LA MAISON ATLANTIQUE
- Par hervegautier
- Le 27/02/2015
- Dans Philippe Besson
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N°873– Février 2015
LA MAISON ATLANTIQUE – Philippe Besson – Juillard.
Au départ, une maison au bord de la mer en été où un père, brillant avocat d'affaires, retrouve pour quelques jours son fils, après quelques années de séparation et pas mal d'épreuves ; C'est donc une résidence secondaire, pleine de souvenirs. Tout aurait dû être pour le mieux, une période de vacances avec son farniente, son soleil mais, évidemment ce huis-clos familial un peu forcé augure mal de la suite. Dès le départ on sent bien une atmosphère tendue entre le fils qui est aussi le narrateur et son père, Guillaume, et cette « unité de lieu » donne aux faits évoqués la dimension d'une tragédie où les souvenirs, forcément mauvais, ne vont pas tarder à ressurgir. On convoque le passé, parfois par la seule force de sa mémoire, parfois en l'habillant de mots, mais c'est le silence qui dès lors prévaut avec ses regrets, ses remords, ses aventures d’adolescent, ses fantômes, celui de la mère notamment. Le présent aussi s'invite avec ses vieilles rancœurs. Avec lui reviennent les vieux démons du père, divorcé depuis quelques années et qui ne peut croiser une jeune et jolie femme sans vouloir la séduire. Cécile, la femme du couple qui s'installe en voisin, sera pour lui une proie, parce qu'il décèle chez elle une fragilité dont il va jouer, et profiter. Elle montre aussi une sorte d'envie mal refoulée, une appétence pour la liberté, une volonté peut-être de profiter de la confiance aveugle d'un mari trop amoureux, trop naïf, trop candide. Et puis c'est l'été, la saison des amours éphémères, des aventures sans lendemain... Ce n'est certes pas original comme situation mais ce n'est pour autant pas un banal vaudeville à la Feydeau et tous les éléments du drame sont en place avec cette mécanique implacable où la chance semble être du côté des fautifs, ce qui augmente le malaise. Ce genre de situation est d'une banalité sans nom, n'honore guère les participants qui, pour quelques moments de fugace plaisir et un très hypothétique amour vont remettre en cause leur vie mais bien souvent aussi celle des autres ; son issue, on l'imagine, ne va pas briller par sa nouveauté. ( « Les histoires d'amour se terminent mal en général » , air connu). Celle-là, dont l'auteur nous offre avec un vrai sens du suspens, les moindres détails et les états d'âmes du narrateur, n'échappera pas à la règle.
Ainsi, cette période de vacances qui était censée rapprocher le père de son fils va contribuer à les éloigner l’un de l'autre, définitivement. En effet, les années de renoncement, d’indifférence, de trahison vont revenir d'un coup et charger cette atmosphère de haine. Durant toute la durée de ce roman, on sent le fils, le narrateur, un peu paumé dans le monde de son père qui, à l'évidence n'est pas fait pour lui. Il le sait, il en est le spectateur, n'en sera jamais l'acteur mais déplore aussi les victimes de son prédateur de père, son attitude à la fois désinvolte et égoïste.
Il y a une dimension de culpabilisation constamment rappelée par le narrateur dans ce texte par rapport à ses silences devant de donjuanisme paternel et les souffrances vécues par sa mère et qui l'emporteront. Personnellement, je me suis toujours inscris en faux au regard de cette vision judéo-chrétienne des choses qui empoisonne la vie des gens. Il y a peut-être autre chose. Le narrateur se rapprocherait bien de Cécile qui ne lui est pas indifférente et dont l'âge lui paraît beaucoup plus compatible avec le sien, mais il est supplanté par son père plus entreprenant, plus attirant peut-être ? C'était un peu comme si le différent entre le père et le fils, latent jusqu'à présent, prenait ici une dimension différente, plus passionnelle, plus rituelle, le fils sortant enfin d'une adolescence prolongée et le père faisant perdurer un peu artificiellement une vie de séducteur sur le déclin. Dans cette relation de dupe, le mari, Raphaël, « cocu magnifique » tant moqué par le théâtre de boulevard, me paraît être carrément mis de côté et joue le rôle d'un mari honnête qui ne voit rien des turpitudes (habituelles?) de sa jeune épouse. On ne sait même pas faire vraiment la différence dans son attitude entre la volonté de ne rien voir, d'être accommodant, voire lâche et celle de témoigner à Cécile une confiance aveugle. On dirait volontiers qu'il se la fait « voler » mais mais c'est ramener cette dernière à un simple objet passif qu'on peut s'approprier alors que d'évidence elle joue un rôle actif dans cette relation adultère.
Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je voudrais dire un petit mot sur la couverture de ce livre. Certes elle fait aussi partie du roman mais elle n'a, le plus souvent, que des fonctions attractives et des fins bassement commerciales. Ici, j'y vois peut-être autre chose. Elle représente un tableau du peintre américain Edward Hopper dont cette chronique a déjà parlé. Y figurent une maison au bord de la mer et un voilier ce qui va bien avec le titre. Compte tenu de l'attachement du peintre pour la Nouvelle-Angleterre et le cap Cod, on peut penser que ce paysage s'y rapporte. Le roman lui se situe en France, dans une ville balnéaire sans autres précisions. Ce qui me paraît important, c’est le rapprochement entre le peintre et le romancier. Avec « L’arrière-saison »(La Feuille Volante n°604) et aussi dans un certain nombre d'articles, Philippe Besson a clairement établi cette « parenté » artistique. C’est peut-être à cause de cela que je les associe maintenant tous les deux et que lorsque j'ouvre un de ses romans, ce sont les images et l’ambiance distillées par les toiles de Hopper qui me viennent à la mémoire.
Une autre chose est intéressante et qui vient des différentes interviews où l'auteur précise que cette histoire n'a rien d'autobiographique mais qui au contraire est un œuvre de fiction parfaitement inventée. Le père dont il est question n'est pas celui de l'auteur comme l'atteste la dédicace non équivoque. Besson se pose donc ici en un véritable raconteur d'histoires. C'est en effet tout un art de tisser sur le néant de la feuille blanche un décor, une trame quasi-policière et une vrai étude psychologique des personnages tout en tenant en haleine son lecteur jusqu'à la fin. Il nous régale avec son habituel style à la fois fluide, simple, facile et agréable à lire qui distille une petite musique pleine de nostalgie et de sensibilité.
©Hervé GAUTIER – Février 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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