la feuille volante

UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson

 

N°606– Décembre 2012.

UN INSTANT D'ABANDON – Philippe Besson – Juillard.

Falmouth, un petit port de pêche en Cornouailles perdu sur les côtes anglaises avec ses falaises,  « là où la terre abdique », ses marins-pêcheurs, ses pubs, ses touristes à la saison, presque un paysage de carte postale... Un matin de novembre, un homme, Thomas Sheppard, descend du train pour y revenir simplement parce qu'il est ici chez lui, il y possède d'ailleurs une maison. Rien que de très banal jusqu'à présent. Son absence a été longue mais il constate que rien n'a changé.

Cet homme pourtant sait qu'il ne devrait pas revenir, qu'il n'y est pas le bienvenu, pas seulement parce que son absence a été longue mais surtout parce qu'il est parti sous l’opprobre général. Pourtant, il n'a plus nulle part où aller bien qu'il se sente ici plus que jamais un étranger. A Falmouth, les hommes sont des marins pleins de préjugés, durs à la tâche et renfrognés, les femmes restent traditionnellement au foyer, mettent au monde le enfants, les éduquent...

Cette venue est pour lui l'occasion de faire un retour en arrière. Il se revoit marié avec Marianne, sa jeune épouse, leur fils, ce jeune garçon de huit ans avec qui il est un jour parti en mer malgré les recommandations de prudence de la météo et qui est revenu sans lui. Ce fut une faute que la mort de cet enfant et il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement pour cela. Bien sûr, chacun y est allé de son témoignage accablant, son épouse Marianne a porté plainte contre lui avant de le quitter. Il ne s'est pas défendu, est allé au devant de la condamnation, a purgé sa peine dans l'indifférence générale mais maintenant qu'il a payé sa dette à la société, comme on dit, il devrait pouvoir exercer son droit à la liberté et la liberté c'est chez lui, à Falmouth ! Bien sûr, quand il se montre dans les rues chacun se souvient de l'affaire et l'évite. On va même jusqu'à lui faire parvenir une lettre anonyme lui signifiant qu'il doit partir, qu'on ne lui a rien pardonné, qui est ici indésirable. Personne n'a eu d'égard pour ce père qui a perdu son fils et on a retenu contre lui l'infanticide même s'il n'était pas intentionnel, on l'a qualifié de  monstre, d'assassin .

Il ne trouve que Rajiv, un commerçant pakistanais à qui il se confie parce que lui veut bien écouter son histoire et qu’elle n'est sans doute pas sans similitude avec la sienne propre. Il trouve aussi une oreille attentive en la personne d'un jeune femme, Betty Callaghan, pas très belle et qui veut bien de lui. A elle aussi il parle. Il lui raconte l'enfermement carcéral, les viols et l'indifférence des gardiens, évoque l'énigmatique figure de Luke, mais aussi la grande vacuité de sa vie maintenant, avec les fantômes du passé.

De ces monologues il ressort que si Thomas ne s'est pas défendu au procès, c'est qu'il avait eu la certitude qu'il ne pouvait être le père de son fils à cause d'une stérilité définitive et que l'enfant est mort simplement par accident et non à la suite d'une faute de ce père imprudent. Il n'était pas vraiment prêt à la paternité et considérait cet enfant comme un encombrement, bien avant qu'il n'apprenne qu'il ne pouvait en être le père. Autant dire que son mariage, basé sur un mensonge, une tromperie, ne pouvait pas être heureux. Et pourtant la mort de cet enfant l'a libéré de cette paternité impossible et du traquenard dans lequel l'avait attiré son épouse.

Il avait cru trouver une oreille attentive et aimante en la personne de Betty, mais il ne tarde pas à s’apercevoir que sa compassion était intéressée et qu'elle recherchait un père pour son enfant. La nouvelle vie dont il pouvait jouir désormais lui semble inaccessible et il préfère y renoncer, au seul motif « qu'il attend quelqu'un ». Effectivement il partira de Falmouth sans se retourner, laissant ses habitants sur une sorte de victoire que sa fuite matérialise.

L’auteur bat en brèche les idées reçues. Pour les habitants de cette petite ville, Thomas est définitivement coupable de meurtre et la prison ne le lavera jamais de cette faute. C'est un peu comme une confession qui met du temps à s’effectuer, à cause de la douleur de l'aveu, malgré la bienveillance de Rajiv et de Betty qui ici, font fonction de prêtre, comme si la culpabilité était la plus forte. Pourtant, il sait que à Falmouth la rédemption n'existe pas malgré les années de prison, malgré la vie qui peut recommencer et l'effort qu'il fait de revenir dans un milieu hostile.

Thomas est aussi la victime des femmes, de Marianne d'abord qui lui fait endosser une paternité qui n'est pas la sienne, de Betty ensuite qui ne le rejette pas dans le seul but de donner un père à son fils. Il choisit à la fin de partir avec Luke, officialisant une relation homosexuelle née en prison qui ne peut, bien entendu se dérouler au grand jour à Falmouth, surtout compte tenu du passé de Thomas. Le lecteur se prend à former des vœux pour que cette relation entre deux hommes soit durable et sincère. Thomas est réellement différent des autres habitants, c'est pourquoi il quitte cette ville. L'homosexualité qui n'est ici qu’évoquée est une image, le bonheur n'existerait-il qu'avec quelqu'un qui nous ressemble ? Est-ce à dire que les hommes et les femmes n'ont que peu de choses en commun sinon le calcul et l'arrangement et ne se rencontrent que pour procréer ou pour le plaisir ? Ensuite chacun reprend son bagage d’égoïsme et ne recule devant rien pour éliminer l'autre quand il devient encombrant ? Est à dire que l'espèce humaine est définitivement infréquentable ? J'avoue que cette idée que je partage volontiers m'a habité tout au long de ce roman. Cet « instant d’abandon » n'est-il là que pour révéler la part d'ombre de Thomas ?

L'image du fils est révélatrice, un peu comme un être (c'est à dire la paternité, la descendance) qui lui est interdit puisque le premier meurt accidentellement et qu'il refuse le second. Face à chacun d'eux il y a une fuite, évidente dans le second cas puisqu'il refuse cette nouvelle vie mais qui n'est pas moins pertinente dans le premier. En effet, c'est la mort de cet enfant qui libère Thomas de son enfermement dans un mariage raté même si pour cela il doit le payer de quelques années de prison et d'une condamnation définitive des habitants de Falmouth.

Comme à chaque fois, Philippe Besson s'approprie son lecteur par la qualité de son style, la musique de sa phrase. Il révèle avec une progression bienvenue les différente phases de ce qu'ont été les épreuves subies par Thomas et maintient l'intérêt du récit jusqu'à la fin. Comme toujours ce roman a été un bon moment de lecture ;

©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

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