce dépaysement aide à la guérison, bien que Louise semble ressentir un mieux-être et entame une sorte de convalescence au fur et à mesure qu'elle se rapproche de Paris et de ses racines françaises. Bien qu'elle s’interroge «  Guérit-on jamais des hommes qui nous quittent ? », elle sait que lorsqu'elle rentrera chez elle, elle ne trouvera pas de traces de Clément ni dans sa boite aux lettres ni sur son répondeur. Elle espère encore mais cette tranquillité est trompeuse, artificielle.

    Louise reconnaît une chose qui n’est pas facile à admettre : Elle est inapte au bonheur. Face au désarroi de l'abandon, elle fait prévaloir la vie sur la mort, fait confiance au travail, au temps qui passe et qui sans doute efface tout, aux toquades possibles qu'elle considère comme une victoire facile, éphémère et parfois refusée. Savoir qu'elle peut encore plaire est une futilité, certes, mais une consolation qui se matérialise à la fin, dans une nouvelle vie.

    Dans d'autres chroniques consacrées à Philippe Besson j'ai eu l'occasion de vanter ses qualités de conteur. Sans les minimiser cette fois, je n'ai pas trouvé dans ce roman le souffle ordinaire que je goûte dans ses autres ouvrages. Seul son style, comme toujours, m'a plu mais la présentation sous forme de lettres unilatérales m'a paru un peu fastidieuse.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson

     

    N°612– Décembre 2012.

    RETOUR PARMI LES HOMMES – Philippe Besson - Juillard

    A la fin de « En l'absence des hommes » (La Feuille Volante n° 609) , Vincent de l’Étoile, meurtri par la mort d'Arthur était parti vers des contrées lointaines, une fuite pour adoucir ce deuil. Ainsi était-il parti, entre Afrique et Amérique, sur terre comme sur mer, avec pour seules boussoles le hasard et la liberté, loin de Paris et de ses 16 ans, de son éducation aristocratique, entre fantasmes et réalités, entre « bateau ivre » et aventures exotiques et même inattendues. En vain ! C'est une autre version de « l'homme aux semelles de vent » chère à Rimbaud, mais voyager, nous le savons, n'est pas guérit son âme. Cette période sabbatique de sept années est symbolique, elle répond sans doute aux sept jours pendant lesquels il avait vécu un amour parfait avec Arthur. A lui qu'il n'a toujours pas oublié, il parle par de-là la mort, évoquant cette semaine d'amour. Ce jeune homme qui aime les garçons mais ne laisse pas les femmes indifférentes a connu des aventures amoureuses fugaces mais sans lendemain. Il a choisi de rester fidèle à un mort !

    De Marcel Proust, il n'a eu que des nouvelles partielles, il a su qu'il avait connu la gloire, la consécration littéraire puis ce fut la mort après une courte agonie...Il revient donc chez lui pour apprendre que sa mère lointaine et hautaine l'a fait recherché et que son père est mort de son absence. Ce n’est cependant pas le retour du fils prodigue mais un accueil froid, plein de reproches. Blanche, leur gouvernante et la mère-célibataire d'Arthur s'en est allée et on a perdu sa trace. Madame de l’Étoile a choisi de s'engoncer dans un monde immobile et sans doute d'y attendre la mort et Vincent découvre un Paris qui a changé, qui veut oublier la guerre et qui s’abrutit dans les plaisirs un peu comme si ce XX° siècle tout neuf avait débuté en 1918. Lui reste malgré tout un jeune aristocrate qui remarque « Je suis né trop tard ou pas dans le bon pays » ;

    Vincent rencontre Raymond Radiguet, un jeune homme au talent précoce et plein d'avenir qui lui fait connaître Cocteau. Malgré son très jeune âge, il est déjà l'auteur de deux romans au parfum de scandale. Il le suit dans dans une sorte de folle équipée parisienne où le lecteur ne sait pas trop s'il s'y perd ou s'il s'y reconstruit. Dans ce tourbillon il rencontre des peintres, des écrivains...Il se remémore sa relation chaste et platonique avec Proust et en mène une autre avec Raymond qui aurait pu être torride mais ne l'est pas. Si l'auteur d' « A l'ombre des Jeunes filles en fleurs » se penchait sur le passé , Radiguet lui incarne l'avenir. Il est attiré par lui mais, malgré ses vingt ans Raymond meurt brutalement d'une fièvre typhoïde. Au cours de leur brève relation, il avait évoqué une noyade à laquelle il avait échappé de justesse notant avec prémonition «  C' aurait été une mort épatante. Tellement plus originale que le suicide ou la vieillesse ». Il ajoute même «  Et puis sait-on si on aura le temps de tout faire ? Mieux vaut commencer tôt » et Vincent rapproche cette remarque de sa propre existence «  Moi qui me suis contenté de fuir, d'errer sans but précis, moi qui n'ai rien commencé, rien terminé, moi qui ne suis qu'un ballon de carnaval arrimé à la main d'un enfant distrait.»

