EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson
- Par hervegautier
- Le 14/12/2012
- Dans Philippe Besson
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N°609– Décembre 2012.
EN L'ABSENCE DES HOMMES – Philippe Besson - Juillard
Nous sommes en 1916 à Paris, un jeune aristocrate de 16 ans, Vincent de l’Étoile fait, dans un salon, la rencontre de Marcel Proust (pourtant jamais nommé), alors homme de lettres reconnu, de trente ans son aîné. Avec le temps, il partage avec lui une amitié sincère qui ira jusqu'à la confidence. Pour Vincent, il y a certes la réputation que va lui faire le tout-Paris : fréquenter Proust est sulfureux et il le sait mais bien des choses les rapprochent, notamment l’adoration de leur mère. Proust pourtant rectifie « Nous n'appartenons pas à la même vie mais je crois que ce n'est grave pour aucun de nous deux ». Au fil de leurs rencontres, des liens quasi-filiaux se créent entre Vincent et Marcel qui se confient l'un à l'autre. Vincent ne souffre pas vraiment du manque de son père mort et Marcel, asthmatique et porté sur la littérature, a senti très tôt qu'il allait décevoir le sien puisqu'il était professeur de médecin et que le frère de Marcel sera chirurgien.
Il y a aussi Arthur Valès, jeune instituteur de 21 ans qui est fils naturel de la gouvernante des parents de Vincent, autant dire une domestique. Il est actuellement dans la boue des tranchées à Verdun. Entre les deux jeunes hommes il y a très tôt une attirance physique, durant sept jours (le chiffre symbolique d'une création) de permission, ils vont s'unir charnellement, se promettant un amour perpétuel.
« En l'absence des hommes » est donc le récit de cette courte liaison amoureuse entre deux garçons, sur fond de guerre et avec le regard bienveillant et protecteur de Marcel. Proust nous est présenté comme un mondain, un dilettante qui souhaite s'opposer aux Allemands par la participation à des dîners et des fêtes parisiennes alors qu'Arthur est sous les balles et les obus. Puis, les confidences et la confiance se faisant plus précises, Vincent va avouer à Marcel son attirance pour Arthur. On s’attendrait qu'il y ait des tentatives de séduction de la part de Proust face à un jeune adolescent qui partage son penchant homosexuel. Il n'en est rien, au contraire puisqu'il conseille son jeune ami, le met en garde contre la société qui bannit et punit durement cette aversion, lui parle de l'amour qui est synonyme de souffrance, de désespoir, le met en garde contre « les emballements du cœur », lui rappelle qu'il a toute la vie devant lui, que la mort peut venir contrecarrer ses projets mais s'enthousiasme pour ce pur amour qui lui a sans doute été refusé.
Arthur retournera dans ses tranchées et fera partager à Vincent cette guerre atroce et meurtrière qui le fauchera. Leurs lettres sont à la fois pudiques et sensuelles et on peut cependant se demander comment, ce qui mettait en évidence une liaison condamnée par la loi, ait pu échapper à la censure militaire. Cette correspondance dont la dernière arrivera trop tard est le pendant de celle que s'adressent mutuellement Vincent et Marcel, absent momentanément de Paris. Il y a entre eux aussi une dimension d'aveu, de conseils aussi d'un ami plus âgé, presque de relations père-fils, une relation platonique en tout cas.
Le personnage de la mère d'Arthur est émouvant, « cette femme de quarante ans qui en paraît soixante » et qui a dû subir toute sa vie l'opprobre de la « fille-mère ». Elle prend la dimension d'une Piéta( La mère est là...) Au début, les paroles qu'elle échange avec Vincent sont convenues, presque de circonstances et leur rencontre est surtout faite de silences. Mais rapidement et malgré la subordination qui existe entre eux, elle se confie à lui, lui avoue qu'elle avait compris tout de suite l’attachement qui le liait à son fils, lui révèle son parcours douloureux et misérable, le secret de la filiation d'Arthur, la découverte de sa sexualité, le silence mutuel qui a entouré cette prise de conscience, la certitude que l'autre savait sans jamais en avoir parlé, la révélation de l'amour que son fils portait à Vincent …
Il y aussi de longues digressions sur la mort, sur l'absence et le gâchis, l'inconcevable et l'inexplicable quand il s'agit d'un enfant, même si on a prié un improbable dieu que cela n'arrive jamais ! Le souvenir laissé par un être se mesure à l'aune de ceux qui, après sa disparition penseront encore à lui.
Je retiens aussi une analyse très fine de l'écriture que l'auteur met dans bouche de Marcel et aussi pour Besson l'occasion de dire toute l'admiration qu'il a pour l'auteur de « A la recherche du temps perdu ». Lors de leurs échanges, Marcel confesse à son ami l’importance qu'à l'écriture pour lui, « Si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort ». De même il met en parallèle l'écriture et la paternité, lui qui n'est pas censé avoir d'enfant. Ses livres seront ce qui lui survivra et quand Vincent lui demande pour qui il écrit, il répond « J'écris pour mes disparus ». L’épilogue que l'auteur imagine est cependant originale et inattendue !
Vincent et Arthur n'ont pas eu le temps d'être malheureux ensemble. Leur amour est donc intact et dès lors ravalé au rang de souvenir douloureux, un vide que la fuite seule peut combler.
Je vais sans doute écrire une absurdité mais, si j’apprécie la démarche proustienne du temps qu'on abolie par le travail de la mémoire, je ne goûte guère son style, sa phrase interminable et compliquée. Je lui préfère et de loin le style fluide et musical de Besson mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique.
Ce roman publie en 2003 était le premier de Philippe Besson. Il fut salué par la critique comme une révélation.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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