UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 24/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°614– Décembre 2012.
UN GARÇON D'ITALIE – Philippe Besson- Juillard
Depuis que j'ai croisé l’œuvre de Philippe Besson sur les étagères d'une bibliothèque et que cette chronique s'est fait l'écho de pratiquement la totalité de ce qu'il a publié, j'avoue bien volontiers que c’est la première fois que j'ai tant hésité à poursuivre la lecture d'un de ses livres. Il m'est même, à plusieurs reprises tombé des mains et je dois sans doute à son style fluide et agréable à lire, à sa phrase simple, précise et faite de mots sans prétention d'avoir poursuivi ma lecture. Peut-être aussi parce que cette histoire se déroule sous le soleil d'automne, à Florence, cette merveilleuse ville toscane qui porte un nom de femme ?
Pourtant, cette histoire est un peu déconcertante. Sur les rives de l'Arno, en contre-bas du Ponte Santa Trinita, on a découvert au matin le cadavre d'un jeune homme, Luca Salieri, 29 ans. Accident, suicide ou meurtre ? Cette cité est celle des énigmes et, par conséquent, le cadre était plutôt bien choisi. Le lecteur s'attend donc à lire un roman policier, mais ce n'en est pas vraiment un, puisque le narrateur n’est autre... que le cadavre lui-même ! C'est lui d'ailleurs qui raconte la découverte de son corps, les questions que ne manquent pas de se poser les enquêteurs en pareil cas, l'autopsie, l'enterrement et j'en passe. Il n'est d'ailleurs pas avare de détails [« Voici que les vers s'attaquent à l'armature, que les asticots prospèrent, que la vermine accourt pour se nourrir de ma viande en décomposition, que des larves s'extirpent de mes orbites creusées. »]. C'est lui aussi qui donne la clé de l'énigme. Bien entendu, il parle à la première personne tout comme les deux autres personnages principaux, Anna Morante, sa compagne et Leo Bertina, un petit prostitué un peu minable qui officie dans le quartier de la gare. Ils interviennent directement et alternativement dans le récit, dévoilant petit à petit leur rôle dans cette affaire et surtout dans la vie de Lucas. A Anna, Luca réservait le mensonge et à Leo le silence. Ces deux portraits croisés vont petit à petit éclairer cette énigme, révélant le rôle personnel qu'ils ont pu y jouer et aussi la personnalité de Luca. Au fil des pages l'intrigue policière s'estompe peu à peu pour disparaître complètement par le biais d'une banale décision administrative. A sa place, Besson y substitue une histoire d'amour mais pas exactement celle à laquelle on pouvait s'attendre. Anna formait avec Luca un couple et un mariage était envisagé. A ce titre et puisque c'est elle qui a signalé sa disparition, elle est interrogée par la police mais prend petit à petit conscience des pointillés et des petits mystères qui existaient entre eux. Elle les supportait cependant par attachement et peut-être par amour pour Luca mais les investigations policières vont progressivement les éclairer et les expliquer. A côté de cette relation quasi-amoureuse, le lecteur assiste à la révélation d'une véritable liaison entre Luca et Leo qui met en évidence une hypocrisie familiale. Pourtant c'est Luca lui-même qui les réuni autour de son cercueil « Anna, Leo, de grâce, soyez assurés que j'emporte votre image avec moi ».
Les autres intervenants secondaires, ses parents notamment, sont juste évoqués, comme des étrangers.
C'est un peu comme si un mort-vivant nous raconterait ce qu'il « voit » à l'extérieur et ce qui lui passe par la tête, égrenant ses souvenirs et ses remords . Il le fait sur le ton léger de la vie, sans aucune angoisse de la mort, avec détachement et même soulagement d'avoir été enfin, par le hasard, débarrassé d'un fardeau. Il avait dû espérer quelque chose de cette existence qu'il n'a cependant pas obtenu d'elle, une sorte d'impossibilité à mener ce ménage impossible, ce trio qui ne pouvait que déboucher sur le scandale ou sur le néant. Il prend cette aventure avec un certain fatalisme et même de l'humour. Il est vrai qu'on peut toujours rire de tout, même des événements les plus inattendus et que c'est une arme efficace, même contre les tragédies... Pourtant Lucas avait tout pour être heureux, une bonne famille bourgeoise, une compagne jeune, jolie et aimante et ce Leo qu'il semblait avoir bien connu. Il incarnait pourtant sa face cachée, son aspiration vers autre chose, sa fêlure aussi, une autre vie impossible à réaliser. Philippe Besson cite d'ailleurs plusieurs fois Cesare Pavese, écrivain italien, auteur entre autre du « Métier de vivre » qui se suicidera.
J'observe que Luca est mort jeune et que pour l'éternité il gardera les traits lisses de son visage, la souplesse de son corps, personne ne le verra vieillir et lui ne sentira pas ses os se déformer et ses yeux s'éteindre. C'est le thème de la jeunesse et de beauté des corps qui revient encore une fois sous la plume de Besson, allié aussi à l'obsession de la mort. Certes il y a l'homosexualité présentée ici comme la part d'ombre de Luca mais ce que je retiens aussi c'est l'hypocrisie, la trahison qu'il pointe du doigt et qui caractérisent tant l'espèce humaine et la rend définitivement détestable.
Au début j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'univers de ce roman. J'ai persisté dans sa lecture et je ne le regrette pas.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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