Nathalie Sarraute
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Le mensonge
- Par hervegautier
- Le 25/06/2024
- Dans Nathalie Sarraute
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N°1906– Juin 2024.
Le mensonge – Nathalie Sarraute - Gallimard.
C’est un groupe d’amis qui discutent quand l’un d’entre eux, Pierre, révèle qu’il a pris Madeleine, une de leurs relations, absente de cette soirée, en flagrant délit de mensonge. Elle s’est plainte de l’augmentation des tickets de métro alors qu’elle est l’unique héritière du roi de l’acier et que cela n’affectera pas son budget. Tout le monde connaît la fortune de Madeleine et son habitude de se plaindre, c’est une sorte de jeu entre eux de la laisser faire mais Pierre n’a pas pu résister face à ce petit mensonge sans grande importance, rompant ainsi ce pacte tacite. Est-ce sa soif de vérité ou la volonté de jeter un pavé dans la mare qui a motivé son geste ? Il passe d’ailleurs pour un être intègre, mais cela ne va pas lui sourire. C’est par ailleurs quelque peu inconvenant de mettre des gens en face à leurs contradictions, les laisser dire évite les conflits même si personne n’est dupe. C’est une sorte de règle non écrite qui consacre une réalité sociale : Toute vérité n’est pas bonne à dire, les petits mensonges font partie du jeu sociétal et tout le monde ment en permanence, par action ou par omission, pour se mettre soi-même en valeur, en politique, au travail, en amour, en famille... il en résulte une sorte d’équilibre que personne ne veut rompre et chacun a la certitude de détenir la vérité. Par ailleurs on a tout à perdre à être honnête dans une société qui cultive l’hypocrisie et où plus le mensonge est gros plus il prend. Ainsi l’attitude de Pierre provoque une foule de questions et de reproches où chacun se positionne par rapport au mensonge, les siens, parfois inexistants, et ceux des autres et ils jouent entre eux une sorte de sorte de psychodrame où il devient difficile de faire la part des choses entre la farce et la sincérité de sorte que personne n’en sort indemne mais pas non plus amélioré. Que la vie soit une comédie, on ne nous l’a que trop dit et le mensonge fait intégralement partie de l’espèce humaine .
Cette courte pièce de théâtre écrite à l’origine pour la radio avec des intervenants personnalisés m’a paru pertinente.
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Le silence
- Par hervegautier
- Le 23/06/2024
- Dans Nathalie Sarraute
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N°1902– Juin 2024.
Le silence – Nathalie Sarraute – Gallimard.
Pièce étonnante, originellement prévue en 1964 pour la radio avant que Jean Louis Barrault ne la mette en scène en 1967. Cette œuvre, uniquement orale à l’origine et donc sans jeu d’acteurs, liait donc par la parole six personnages, 4 femmes et deux hommes, individualisés, si on peut dire, par une lettre et un chiffre (H1, F2...) face un autre homme, Jean-Pierre qui lui garde le silence, sauf à la fin. C’est un huis-clos ou tout commence par l’évocation par un homme de maisons en bois, puis chacun apporte quelque chose qu’il puise dans sa mémoire, sa sensibilité, on évoque le bonheur, l’amour, la littérature, on rit aussi et la conversation s’égare parfois pour revenir à la fin aux fameuses petites maisons. Chacun participe, souvent par des remarques sans grande importance, sauf Jean-Pierre qui reste impassible. Pourtant, il est le point de mire de cette petite assemblée et ne consent à sortir de son silence que sur une précision de nature culturelle. Son mutisme étonne, dérange même En général, les gens s’affirment par la parole, généralement pour se mettre en valeur quand à ceux qui restent silencieux c’est qu’ils n’ont rien à dire ou que, ce qui est dit autour d’eux de les intéresse pas ou c’est la volonté de ne pas prendre position, par timidité, par incompréhension, par mépris, par ennui. Si la parole soûle, le silence oppresse les uns et provoque des réactions contradictoires des autres. J’avoue avoir été surpris par ce court texte aux échanges quelque peu dérisoires face au silence de Jean-Pierre qui bouscule et dérange des autres intervenants. Ces conversations de salons sans la moindre importance tiennent difficilement du dialogue mais le silence de Jean-Pierre agit comme un « tropisme » sur les autres protagonistes. Les quelques mots banals qu’il exprime à la fin semblent conclure un psychodrame pesant où l’abondance de mots le disputaient au vide du silence.
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Pour un oui ou pour un non
- Par hervegautier
- Le 22/06/2024
- Dans Nathalie Sarraute
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N°1901 – Juin 2024.
Pour un oui ou pour un non – Nathalie Sarraute – Gallimard.