    Ainsi, autour de Vincent, ce n'est que la mort qui rode et le temps qui passe. Lui survit à tout cela, entre questionnement et culpabilité. Il note quand même dans l'ultime phrase de ce roman « Les morts me rendent la vie ». A n'en pas douter Vincent a gagné en maturité et choisit de s'éloigner de la mort.

    J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman, seule la fin a retenu mon intérêt. Malgré tout et comme toujours le style de Besson m'a plu.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson

     

    N°611– Décembre 2012.

    LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson - Juillard

     

    Sous la forme d'un journal intime, Isabelle, sœur d'Arthur Rimbaud, relate par le menu les derniers moments de son frère à partir de son retour en France . Nous sommes en 1890 et il n'a plus que quelques mois à vivre. A l'issue d'un séjour de 10 ans en Afrique où il voulait faire fortune, il revient se faire soigner une tumeur au genou qu'il a contractée là-bas mais on l'ampute à l’hôpital de Marseille. Elle se souvient d'Arthur, cet élève précoce et brillant sans doute promis à un bel avenir, cet adolescent insoumis épris de liberté et de voyages qui très tôt fuit cette ferme pour être ce garçon aux semelles de vent. C'est que, dans la famille, les hommes ont la bougeotte, comme le père, le capitaine Rimbaud qui abandonna les siens, comme Frédéric maintenant définitivement banni.

     

    Arthur a 35 ans, il a perdu toute la fougue révolutionnaire de son adolescence, son talent de poète aussi et s'il pratique encore l'écriture c'est pour s’enquérir de ses affaires avec ses associés restés en Afrique. La correspondance qu'il entretient cependant avec Isabelle et qui annonce sa venue dérange par son exclusivité et le tour personnel qu'elle prend. Il revient cependant dans cette maison où sa mère le considère comme une charge, lui, l'estropié qui ne pourra rien faire. C'est que, dans cette famille, les femmes sont solides, travailleuses et dures au mal et il n'y a jamais vraiment eu sa place malgré quelques rapide séjours. Isabelle est heureuse de le revoir, elle l'attend, se met à sa disposition quasi exclusive pour que ce séjour parmi les siens qu'elle suppose temporaire, lui soit le moins dur possible. C'est elle qui l'a accueilli, soigné, supporté ses blasphèmes et ses critiques, qui lui a parlé, qui l'a absout par avance pour tous ses débordements, qui l'a protégé contre la froideur de sa mère, contre la curiosité malsaine des paysans venus le voir comme une bête curieuse. C'est elle aussi qui l’accompagnera dans son dernier voyage vers la mort et qui reviendra avec son cercueil. Il meurt en novembre 1891 à 37 ans, avec ses rêves inaccomplis, son avenir à jamais brisé. Isabelle est attachée à sa mère à qui pourtant elle ne trouve aucune excuse, plus par devoir que par amour, cette femme indifférente, pingre, froide et autoritaire, figure tutélaire de cette famille désarticulée et déjà visitée par la mort puisque Vitalie, une autre fille est déjà morte.

     

    Isabelle est une femme de devoir puisqu’elle s'est assigné celui de sauver cet homme diminué qui souffre autant dans son corps que dans son cœur. Elle le connaît, se souvient de son appétit pour les plaisirs terrestres, sa gourmandise du monde, sa liaison scandaleuse avec Verlaine, sait son penchant homosexuel et comprend très vite que s'il veut rejoindre Aden, c'est moins pour faire perdurer son aventure exotique ou faire une hypothétique fortune que pour rejoindre Djami, un jeune abyssin qui fut son amant. Il n'incarne pas seulement la souffrance, c'est aussi un homme tourmenté. Ce qu'elle veut, en tenant ce journal c'est certes faire perdurer la mémoire de son frère sans cependant la salir face à cette société bien pensante et hypocrite. Elle se sacrifie pour Arthur comme elle restera soumise et fidèle à sa mère. Elle est cette vieille fille, vierge, perpétuellement vêtue de deuil, trop bigote et maintenant trop laide pour espérer se marier (Elle épousera cependant Paterne Berrichon en 1897) . C'est un peu comme si elle était l'épouse de substitution d'Arthur. Elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce frère qui lui est revenu quelqu'un trop longtemps absent et qui lui échappe. Tout au plus réussira-t-elle à sauver l'âme de ce mécréant!

     

    Il y a dans ce roman des thèmes chers à Besson, celui de l'homosexualité mais aussi celui des liens fraternels qui justifient tout (déjà rencontrés dans « son frère »), celui de la famille destinée à s'éteindre faute de descendants, celui de la mort aussi. Ici aussi un vivant écrit pour un disparu, pour que son souvenir ne se perde pas, pour que les traces qu'il a laissées sur terre ne soient pas trop tôt effacées, pour qu'on garde une place pour lui dans la mémoire face à une espèce humaine oublieuse par essence ou par habitude. Les mots abolissent ainsi le temps, font échec à l'amnésie.

