Motoya Yukiko
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Mariage contre nature
- Par hervegautier
- Le 22/03/2019
- Dans Motoya Yukiko
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La Feuille Volante n° 1337 – Mars2019
Mariage contre nature – Motoya Yukiko – Éditions Philippe Picquier. [Prix Akutagawa 2016]
Traduit du japonais par Myram Dartois-Ako.
San est mariée depuis quatre ans. Elle a quitté son emploi de bureau pour épouser un homme tellement transparent que nous ne saurons même pas son prénom, mais la vie domestique l'ennuie un peu d'autant qu'elle n'a pas d'enfant et que le salaire de son conjoint est suffisant pour la dispenser de travailler à l'extérieur. J'ai eu l'impression qu'elle avait épousé cet homme non pas par amour mais par opportunité, l'important revenu de ce dernier lui permettant d'être une femme au foyer. Quand elle est seule avec lui, il a une addiction pour la télévision, l'oisiveté… et aussi pour le whisky-soda ! Sa vie est telle qu'elle dit elle-même être comme en apesanteur. San qui se cherche des activités ménagères fait un jour le tri de ses photos dans son ordinateur, découvre que son mari et elle se ressemblent et trouve cela inquiétant tant ils sont apparemment dissemblables ! Pourtant le nez et les yeux de son mari ont des velléités migratoires sur son visage ! Il lui semble légitime de s'interroger, d'autant que ses relations de couple, hormis peut-être les séances intimes de simulacre de la reproduction, sans véritable plaisir pour elle, sont plutôt en panne. Peu semble lui importer cependant puisque, de ce point de vue, et avant de connaître cet homme, elle avait un rôle plutôt passif avec ses autres partenaires éphémères, au point que non seulement elle n'en a gardé que peu de souvenirs mais surtout qu'elle se sentait menacée par eux. Aussi bien mettait-elle rapidement fin à leur liaison. A l'intérieur de son couple, il n'y a rien de vraiment nouveau et c'est un peu comme si elle se faisait manger, c'est à dire détruire, par son mari. San ne doit pas avoir beaucoup d'attachement pour cet homme puisque, quand elle parle de lui, elle le nomme comme « la chose qui est censée être mon mari », ce qui, après quatre années de mariage, est quand même révélateur. Elle en vient même à se demander si elle ne regretterait pas davantage la mort de son chat que celle de son époux !
San doit être une belle femme puisque son mari a quitté son ex, qui ressemblait à une pin-up ou à une actrice de cinéma, pour l'épouser. D'évidence elle s'ennuie avec lui mais je note qu'elle est suffisamment loyale à son époux pour ne pas le tromper. L'adultère se pratique pour moins que cela ! Lui-même semble vivre à côté d'elle sans vraiment lui accorder de l'importance. Ce concept de ressemblance entre époux est récurrent puisqu'il revient à propos d'un autre couple marié depuis beaucoup plus longtemps. Le plus étonnant est que, sans vraiment l'expliquer autrement que par un long congé de maladie de son mari, San constate que, dans son couple, les rôles se sont inversés, elle s'étant mise à la télévision... et au whisky soda et lui aux tâches ménagères en prenant toutes les charges de son épouse. Est-ce à dire que dans le mariage on perd sa personnalité au point de ressembler à l'autre ? La ressemblance supposée entre ces deux époux irait-elle jusque là ?
Je n'ai pas une culture nippone, je ne connais pas la symbolique de la pivoine dans ce pays et franchement, même s'il y a un côté poétique à l'épilogue, il m'a un peu échappé. J'y verrais plutôt l'image de l'abandon voire de la destruction physique de cet homme. San a-t-elle un réel problème avec les hommes dont, avant son mariage, elle se débarrassait rapidement, rôle qu'elle reprend avec son mari dans une métamorphose poétique. Veut-elle nous signifier qu'il vaut mieux vivre seul que de supporter un conjoint insupportable et ainsi fuir le mariage ? A travers ce court roman un peu étrange, veut-elle nous signifier que cette union était, comme l'indique le titre, contre nature?
Motoya Yukiko, qui est une jeune auteure (née en 1979), nous montre les défauts du couple, le peu d'attirance qu'elle a pour le mariage et l'amour semble être, pour l'instant, son thème de prédilection favori. Au vrai, c'est un sujet classique d'autant que, allez savoir pourquoi et sous toutes les latitudes, les hommes et les femmes semblent vouloir s'inventer la vocation du mariage comme un passage obligé dans leur vie, alors que manifestement, vu le nombre grandissant de divorces, ce serait plutôt un échec.
Ce thème fait partie des préoccupations humaines et a toujours été un sujet de réflexion pour les hommes et les femmes et de création pour les artistes. Il est certes intéressant et cette histoire l'illustre à sa manière assez particulière, même si chacun de nous a forcément une idée précise sur la question.
Ce roman a obtenu le prix Akutagawa qui est le plus prestigieux du Japon. Là je me dis que compte tenu de la distinction, je n'ai effectivement rien compris et que je suis passé à côté d'un chef-d’œuvre nonobstant la fin poétique et sûrement métaphysique de cet ouvrage.
©H.L.