Cette petite pièce de théâtre met en scène deux hommes, H1 et H2 (on peut difficilement faire plus anonyme) qui, après avoir extrêmement proches se sont brouillés pour des raisons assez obscures et qui semblent s’être perdues dans les arcanes de leur mémoire. Pour l’heure le premier reproche au second sa condescendance, sa jalousie, ses apparences arrogantes. Tous les deux vont s’efforcer de clarifier les choses, d’y mettre des mots, de les exprimer mais c’est surtout ce qui n’est pas dit qui importe parce que le silence aussi fait partie de cette démarche. Les points de suspension, nombreux dans cette pièce ont leur importance. A ce petit jeu on perd toujours et ces deux hommes se retrouvent alternativement dans une position d’accusateur et d’accusé dans un procès surréaliste où chacun n’a rien à gagner. Ils n’en sortiront pas indemnes. Cette expérience est très humaine, nous l’avons tous faite un jour ou un autre, nous avons tous prononcé ces mots, connu ce genre d’impasse même si, à la réflexion, il pouvait nous être nous être difficile de savoir les circonstances de ce différent, l’attitude éventuellement agressive, les lointaines pulsions, les rancœurs amassées dans un replis de la mémoire et qui les ont suscités . C’est souvent à la suite d’un petit rien, mal compris, mal interprété, que cette incompréhension éclate. Ici J’ai eu le sentiment que l’ amitié, fut-elle ancienne et apparemment indestructible, a souvent, comme la plupart des choses humaines, la solidité d’un château de cartes dans un courant d’air, que la parole n’est pas forcément synonyme de thérapie
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Tropismes
- Par hervegautier
- Le 10/04/2024
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N°1860– Avril 2024.
Tropismes – Nathalie Sarraute – Les éditions de Minuit.
C’est un recueil de vingt quatre textes courts et indépendants les uns des autres, paru en 1939 dans l’indifférence quasi générale après avoir été refusé notamment par Gallimard et qui ne connut le succès que vingt en plus tard lors de sa réédition. Ce détail relativise les choses quant au talent de notre auteure, cet ouvrage étant considéré comme fondateur du mouvement littéraire dit du « nouveau roman ». Il n’est pas interdit de penser que ces circonstances ont nourri la trame de son roman « Les Fruits d’or » paru en 1963.
Le tropisme est une réaction d’orientation générée par un agent physique ou chimique, par exemple dans le cas du tournesol qui recherche le soleil. Au sens figuré, c’est un sentiment fugace, bref, inexpliqué face à un phénomène banal. Chaque texte s’attache à étudier la réaction d’inconnus, hommes et femmes, en contact avec leurs semblables, met en scène des personnages non définis, à peine esquissés, sans lien entre eux, juxtaposés, qui vivent un moment de leur vie d’une manière presque indifférente et qui se termine bizarrement dans une sorte d’expectative où rien ne se passe que des faits anodins, comme si l’intérêt de leur vie se résumait à une attente, à une immobilité (le verbe attendre revient souvent). Cette absence d’action se double d’une sorte de négligence, une sorte de lassitude face aux choses qu’on laisse se dérouler d’elles-mêmes sans qu’on fasse rien pour en modifier le cours. C’est le contraire du mouvement, un peu comme la tiédeur d’un dimanche après-midi qui distille l’ennui, la solitude, le temps qui passe inexorablement, mais aussi l’indifférence à l’autre quand la méchanceté qui est une des particularité de la nature humaine, ne vient pas bouleverser l’agencement de ce morne décor. Alors s’installe la peur de l’autre et aussi la haine, le plaisir de déranger sa vie, d’étouffer ses habitudes, ses espoirs avec des mots médisants, des actions malsaines parfois, pour le seul plaisir de se prouver qu’on existe ou d’exorciser sa propre lassitude de vivre. Cette vie artificielle s’étire, s’emploie à parler de tout et surtout de rien, à faire des plans sur la comète, à médire d’autrui, à exercer son imagination débordante et malveillante dans des domaines futiles et inutiles. Cette superficialité trouve aussi sa réalité dans la volonté de suivre la mode qui est à la fois changeante et frivole. Cette vie marginale, égoïste, ne se limite pas aux petites gens, ceux qui ne laissent aucune trace de leur passage, mais s’étend également aux intellectuels suffisants dont la conscience qu’ils ont de leur supériorité les distingue du commun, ceux qui trouvent dans la foi religieuse et ses rituels surannés une raison de vivre ou ceux que la culture enivre parce qu’elle entretient leur différence et leur en donne la certitude d’être différents, ceux qui se plaisent à croire que la vieillesse leur a conféré une forme de sagesse et donc d’importance avec des pouvoirs exorbitants ou que rien ne doit venir bousculer leur décor familier et immuable.
Il s’agit d’un essai dont la rédaction, cherche à redéfinir une nouvelle manière d’écrire, en réaction contre la seconde guerre mondiale, ses excès et ses violences, notamment la volonté nazie dont elle a été la victime d’exterminer les juifs.
