Ivàn REPILA
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LE PUITS
- Par hervegautier
- Le 04/02/2016
- Dans Ivàn REPILA
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La Feuille Volante n°1011– Février 2016
LE PUITS – Ivàn REPILA – Denoel.
Dès la première page, on a l'impression d'être dans une fable. Dans une forêt, deux enfants, le Grand et le Petit sont tombés au fond d'une sorte d'excavation souterraine d'où ils voient seulement le jour sans pouvoir, malgré leurs efforts, atteindre l’orifice. On sent bien qu'ils sont coincés là pour longtemps. Comme dans tous les groupes, les personnalités se révèlent, surtout en cas de danger : il y a ceux naturellement qui commandent, ici c'est le Grand parce qu'il est l'aîné, et ceux qui obéissent, ici c'est le Petit. C'est effectivement le grand qui prend les initiatives, qui compose les repas, des vers et des racines, que collecte le petit mais c'est aussi lui mange le plus, le plus jeune se contentant de ses restes. C'est lui aussi qui donne les ordres. Avec eux ils ont un sac plein de nourriture destinée à leur mère et auquel le grand a interdit de toucher malgré les sollicitations du plus jeune. Une forme apparaît même par l’orifice que reconnaît le Grand mais il garde cela pour lui. Cette personne ne tentera jamais rien pour les tirer de leur prison, au contraire peut-être, elle vient vérifier qu'ils n'ont aucune chance d'en extraire.
Le temps passe dans la solitude et les tentatives de sortir qui se révèlent vaines. Comme nous sommes dans une forêt, dans un endroit clos et dans une quasi obscurité les fantasmes humains traditionnels s'invitent et avec eux les loups qui incarnent les peurs ancestrales de l'inconscient collectif. Les hallucinations, la folie, le délire s'emparent du plus jeune alors que le Grand tente de se maintenir. La faim aussi y est pour quelque chose qui l'affecte jusqu'à sa manière de parler, mais qui révèle aussi les pulsions meurtrières qu'il porte en lui. Mais il est toujours interdit de toucher aux victuailles du sac, même si le Petit dépérit à vue d’œil. Cela matérialise une forme de tabou, de non-dit qui ici se manifeste autour de la famille, porte en lui des interdits qu'il ne faut transgresser sous aucun prétexte. C'est le corollaire de la forme penchée en silence sur l’orifice du trou qu'a aperçu le Grand. C'est lui le chef, qui a édicté la règle et il n'est pas question d'y déroger, même si la nourriture se raréfie et si d'aventure un oiseau vient s'égarer dans leur antre et constitue ainsi un met de choix, c'est toujours le Grand, malgré les lazzis du Petit, qui a la décision. Puis vient l'inévitable peur de la mort qui, dans ce contexte est davantage d'actualité même si nous sommes tous morte . Le Petit est dès lors en proie à un délire beaucoup plus grand que précédemment. Il sent la mort sur lui, veut laisser une trace de son passage dans ce monde mais vit ce moment comme une délivrance prochaine. Le Grand lui emboîte le pas, gagné lui aussi par cette idée de la mort salvatrice dont il souhaite peut-être hâter la survenance. Puis, peut-être bizarrement, se manifeste une sorte de pulsion de vie qui s'accompagne d'ailleurs d'un sentiment d'amour fraternel avec, au bout, la vengeance dont le Grand charge son frère, lui confie quelque chose comme un destin.
Ce texte pourtant court, seulement une centaine de pages qui se lisent d'un trait, laisse, au-delà de l’histoire, forcément allégorique, un sentiment assez bizarre mais aussi précis pour moi. J'y ai lu l' image de notre vie à tous avec les trahisons que nous subissons, d'autant plus inattendues qu'elles sont le fait de nos proches dont, évidemment nous ne nous méfions pas. Quand une traîtrise est dirigée contre des enfants sans défense, est le fait de leurs parents ou de leurs proches, cela prend une dimension injuste encore plus grande. Ceux qui en sont les auteurs trouveront toujours de bonnes raisons pour justifier leur félonie ou pour s'en dédouaner. Le sentiment de vengeance qui en découle est légitime et ne laisse aucune place au pardon, trop souvent sollicité comme quelque chose d'automatique et qui serait même dû, à cause du temps qui a passé, des choses qui ont évolué..
Je suis entré dans ce livre sans doute d'une manière autre que celle que le préfacier mentionne. Ce roman est certes une œuvre de l'imagination et le décor planté est là pour exciter la nôtre et individuellement nous faire réagir sous couvert de l'émotion. Il n'est cependant pas besoin, si on veut bien y réfléchir, de faire acte d'imagination pour, à partir de notre vécu, comprendre simplement ce texte ou l'interpréter. Au-delà de la création littéraire, de la mise en scène inévitables dans le cadre d'un roman, nous pouvons parfaitement nous y retrouver et dépasser la fiction. Un autre sentiment me vient, celui de la vengeance d’autant plus nécessaire que la trahison a été injuste et imméritée. Il faut parfois attendre longtemps pour en obtenir réparation ou à tout le moins en avoir l’impression, l'illusion, parce que le mal qui est fait l'est définitivement sans que rien ne puisse l'effacer. Il en reste toujours des traces indélébiles dans la mémoire de celui qui a été la victime mais les événements ne le servent pas toujours parce que la vie elle-même est une injustice. Je ne connais pas cet auteur ni évidemment son parcourt mais le préfacier voit dans l'écriture une forme de châtiment. On dit que la parole libère, parler (ou écrire) aide sans doute à gommer les traces pourries que la vie a laissé en nous , à exorciser nos souffrances. J'ai longtemps cru au pouvoir cathartique de l'écriture. J'en suis beaucoup moins sûr maintenant.
© Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]