     

    Je suis assez fasciné par la faculté qu'a l'écrivain, de raconter une histoire même fictive, de refaire le monde, de recomposer pour son lecteur l'histoire d'un personnage, de lui prêter des sentiments , des fantasmes et des phobies, face à la feuille blanche.

     

    Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique le style fluide de l'auteur me procure, comme toujours, un bon moment de lecture.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • SON FRERE – Philippe Besson

     

    N°610– Décembre 2012.

    SON FRERE – Philippe Besson - Juillard

    Lucas Andrieu, le narrateur, va raconter, sous la forme d'un journal, avec cependant des analepses, les derniers moments de son frère, Thomas, atteint d'une incurable maladie du sang. Il le mêle, dans la relation qu'il en fait, à l'ambiance déshumanisée des hôpitaux, les tâtonnements des médecins, leur apparent détachement, les soins douloureux et parfois barbares aux souvenirs communs qu'il a avec ce frère qui va mourir. Il replace ces scènes à St Clément des Baleines, à l’extrême pointe de l’île de Ré où, selon une légende non vérifiée, des cétacés venaient mourir. Ici aussi se trouve leur maison de vacances, blanche, aux volets verts avec le ciel bleu et la sable fin, une vraie carte postale d'été. Face au silence obligé du début, à des parents très absents, incompréhensifs et impuissants, à Claire « aux yeux clairs »,  « la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes », la compagne de Thomas qui choisit la fuite, Lucas va prendre l'énorme charge de cette douleur et de cette épreuve. Lui, l’aîné, le complice, accompagnera son frère jusqu'à la mort.[« C'est auprès de moi que chacun vient exprimer son angoisse, sa détresse. Pour la énième fois de ma vie, je joue le rôle du substitut de Thomas »]. Pourtant, la mort a déjà frappé cette famille ordinaire avec la non-naissance de Clément. Ce décès annoncé ne fait que raviver la douleur, le deuil, l'impuissance...

    Ils ont peu de différence d'âge et se ressemblent physiquement comme des jumeaux mais leurs parents ont toujours préféré Thomas plus expansif, plus amoureux de la vie. Lucas, lui est solitaire et mélancolique. Pourtant, entre eux, il n'y a jamais eu de concurrence. Ils sont jeunes, ont la vie devant eux et des rêves plein la tête, mais l'un d'eux va mourir. La camarde va s'acharner sur lui, lentement, avec des périodes d'apparente rémission, dans un contexte apaisant des vacances à la mer, une sorte de dernier salut à la vie, dans le souvenir lumineux de ce qu'elle fut pour eux. Ils sont différents cependant puisque Lucas est homosexuel et que Thomas aime les femmes, mais cette différence renforce cependant leur fraternité, comme la maladie de Thomas l'affermira.

    C'est un épisode de sa vie amoureuse et passionnée qui va revenir dans une histoire contée par un vieux pêcheur rétais et confirmée aussi, à la fin, par Thomas, la négation d'une paternité à venir, la fuite face aux responsabilités, la mort, déjà, comme une fatalité, dans les eaux bleues du pertuis [« On ne va pas contre la volonté de l'océan »]. Il choisira symboliquement le même trépas plutôt que sur un lit d’hôpital. J'y vois quelque chose comme une dette que Thomas aurait contractée et qu'il va maintenant payer un peu comme si ses souffrances lancinantes répondaient à celles de cette jeune fille désespérée qui a choisi de quitter la vie quelques années auparavant parce qu'elle ne supportait pas la lâcheté. Pire peut-être, c'est une faute qu'il expie.

    Au début des investigations les médecins, inquisiteurs, l'interrogent sur d'éventuels rapports sexuels non protégés. On songe au sida pourtant vite écarté, regardé comme une malédiction mais aussi une forme de châtiment. Pour autant, on sent que la maladie est considérée comme une punition. N'a -t-on pas longtemps soutenu que la souffrance était rédemptrice ?

    C'est une page qui se tourne, la fin de quelque chose, non seulement cette tranche de vie s'achève mais cette transition est associée à la mort du frère, un autre lui-même (« Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue »). Pourtant Thomas, cet amoureux de la vie accepte l'échéance au point de s'occuper lui-même de sa propre sépulture.

    Comme souvent dans les romans de Besson, la mort revient comme un thème récurrent, la marque de la condition humaine, l’homosexualité aussi avec, comme en contre-point, une descendance qui ne sera plus assurée pour cette famille un peu désunie. Ici j'y vois aussi une volonté délibérée de ne pas donner dans le pathos malgré les termes techniques, l’épilogue annoncé, les questions posées, le lent cheminement vers la mort « Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ?  ».

    Comme toujours aussi, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture grâce au style fluide et agréable de l'auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson

     

    N°604– Décembre 2012.

    L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson – Juillard.

