L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 14/12/2012
- Dans Philippe Besson
- 0 commentaire
N°604– Décembre 2012.
L'ARRIERE-SAISON – Philippe Besson – Juillard.
Une histoire simple : Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'état du Massachusetts aux États-Unis, un bar, « chez Phillies », donnant sur les falaises d'où se jettent parfois des désespérés. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituée de cet établissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique à succès et porte ce soir-là une robe rouge comme ses lèvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractère, et c'est effectivement ce qu'elle est. Célibataire, elle mène une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitié et de complicité silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaît toutes ses pièces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituée.
Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires à Boston, marié à Rachel et père de famille. Ben le connaît aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnée qui s'est terminée il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissée dans sa vie et dans son lit. Stephen s'était donc marié avec sa nouvelle conquête qui lui offrait le calme même s'il formait avec Louise « un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces années de séparation, il n'a pas cessé de penser à elle, bien que cette dernière lui ait interdit de chercher à la revoir. Une page s'était donc tournée pour eux, et Louise avait décrété le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, après la douleur de la séparation, elle a puisé dans l'écriture une nouvelle raison d'exister en créant des pièces inspirées de cet échec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots !
Stéphen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa séparation d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde à venir parce que, pour elle, il va quitter son épouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gêné que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il règne entre des deux ex-amants une atmosphère surréaliste à cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intérieur, ils pensent à leur passé commun, à leurs souvenirs, à leurs erreurs aussi tout en laissant à l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce à elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessé de s'aimer. Peu à peu le silence se lézarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux êtres s'estompe, le respect revient à travers des regard muets « Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être ». Ben, constamment en retrait dans ce café du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaît tous les ressorts.
Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluidité du style. Le texte, agréablement écrit, sans artifice, poétique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est réaliste et précis comme la peinture d'Hoppert. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau.
Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une étude psychologique pertinente qui peu à peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend à témoin en lui dévoilant, dans une analyse précise, l'histoire intime de Louis et de Stephen, sans omettre les lâchetés ni les remords.
A la lecture de ce roman, je mesure le rôle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hoppert. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musée ne verront peut-être pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'émotion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son écriture.
J'avoue que j'ai toujours été bouleversé par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passé ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps après leur séparation, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent à venir à cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnés, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
Ajouter un commentaire