Paris-Briançon
- Par hervegautier
- Le 12/12/2022
- Dans Philippe Besson
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N°1700 – Décembre 2022
PARIS – BRIANÇON - Philippe Besson – Juillard.
J’ai assez pris le train durant ma jeunesse, michelines omnibus aux couleurs délavées et qui s’arrêtaient à toutes les gares de la campagne ou trains de nuit aux compartiments bondés et pleins de militaires rejoignant leur caserne, pour ne pas être tenté de monter dans celui-là aussi. Cela n’avait pourtant à l’époque rien à voir avec le mythique Orient-Express et tous ses fantasmes et je passais souvent la totalité du voyage dans le couloir ou dans les soufflets et même si aujourd’hui ce sont des trains-couchettes, principalement à destination du sud de la France, je me suis dit que cela me rajeunirait. J’ai toujours été attiré par les trains parce que j’en ai été longtemps le client assidu et que l’espace de quelques heures on se retrouve en promiscuité avec des gens qu’on ne connaît pas, avec qui on peut lier conversation pour ensuite ne plus jamais les croiser. Pendant ces entretiens improvisés, dans le huis-clos des compartiments, on pratique la philosophie du café du commerce, on raconte souvent sa vie en une sorte de confession, les questions se font parfois indiscrètes, les réponse aussi, on refait le monde, on parle de la météo, de la politique, à en oublier le sommeil, d’autant plus facilement qu’on a affaire à un inconnu. J’ai toujours été attiré par cette ambiance propres aux trains.
Philippe Bessons plante ici le décor, des personnes, jeunes ou vieux, d’horizons professionnels différents et aux motivations diverses d’être ici, vont se rencontrer pour un voyage ferroviaire nocturne de plus de douze heures. Souvent ils ne se connaissaient pas auparavant et vont se découvrir. Au début on a l’impression d’être dans l’ambiance traditionnelle des romans de l’auteur avec son lot de rencontres masculines dictées par la chance comme il les affectionne, telle celle d’Alexis et de Victor dans la torpeur d’un long trajet. Leur rencontre éphémère que rien ne laissait prévoir révèle autant une découverte mutuelle que la certitude de devoir vivre avec ce secret. Rien ne devait se passer, tous devaient arriver à Briançon sans encombre et reprendre le cours de leur vie après cet intermède nocturne, la routine… Puis c’est l’accident brutal et avec lui la mort. Elle fait partie de la vie, en est simplement la fin et on oublie un peu vite que nous n’en sommes que les usufruitiers, que nous sommes mortels, qu’elle peut nous être enlevée sans préavis et surtout au moment où nous y attendons le moins, même si nous menons notre existence en faisant semblant de l’oublier. On songe au thème de la fatalité, du hasard malheureux, d’un enchaînement d’évènements évoquant la fragilité de notre vie, la certitude que nous ne sommes que de passage, qu’un rien peut soudain faire changer radicalement les choses, que se trouver « au mauvais endroit au mauvais moment » peut être fatal, que ceux qu’on a aimés ou simplement appréciés l’espace d’un instant peuvent simplement basculer de l’autre côté et qu’on ne les reverra plus jamais, que la quasi totalité d’entre nous ne laissera de son passage sur terre qu’un nom sur une pierre tombale...
Face à cela s’est installé cette habitude qui s’est ancrée dans notre quotidien, ce « droit à l’information » quelque peu dérisoire au regard de l’horreur et à la souffrance d’autrui, faisant de chacun d’entre nous de véritables voyeurs demandeurs d’images, qu’elles viennent des réseaux sociaux ou de la télévision. De tels événements qui émaillent notre quotidien révèle la cruauté de notre existence mais aussi sa futilité.
Les trains de nuit que j’ai connus n’ont plus rien de commun avec les intercités actuels, évidemment plus confortables mais j’ai retrouvé avec plaisir le style de Philippe Besson et les personnages attachants qu’il nous donne à voir. Cela m’évoque cette parole d’Apollinaire « crains qu’un train ne t’émeuve pas ».
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