LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 11/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°608– Décembre 2012.
LA TRAHISON DE THOMAS SPENCER – Philippe Besson - Juillard
Le décor tout d'abord : les bords de ce fleuve-frontière, le Mississipi, des maisons isolées, des routes, des champs puis au début, la période bénie de l'enfance pour deux garçons Thomas Spencer et Paul Bruder, bref un récit de Marc Twain dans un tableau d'Edward Hopper !
Ils sont nés tous les deux le jour de l'explosion d'Hiroshima mais n’appartiennent pas à la même famille, ils ont donc jumeaux de hasard, vivent dans la même petite ville de Natchez, ont des distractions d'enfants de leur âge mais dans un contexte familial différent. Si Paul a une famille ordinaire, Thomas lui n'a pas de père, c'est à dire qu'il a quitté sa mère en apprenant qu'elle était enceinte. Ils partagent pour autant l'idée d'absence puisque Paul a perdu son frère aîné à la guerre de Corée. C'est sans doute ce qui les a rapprochés. Ils ont quand même brûlé cette enfance insouciante au bord du fleuve, dans l'ombre parfois inquiétante d'adultes, la réalité du racisme, et au rythme de l'histoire du pays et de la trace laissée par ses célébrités. Il y a eu une attirance réciproque entre eux, des expériences féminines plus ou moins sérieuses, plus ou moins gauches, toujours un peu frustrantes et fantasmées qui se terminèrent bien souvent par une fuite, un refus, des regrets et un sentiment curieux qui va du désespoir, de la solitude, de l'abandon à l'envie irrésistible de recommencer tout en étant capable de rire de tout, même de ses échecs. Pour Thomas comme pour Paul, elles se sont succédé sans pour autant que l'un face de l'ombre à l'autre.
Puis ils se sont séparés, Thomas parti pour l'université et Paul appelé à succéder à ses parents dans l'épicerie familiale de Natchez. Claire MacMullen apparaît qui s'installe avec Paul. Tout semble dès lors figé dans un sud indolent et traditionnel. Le retour de Thomas pour un petit emploi de bibliothécaire ne change rien à l’ordonnancement des choses qui s'établissent dans une routine quotidienne pesante. Tout aurait pu être ainsi immobile jusqu’à la fin mais Paul, en bon américain, choisit de s'engager pour aller au Vietnam combattre le communisme, laissant Claire à la garde de son ami !
Qu'est ce donc que cette trahison et n'y en a-t-il pas plus d'une en réalité ? Est-ce celle d'un jeune fils égoïste qui refuse à sa mère célibataire et qui vit seule « l’autorisation » de refaire sa vie avec un autre homme ? Est-ce le même qui, parti à la recherche de son père naturel, choisit lâchement de fuir la rencontre avec lui ? Est-ce toujours lui qui, devenu adulte, laisse glisser son désir vers une femme qui en principe ne lui est pas destinée et qui ainsi transgresse une amitié, une complicité de toujours, plus qu'une fratrie de hasard ? Est-il possible, dans ces circonstances d'accuser la fatalité, les circonstances, un improbable amour alors qu'on ne devrait parler que d'une attirance charnelle, que d'une volonté partagée de profiter de l'instant dans le secret et même dans l'absurde.
Le suspense est savamment entretenu jusqu'à la fin (le titre est déjà une mise en bouche) avec peut-être certaines longueurs notamment dans le catalogue des nombreuses conquêtes féminines de Thomas qui n'est peut-être là que pour annoncer l'épilogue et en souligner le désastre. Paul, devenu l'ombre de lui-même, abandonné et trahi par la femme qu'il aime, ne trouve d'issue que dans la mort qui est une délivrance. Elle est l'ultime étape de la vie, la seule consolation valable face à la désespérance parce qu'après il n'y a rien que le néant. C'est, certes, l'histoire d’une trahison qu'on aurait tendance à qualifier « d’ordinaire » tant les choses humaines finissent par être banales. Moi, je choisis d'y voir une sorte de message, celui de ne faire confiance à personne, de ne croire rien de ce qui est proclamé ou écrit surtout quand tout cela est solennel et juré, que l'espèce humaine est définitivement infréquentable, et que nous en faisons tous partie. Cette histoire met en évidence ce côté obscur de Thomas, et cela nous concerne tous.
Ce récit est celui de Thomas, le narrateur. Il le fait pour le lecteur sur le ton de la confidence.
Tout semble écrit depuis le début, comme la marque d'un inexorable destin. Je sais bien que nous sommes dans une fiction, que l'auteur nous raconte une histoire et j'ai dit dans cette chronique à plusieurs reprises combien cela me plaisait, comme j'y trouvais de l'intérêt et du plaisir. Il y a peut-être ici, comme dans tout récit imaginé une part de vérité que l'auteur choisit de déguiser à sa convenance, mais j’ai quand même ressenti dans cette histoire une sorte de libération par l'écriture. On ne dira jamais assez l'action cathartique des mots et Besson en est, à mes yeux, un exemple flagrant d'autant qu'il sait, dans le même temps, passionner son lecteur et lui faire partager à la fois les espoirs, les angoisses et les passions des personnages.
L'écriture pourrait parfaitement être considérée comme une confession camouflée qui demanderait, non pas au lecteur mais à la propre conscience de l'écrivain, une impossible rédemption au seul motif que la faute a été confessée, même à la feuille blanche. Je ne suis pas sûr que l'accusation devant un improbable dieu ou son représentant qui, comme le soutiennent les religions judéo-chrétiennes allège l'âme et permet surtout de recommencer, mais, à coup sûr ici, cela produit une œuvre d'exception animée d'un souffle authentique.
J'ai rencontré cet auteur par hasard à cause de mon intérêt pour le peintre américain Edward Hopper dont il avait si bien parlé. J'ai plaisir à lire chacun de ses romans et j'apprécie son style fluide et agréable à lire, son sens à la fois de la simplicité et de la musicalité de la phrase.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
Commentaires
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- 1. Eve-Yeshe Le 17/03/2014
un autre genre mais j'ai apprécié aussi
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