    Une histoire simple : Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'état du Massachusetts aux États-Unis, un bar, « chez Phillies », donnant sur les falaises d'où se jettent parfois des désespérés. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituée de cet établissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique à succès et porte ce soir-là une robe rouge comme ses lèvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractère, et c'est effectivement ce qu'elle est. Célibataire, elle mène une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitié et de complicité silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaît toutes ses pièces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituée.

    Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires à Boston, marié à Rachel et père de famille. Ben le connaît aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnée qui s'est terminée il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissée dans sa vie et dans son lit. Stephen s'était donc marié avec sa nouvelle conquête qui lui offrait le calme même s'il formait avec Louise « un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces années de séparation, il n'a pas cessé de penser à elle, bien que cette dernière lui ait interdit de chercher à la revoir. Une page s'était donc tournée pour eux, et Louise avait décrété le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, après la douleur de la séparation, elle a puisé dans l'écriture une nouvelle raison d'exister en créant des pièces inspirées de cet échec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots !

    Stéphen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa séparation d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde à venir parce que, pour elle, il va quitter son épouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gêné que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il règne entre des deux ex-amants une atmosphère surréaliste à cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intérieur, ils pensent à leur passé commun, à leurs souvenirs, à leurs erreurs aussi tout en laissant à l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce à elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessé de s'aimer. Peu à peu le silence se lézarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux êtres s'estompe, le respect revient à travers des regard muets « Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être ». Ben, constamment en retrait dans ce café du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaît tous les ressorts.

    Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluidité du style. Le texte, agréablement écrit, sans artifice, poétique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est réaliste et précis comme la peinture d'Hoppert. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau.

    Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une étude psychologique pertinente qui peu à peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend à témoin en lui dévoilant, dans une analyse précise, l'histoire intime de Louis et de Stephen, sans omettre les lâchetés ni les remords.

    A la lecture de ce roman, je mesure le rôle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hoppert. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musée ne verront peut-être pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'émotion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son écriture.

    J'avoue que j'ai toujours été bouleversé par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passé ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps après leur séparation, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent à venir à cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnés, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson

     

    N°609– Décembre 2012.

    EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson - Juillard

    Nous sommes en 1916 à Paris, un jeune aristocrate de 16 ans, Vincent de l’Étoile fait, dans un salon, la rencontre de Marcel Proust (pourtant jamais nommé), alors homme de lettres reconnu, de trente ans son aîné. Avec le temps, il partage avec lui une amitié sincère qui ira jusqu'à la confidence. Pour Vincent, il y a certes la réputation que va lui faire le tout-Paris : fréquenter Proust est sulfureux et il le sait mais bien des choses les rapprochent, notamment l’adoration de leur mère. Proust pourtant rectifie «  Nous n'appartenons pas à la même vie mais je crois que ce n'est grave pour aucun de nous deux ». Au fil de leurs rencontres, des liens quasi-filiaux se créent entre Vincent et Marcel qui se confient l'un à l'autre. Vincent ne souffre pas vraiment du manque de son père mort et Marcel, asthmatique et porté sur la littérature, a senti très tôt qu'il allait décevoir le sien puisqu'il était professeur de médecin et que le frère de Marcel sera chirurgien.

    Il y a aussi Arthur Valès, jeune instituteur de 21 ans qui est fils naturel de la gouvernante des parents de Vincent, autant dire une domestique. Il est actuellement dans la boue des tranchées à Verdun. Entre les deux jeunes hommes il y a très tôt une attirance physique, durant sept jours (le chiffre symbolique d'une création) de permission, ils vont s'unir charnellement, se promettant un amour perpétuel.

    « En l'absence des hommes » est donc le récit de cette courte liaison amoureuse entre deux garçons, sur fond de guerre et avec le regard bienveillant et protecteur de Marcel. Proust nous est présenté comme un mondain, un dilettante qui souhaite s'opposer aux Allemands par la participation à des dîners et des fêtes parisiennes alors qu'Arthur est sous les balles et les obus. Puis, les confidences et la confiance se faisant plus précises, Vincent va avouer à Marcel son attirance pour Arthur. On s’attendrait qu'il y ait des tentatives de séduction de la part de Proust face à un jeune adolescent qui partage son penchant homosexuel. Il n'en est rien, au contraire puisqu'il conseille son jeune ami, le met en garde contre la société qui bannit et punit durement cette aversion, lui parle de l'amour qui est synonyme de souffrance, de désespoir, le met en garde contre « les emballements du cœur », lui rappelle qu'il a toute la vie devant lui, que la mort peut venir contrecarrer ses projets mais s'enthousiasme pour ce pur amour qui lui a sans doute été refusé.

    Arthur retournera dans ses tranchées et fera partager à Vincent cette guerre atroce et meurtrière qui le fauchera. Leurs lettres sont à la fois pudiques et sensuelles et on peut cependant se demander comment, ce qui mettait en évidence une liaison condamnée par la loi, ait pu échapper à la censure militaire. Cette correspondance dont la dernière arrivera trop tard est le pendant de celle que s'adressent mutuellement Vincent et Marcel, absent momentanément de Paris. Il y a entre eux aussi une dimension d'aveu, de conseils aussi d'un ami plus âgé, presque de relations père-fils, une relation platonique en tout cas.