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Les fruits d'or
- Par hervegautier
- Le 09/04/2024
- Dans Nathalie Sarraute
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N°1859– Avril 2024.
Les fruits d’or – Nathalie Sarraute – Gallimard.
Prix international de littérature en 1964.
Il s’agit d’un roman intitulé « Les fruits d’or », comme celui que signe Nathalie Sarraute, un roman dans le roman, une mise en abyme. Le véritable sujet est le roman lui-même dont parlent de nombreux intervenants. Il s’agit surtout de vilipender tous ces pseudo-intellectuels qui, souvent sans les avoir lus, se croient obligés de porter des jugements esthétiques variant de la dithyrambe à la critique au vitriol, de tenir des discours convenus avec force postures étudiées, sur des romans qui viennent de sortir, de faire état avec véhémence de leur avis souvent glané ailleurs ou qui se croient inspirés en baptisant « génial », « stupéfiant » ou « un chef-d’œuvre », un livre auquel ils n’ont rien compris, ou qui encensent un roman au seul motif que l’auteur est connu. Cela tient davantage à leur volonté de briller en société en formulant des jugements définitifs que d’entretenir leur culture ou de goûter la beauté d’un texte et ils ne tarissent pas d’éloges sur le talent de cet auteur, font des plans sur la comète sur sa carrière, clament bien fort leur soutien en exagérant l’importance de l’œuvre. Cela ne se limite pas aux best-sellers et notre auteure évoque un tableau de Courbet à qui cet aréopage réserve le même sort. Tout cela a un côté jubilatoire même si cet entre-soi prête beaucoup à l’ironie peut-être un peu facile.
Ce livre est pour moi l’occasion de renouer avec « Le nouveau roman » dont Nathalie Sarraute était un des auteurs emblématiques. Ce mouvement littéraire apparu dans les années 50 se caractérise par un récit assez neutre où il n’y a aucune trame, aucun rebondissement, ou les personnages sont flous, sans caractère particulier, qui éprouvent de la difficulté à se parler et à se comprendre. Il n’est même pas question ici de l’auteur du roman dont le nom, Brehier, est à peine mentionné. Le texte est narratif et emprunte souvent à la fiction, les personnages qui ici s’expriment n’ont aucune personnalité et l’écriture est sans recherche littéraire. La fin, souvent inattendue prend la forme d’une chute. Ici on peut considérer que « Les fruits d’or » finit par s’imposer, à être apprécié, même contre certains de ses détracteurs quand d’autres l’ont carrément oublié, l’oubli étant le lot de la plupart des romans.
Le nouveau roman a donc voulu révolutionner l’écriture. Je me souviens qu’un de mes professeurs de français qui, sceptique et quelque peu ironique, disait du nouveau roman qu’il avait la caractéristique essentiel d’être nouveau ! Qu’en reste-t-il aujourd’hui, quand Marguerite Duras, une autre auteure emblématique de ce mouvement, a obtenu un franc succès non démenti à ce jour, mais je ne suis pas sûr qu’elle ait toujours illustré ce mouvement au cours de son œuvre et deux auteurs couronnés par le Prix Nobel de littérature, Patrick Modiano et Annie Ernaux ont surtout parlé d’eux au point de tomber dans le solipsisme. Le nouveau roman a donc été une tentative de révolutionner la littérature qui en avait déjà connu beaucoup, alors pourquoi pas ? Depuis le début de son existence, le roman a déjà subi nombre d’évolutions, de l’humaniste au baroque, au classicisme, au romantisme, au naturalisme, au réalisme, au symbolisme...quant à l’Oulipo, l’expérience qu’il mène sur le langage est originale et cela n’a pas échappé au jury Goncourt qui a décerné son prix en 2020 à « l’Anomalie » d’Hervé Le Tellier, Alfred Jarry comme Georges Perec (cités par Sarraute à propos du mot « oneille ») ont eux aussi été tenté d’’y imprimer leur marque et ils ne sont heureusement pas les seuls.. Qu’en reste-t-il ? Je ne suis pas expert mais Il est certain que si les romans actuels racontent une histoire avec souvent un étude de personnages, le mode d’expression des auteurs, à quelques brillantes exceptions près, a globalement changé pour adopter un forme plus spontanée, proche du langage parlé, loin en tout cas d’un recherche d’images poétiques ou de vocabulaire.
Il reste que ce livre est jubilatoire, (pas celui dont parle Sarraute qui n’est qu’à peine évoqué, mais le sien) et parler ainsi d’un livre sans en rien dire reste une performance. C’est en tout cas pour moi l’occasion d’en connaître davantage sur ce « Nouveau roman » tout juste effleuré dans ma lointaine scolarité. C’est aussi peut-être une sorte de leçon à tous ceux qui parlent des livres des autres !