    Le personnage de la mère d'Arthur est émouvant,  « cette femme de quarante ans qui en paraît soixante » et qui a dû subir toute sa vie l'opprobre de la « fille-mère ». Elle prend la dimension d'une Piéta( La mère est là...) Au début, les paroles qu'elle échange avec Vincent sont convenues, presque de circonstances et leur rencontre est surtout faite de silences. Mais rapidement et malgré la subordination qui existe entre eux, elle se confie à lui, lui avoue qu'elle avait compris tout de suite l’attachement qui le liait à son fils, lui révèle son parcours douloureux et misérable, le secret de la filiation d'Arthur, la découverte de sa sexualité, le silence mutuel qui a entouré cette prise de conscience, la certitude que l'autre savait sans jamais en avoir parlé, la révélation de l'amour que son fils portait à Vincent …

    Il y aussi de longues digressions sur la mort, sur l'absence et le gâchis, l'inconcevable et l'inexplicable quand il s'agit d'un enfant, même si on a prié un improbable dieu que cela n'arrive jamais ! Le souvenir laissé par un être se mesure à l'aune de ceux qui, après sa disparition penseront encore à lui.

    Je retiens aussi une analyse très fine de l'écriture que l'auteur met dans bouche de Marcel et aussi pour Besson l'occasion de dire toute l'admiration qu'il a pour l'auteur de « A la recherche du temps perdu ». Lors de leurs échanges, Marcel confesse à son ami l’importance qu'à l'écriture pour lui, « Si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort ». De même il met en parallèle l'écriture et la paternité, lui qui n'est pas censé avoir d'enfant. Ses livres seront ce qui lui survivra et quand Vincent lui demande pour qui il écrit, il répond « J'écris pour mes disparus ». L’épilogue que l'auteur imagine est cependant originale et inattendue !

    Vincent et Arthur n'ont pas eu le temps d'être malheureux ensemble. Leur amour est donc intact et dès lors ravalé au rang de souvenir douloureux, un vide que la fuite seule peut combler.

    Je vais sans doute écrire une absurdité mais, si j’apprécie la démarche proustienne du temps qu'on abolie par le travail de la mémoire, je ne goûte guère son style, sa phrase interminable et compliquée. Je lui préfère et de loin le style fluide et musical de Besson mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique.

    Ce roman publie en 2003 était le premier de Philippe Besson. Il fut salué par la critique comme une révélation.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson

     

    N°608– Décembre 2012.

    LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson - Juillard

    Le décor tout d'abord : les bords de ce fleuve-frontière, le Mississipi, des maisons isolées, des routes, des champs puis au début, la période bénie de l'enfance pour deux garçons Thomas Spencer et Paul Bruder, bref un récit de Marc Twain dans un tableau d'Edward Hopper !

    Ils sont nés tous les deux le jour de l'explosion d'Hiroshima mais n’appartiennent pas à la même famille, ils ont donc jumeaux de hasard, vivent dans la même petite ville de Natchez, ont des distractions d'enfants de leur âge mais dans un contexte familial différent. Si Paul a une famille ordinaire, Thomas lui n'a pas de père, c'est à dire qu'il a quitté sa mère en apprenant qu'elle était enceinte. Ils partagent pour autant l'idée d'absence puisque Paul a perdu son frère aîné à la guerre de Corée. C'est sans doute ce qui les a rapprochés. Ils ont quand même brûlé cette enfance insouciante au bord du fleuve, dans l'ombre parfois inquiétante d'adultes, la réalité du racisme, et au rythme de l'histoire du pays et de la trace laissée par ses célébrités. Il y a eu une attirance réciproque entre eux, des expériences féminines plus ou moins sérieuses, plus ou moins gauches, toujours un peu frustrantes et fantasmées qui se terminèrent bien souvent par une fuite, un refus, des regrets et un sentiment curieux qui va du désespoir, de la solitude, de l'abandon à l'envie irrésistible de recommencer tout en étant capable de rire de tout, même de ses échecs. Pour Thomas comme pour Paul, elles se sont succédé sans pour autant que l'un face de l'ombre à l'autre.

    Puis ils se sont séparés, Thomas parti pour l'université et Paul appelé à succéder à ses parents dans l'épicerie familiale de Natchez. Claire MacMullen apparaît qui s'installe avec Paul. Tout semble dès lors figé dans un sud indolent et traditionnel. Le retour de Thomas pour un petit emploi de bibliothécaire ne change rien à l’ordonnancement des choses qui s'établissent dans une routine quotidienne pesante. Tout aurait pu être ainsi immobile jusqu’à la fin mais Paul, en bon américain, choisit de s'engager pour aller au Vietnam combattre le communisme, laissant Claire à la garde de son ami !

    Qu'est ce donc que cette trahison et n'y en a-t-il pas plus d'une en réalité ? Est-ce celle d'un jeune fils égoïste qui refuse à sa mère célibataire et qui vit seule « l’autorisation » de refaire sa vie avec un autre homme ? Est-ce le même qui, parti à la recherche de son père naturel, choisit lâchement de fuir la rencontre avec lui ? Est-ce toujours lui qui, devenu adulte, laisse glisser son désir vers une femme qui en principe ne lui est pas destinée et qui ainsi transgresse une amitié, une complicité de toujours, plus qu'une fratrie de hasard ? Est-il possible, dans ces circonstances d'accuser la fatalité, les circonstances, un improbable amour alors qu'on ne devrait parler que d'une attirance charnelle, que d'une volonté partagée de profiter de l'instant dans le secret et même dans l'absurde.

    Le suspense est savamment entretenu jusqu'à la fin (le titre est déjà une mise en bouche) avec peut-être certaines longueurs notamment dans le catalogue des nombreuses conquêtes féminines de Thomas qui n'est peut-être là que pour annoncer l'épilogue et en souligner le désastre. Paul, devenu l'ombre de lui-même, abandonné et trahi par la femme qu'il aime, ne trouve d'issue que dans la mort qui est une délivrance. Elle est l'ultime étape de la vie, la seule consolation valable face à la désespérance parce qu'après il n'y a rien que le néant. C'est, certes, l'histoire d’une trahison qu'on aurait tendance à qualifier « d’ordinaire » tant les choses humaines finissent par être banales. Moi, je choisis d'y voir une sorte de message, celui de ne faire confiance à personne, de ne croire rien de ce qui est proclamé ou écrit surtout quand tout cela est solennel et juré, que l'espèce humaine est définitivement infréquentable, et que nous en faisons tous partie. Cette histoire met en évidence ce côté obscur de Thomas, et cela nous concerne tous.

    Ce récit est celui de Thomas, le narrateur. Il le fait pour le lecteur sur le ton de la confidence.

    Tout semble écrit depuis le début, comme la marque d'un inexorable destin. Je sais bien que nous sommes dans une fiction, que l'auteur nous raconte une histoire et j'ai dit dans cette chronique à plusieurs reprises combien cela me plaisait, comme j'y trouvais de l'intérêt et du plaisir. Il y a peut-être ici, comme dans tout récit imaginé une part de vérité que l'auteur choisit de déguiser à sa convenance, mais j’ai quand même ressenti dans cette histoire une sorte de libération par l'écriture. On ne dira jamais assez l'action cathartique des mots et Besson en est, à mes yeux, un exemple flagrant d'autant qu'il sait, dans le même temps, passionner son lecteur et lui faire partager à la fois les espoirs, les angoisses et les passions des personnages.

    L'écriture pourrait parfaitement être considérée comme une confession camouflée qui demanderait, non pas au lecteur mais à la propre conscience de l'écrivain, une impossible rédemption au seul motif que la faute a été confessée, même à la feuille blanche. Je ne suis pas sûr que l'accusation devant un improbable dieu ou son représentant qui, comme le soutiennent les religions judéo-chrétiennes allège l'âme et permet surtout de recommencer, mais, à coup sûr ici, cela produit une œuvre d'exception animée d'un souffle authentique.

    J'ai rencontré cet auteur par hasard à cause de mon intérêt pour le peintre américain Edward Hopper dont il avait si bien parlé. J'ai plaisir à lire chacun de ses romans et j'apprécie son style fluide et agréable à lire, son sens à la fois de la simplicité et de la musicalité de la phrase.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson

     

    N°606– Décembre 2012.

    UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson – Juillard.

    Falmouth, un petit port de pêche en Cornouailles perdu sur les côtes anglaises avec ses falaises,  « là où la terre abdique », ses marins-pêcheurs, ses pubs, ses touristes à la saison, presque un paysage de carte postale... Un matin de novembre, un homme, Thomas Sheppard, descend du train pour y revenir simplement parce qu'il est ici chez lui, il y possède d'ailleurs une maison. Rien que de très banal jusqu'à présent. Son absence a été longue mais il constate que rien n'a changé.

    Cet homme pourtant sait qu'il ne devrait pas revenir, qu'il n'y est pas le bienvenu, pas seulement parce que son absence a été longue mais surtout parce qu'il est parti sous l’opprobre général. Pourtant, il n'a plus nulle part où aller bien qu'il se sente ici plus que jamais un étranger. A Falmouth, les hommes sont des marins pleins de préjugés, durs à la tâche et renfrognés, les femmes restent traditionnellement au foyer, mettent au monde le enfants, les éduquent...

    Cette venue est pour lui l'occasion de faire un retour en arrière. Il se revoit marié avec Marianne, sa jeune épouse, leur fils, ce jeune garçon de huit ans avec qui il est un jour parti en mer malgré les recommandations de prudence de la météo et qui est revenu sans lui. Ce fut une faute que la mort de cet enfant et il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement pour cela. Bien sûr, chacun y est allé de son témoignage accablant, son épouse Marianne a porté plainte contre lui avant de le quitter. Il ne s'est pas défendu, est allé au devant de la condamnation, a purgé sa peine dans l'indifférence générale mais maintenant qu'il a payé sa dette à la société, comme on dit, il devrait pouvoir exercer son droit à la liberté et la liberté c'est chez lui, à Falmouth ! Bien sûr, quand il se montre dans les rues chacun se souvient de l'affaire et l'évite. On va même jusqu'à lui faire parvenir une lettre anonyme lui signifiant qu'il doit partir, qu'on ne lui a rien pardonné, qui est ici indésirable. Personne n'a eu d'égard pour ce père qui a perdu son fils et on a retenu contre lui l'infanticide même s'il n'était pas intentionnel, on l'a qualifié de  monstre, d'assassin .

    Il ne trouve que Rajiv, un commerçant pakistanais à qui il se confie parce que lui veut bien écouter son histoire et qu’elle n'est sans doute pas sans similitude avec la sienne propre. Il trouve aussi une oreille attentive en la personne d'un jeune femme, Betty Callaghan, pas très belle et qui veut bien de lui. A elle aussi il parle. Il lui raconte l'enfermement carcéral, les viols et l'indifférence des gardiens, évoque l'énigmatique figure de Luke, mais aussi la grande vacuité de sa vie maintenant, avec les fantômes du passé.

    De ces monologues il ressort que si Thomas ne s'est pas défendu au procès, c'est qu'il avait eu la certitude qu'il ne pouvait être le père de son fils à cause d'une stérilité définitive et que l'enfant est mort simplement par accident et non à la suite d'une faute de ce père imprudent. Il n'était pas vraiment prêt à la paternité et considérait cet enfant comme un encombrement, bien avant qu'il n'apprenne qu'il ne pouvait en être le père. Autant dire que son mariage, basé sur un mensonge, une tromperie, ne pouvait pas être heureux. Et pourtant la mort de cet enfant l'a libéré de cette paternité impossible et du traquenard dans lequel l'avait attiré son épouse.

    Il avait cru trouver une oreille attentive et aimante en la personne de Betty, mais il ne tarde pas à s’apercevoir que sa compassion était intéressée et qu'elle recherchait un père pour son enfant. La nouvelle vie dont il pouvait jouir désormais lui semble inaccessible et il préfère y renoncer, au seul motif « qu'il attend quelqu'un ». Effectivement il partira de Falmouth sans se retourner, laissant ses habitants sur une sorte de victoire que sa fuite matérialise.

    L’auteur bat en brèche les idées reçues. Pour les habitants de cette petite ville, Thomas est définitivement coupable de meurtre et la prison ne le lavera jamais de cette faute. C'est un peu comme une confession qui met du temps à s’effectuer, à cause de la douleur de l'aveu, malgré la bienveillance de Rajiv et de Betty qui ici, font fonction de prêtre, comme si la culpabilité était la plus forte. Pourtant, il sait que à Falmouth la rédemption n'existe pas malgré les années de prison, malgré la vie qui peut recommencer et l'effort qu'il fait de revenir dans un milieu hostile.

    Thomas est aussi la victime des femmes, de Marianne d'abord qui lui fait endosser une paternité qui n'est pas la sienne, de Betty ensuite qui ne le rejette pas dans le seul but de donner un père à son fils. Il choisit à la fin de partir avec Luke, officialisant une relation homosexuelle née en prison qui ne peut, bien entendu se dérouler au grand jour à Falmouth, surtout compte tenu du passé de Thomas. Le lecteur se prend à former des vœux pour que cette relation entre deux hommes soit durable et sincère. Thomas est réellement différent des autres habitants, c'est pourquoi il quitte cette ville. L'homosexualité qui n'est ici qu’évoquée est une image, le bonheur n'existerait-il qu'avec quelqu'un qui nous ressemble ? Est-ce à dire que les hommes et les femmes n'ont que peu de choses en commun sinon le calcul et l'arrangement et ne se rencontrent que pour procréer ou pour le plaisir ? Ensuite chacun reprend son bagage d’égoïsme et ne recule devant rien pour éliminer l'autre quand il devient encombrant ? Est à dire que l'espèce humaine est définitivement infréquentable ? J'avoue que cette idée que je partage volontiers m'a habité tout au long de ce roman. Cet « instant d’abandon » n'est-il là que pour révéler la part d'ombre de Thomas ?

    L'image du fils est révélatrice, un peu comme un être (c'est à dire la paternité, la descendance) qui lui est interdit puisque le premier meurt accidentellement et qu'il refuse le second. Face à chacun d'eux il y a une fuite, évidente dans le second cas puisqu'il refuse cette nouvelle vie mais qui n'est pas moins pertinente dans le premier. En effet, c'est la mort de cet enfant qui libère Thomas de son enfermement dans un mariage raté même si pour cela il doit le payer de quelques années de prison et d'une condamnation définitive des habitants de Falmouth.

    Comme à chaque fois, Philippe Besson s'approprie son lecteur par la qualité de son style, la musique de sa phrase. Il révèle avec une progression bienvenue les différente phases de ce qu'ont été les épreuves subies par Thomas et maintient l'intérêt du récit jusqu'à la fin. Comme toujours ce roman a été un bon moment de lecture ;

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson

     

    N°605– Décembre 2012.

    UN HOMME ACCIDENTEL – Philippe Besson – Juillard.

    Ce livre commence comme un roman policier. Il en a d'ailleurs tous les attributs : il y bien un meurtre, l’enquête d'un jeune lieutenant dont on connaît l'histoire, la vie intime et familiale. Il y a les rebondissements qui en font le suspens, une victime, une énigme , un coupable, des aveux et même une sanction pour que la morale soit sauve... Le style est celui d'un tel roman, avec des images adéquates (Il parle du « parfum rance de la routine »)mais bien écrit surtout et c'est ce qui compte aussi pour moi, les chapitres sont courts qui apportent leur lot d'informations au compte-gouttes. Et pourtant, ce n'en est pas un !

    Nous sommes à Los Angeles dans les années 1990, la cité des stars, et plus exactement à Beverly Hills et, pour le jeune lieutenant marié à une belle Italienne et bientôt père de famille, ce n'est pas vraiment une affectation dangereuse puisque la police ne fait pour ainsi dire ici que de l'administration, presque de la figuration au milieu des caméras de surveillance des villas, des gardes du corps, des agents de sécurité. Tout un univers policé de belles voitures, de luxueuses villas avec piscine et pelouse impeccables, de gens vieillissants amateurs de tranquillité. Il y a bien de l'alcool, de la drogue et de la prostitution parce que c'est inévitable mais c'est dans d'autres quartiers, ceux des bas-fonds, pas dans cette atmosphère indolente et ouatée. Justement, un petit malfrat, Billy Greenfiels vient d'y être assassiné. C'est un petit dealer sans envergure, accessoirement prostitué et c'est notre jeune lieutenant, le narrateur, qui est de garde et qui est chargé de l'enquête.

    Cela se présente sous les meilleurs auspices puisque se révèle rapidement un nom, celui de Jack Bell, un acteur de cinéma connu au parcours pourtant cahoteux mais aux succès artistiques prometteurs. Lui aussi habite une de ces belles maisons du quartier. Notre policier fait consciencieusement son métier et la première rencontre du policier et de la star tient des séries-télé du genre, avec ses non-dits, ses informations distillées parcimonieusement, ses hypocrisies et ses revirements. Pour le meurtre cependant, pas de témoins, les voisins n'ont rien vu ni rien entendu et c'est, au début, l'habituel festival d'approximations, de contradictions et de lieux communs : Bref, pas de quoi faire progresser une enquête qui menace de s'enliser dans un univers de travelos, de proxénètes, de voyous, de blacks et de chicanos. Pourtant c'est là que, pour le policier, les ennuis commencent.

    Ce Jack Bell se révèle être un manipulateur, un mystificateur qui, peu à peu échappe au lieutenant. Du point de vue policier, au début, c'est un échec mais il révèle les contractions et surtout la part d'ombre de l'officier. Elle n'échappe pas à son adjoint Mac Gill qui cependant reste en retrait, par solidarité professionnelle sans doute. C'est à partir de ce moment que le roman prend un tour inattendu, que notre narrateur est emporté dans une sorte de maelström qui va le bousculer, le compromettre et le broyer, que les masques tombent et que la passion qu'on attendait pas s’installe dans le cours normal des choses et les bouscule, dans le silence et le secret. On voudrait bien que tout cela s'arrête parce que c'est inexplicable, imprévisible, irrésistible, mais c'est justement pour cela que cela continue, jusqu'à la fin.

    Certes, tout cela n'est qu'un accident, sous le regard de ses proches qui vont peu à peu s’éloigner de lui, certes on étouffera cette affaire parce qu'elle dessert l'image de la police dans cet univers civilisé, certes la page sera tournée mais pas les regrets, les remords et les souvenirs. Certes le vrai coupable est puni, tout redevient normal et les humains reprennent leurs occupations, les événements leur cours qu'ils n’auraient jamais dû quitter, mais il reste le protagoniste de cette ténébreuse affaire, deux tombes , la mort pour ces deux vies et l'oubli qui bientôt recouvrira tout cela.

    Comme à chaque fois j'ai apprécié le style fluide et précis de l'auteur, l'analyse psychologique fine des sentiments et des replis de l'âme qui caractérise les romans de Philippe Besson.

    Cet ouvrage a été pour moi un bon moment de lecture.

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com