De là, on voit la mer
- Par hervegautier
- Le 09/05/2017
- Dans Philippe Besson
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La Feuille Volante n° 1136
De là, on voit la mer – Philippe Besson – Jullard.
Louise est écrivain, très célèbre , très parisienne, la quarantaine, mais un écrivain qui connaît l'angoisse de la page blanche et une période de sécheresse et qui, pour exorciser cela se dépayse à Livourne, seule, dans la maison d'Anna. Graziella, la gouvernante italienne discrète assure l'intendance pour que Louise puisse écrire. François, son mari très effacé, s'accommode de cette solitude et de cette indépendance depuis des années et cette fois-ci il est resté à Paris. Louise adore le bord de mer, l’effervescente du port, ce sera peut-être le décor de son prochain livre ? Elle doit manquer d'imagination ou bien alors l'écriture est-elle un extraordinaire moyen de se tisser une autre vie, mais dans son intrigue elle s'imagine veuve et prétend écrire des romans prémonitoires, un effet de la solitude sans doute ? Ce détail du veuvage a son importance dans l'univers créatif de Louise, l'écriture ayant, à mon sens une fonction compensatrice. Voila que Graziella a un petit accident et ne pourra venir assurer son service et c'est son fils, Luca, un jeune élève-officier de marine qui vient le lui annoncer et quand plus tard il reviendra en tenue militaire, elle en tombera évidemment amoureuse, le prestige de l'uniforme sans doute à moins que ce ne soit le fameux démon de midi ? Je l'imagine personnellement assez directive pour séduire ce garçon qu'elle rêve de mettre dans son lit.
Au début, j'ai cru un moment que Besson, dans une sorte de mise en abyme, allait nous parler de la genèse de l'écriture, de l’inspiration si capricieuse, de ses exigences au regard de l'écrivain, ravalé au rang de simple scribe, des servitudes que ce dernier se doit de respecter pour pouvoir, peut-être enfanter un beau texte qu'il signera, de ses moments bénis où quelque chose comme une vibration se passe dans la tête de l'auteur et qu'il faut, toutes affaires cessantes, écrire dans l'instant faute de quoi toutes ces belles phrases, toutes ces images uniques seront perdues à jamais. Après tout pourquoi pas et cela me semblait aller dans le sens de ce roman que Louise peinait à écrire. Puis, la fiction va passer au second plan pour céder la place à sa propre histoire, cette passade avec ce jeune homme qui a l'âge du fils qu'elle n'a pas. Après tout pourquoi pas ? Je note que de cet ouvrage qui a pourtant motivé son absence, nous ne saurons rien, il en est seulement question comme du « livre », sans plus, un peu comme si cela n'était qu'un prétexte qu'accepte François parce qu''il y trouve sans doute son intérêt, notamment financier, et de lui nous n'apprendrons que peu de choses, il est une véritable ombre.
Puis, petit à petit, Besson nous dévoile la personnalité de Louise. Elle est certes libre et tient beaucoup à cette liberté dont elle jouit grâce à la compréhension de son mari, mais elle est complètement déculpabilisée, de moque de la fidélité, se convainc que sexe et amour sont deux choses bien différentes. Avec une pareille psychologie le lecteur n'est pas dupe et se dit que, contrairement à ce qu'elle affirme, ça ne doit pas être la première fois qu'elle prend ainsi ses distances avec l'institution du mariage et ses engagements, surtout face à un époux aussi passif qui, sûrement lui, n'a jamais failli. C'est sans doute pour elle une posture ordinaire. Nous allons donc assister à une banale histoire d'amour entre une femme mature et un jeune homme. On y trouve toutes les ficelles ordinaires d'un roman de ce genre, l'été italien en Toscane maritime, la voiture décapotable rouge, le vent dans les cheveux, la maison isolée qui donne aux amants l'impression d'être seuls au monde et cette soudaine réminiscence pour Louise de quelque chose qu'elle croyait avoir définitivement oublié, dont on pense que ce sera éphémère mais qu'elle voudrait quand même retenir. Peut-être pas une banale passade ?
Tout cela serait pour le mieux si François n'avait un accident grave, d'ailleurs provoqué par lui délibérément pour attirer l'attention de sa femme et la faire revenir ou peut-être pour se tuer lui-même, n'ayant pas le courage de faire cesser les errements amoureux de son épouse. A ce stade de l'histoire, Louise doit se dire que que le destin sert ses intérêts, en faisant d'elle une possible veuve,enfin! Comment s'est-il rendu compte de cette toquade ? Nous ne le saurons pas mais nous pouvons imaginer que les années de vie commune lui ont permis de lire en elle comme dans un livre, à moins que, attentif à l'art de sa femme, il ait choisi de respecter cette règle édictée par elle. Quand il sort du coma, les explications commencent comme une partie d'échecs et avec elles reviennent les vieilles rancœurs, les doutes intimes, les interrogations recuites...Elle tergiverse, se dérobe, esquive entre non-dits et mensonges et finalement la question de l'adultères est posée. Elle pourrait nier mais elle avoue, facilement d'ailleurs. Avec des réponses convenues elle rappelle son besoin de liberté, officiellement pour écrire, invoque l'usure des choses, le temps qui a passé, l'envie de retrouver sa jeunesse perdue... De son côté François qu'on imagine fidèle et amoureux de sa femme est peut-être tout simplement lassé du manège de son épouse et décide d'y mettre fin, à moins qu'au contraire, longtemps naïf, il s'en aperçoive pour la première fois. Il vit cela comme une trahison qu'il ne méritait pas et se rappelle à l'occasion qu'on n'est jamais aussi bien trahi que par les siens. Pour lui aussi les amours passent comme dans le poème d’Apollinaire. C'est un homme qui aime sa femme et qui, tout d'un coup, comme une révélation ou une fulgurance prend conscience qu'elle le trompe et ce sûrement depuis des années alors qu'il lui faisait confiance. Trop amoureux ou trop benêt, il n'a rien vu venir, n'a peut-être jamais rien su des trahisons de celle qu'il a épousée et qu'il croyait connaître. Il prend conscience que l'amour, la compréhension qu'il lui a donnés n'étaient pas réciproques, qu'il ne rime pas avec « toujours », que le cocuage n'arrive pas qu'aux autres, que cette femme, loin de toute culpabilisation, n'entendait rien changer à sa vie et à ses amours de contrebande. Alors, volonté de se moquer de lui, de l'humilier, de se considérer comme supérieure à lui parce qu'elle écrit et qu'elle est célèbre, de profiteur de sa candeur avec la certitude que tout lui est permis, qu'elle a le droit à l'arrogance, à l’égoïsme parce qu'elle est une femme et qu'à ce titre aussi elle peut le garder comme simple pis-aller. Il n'empêche, c'est l'après qui est intéressant, même si les apparences du couple sont sauves, elle a insinué le doute dans leurs relations et a unilatéralement brisé le contrat qui les liait. François n'en sortira pas indemne. Elle a beau voir eu du plaisir avec Luca, avoir aimé transgresser les tabous et les interdits, elle ne trouvera jamais ces années enfuies. Elle peut donner toutes les raison qu'elle veut à sa fantaisie italienne dont on imagine que ce n'est pas la première, faire des plans sur la comète et laisser libre court à son imagination d'écrivain, la décision qu'elle prend est déconcertante, à la mesure sans doute de sa personnalité. Ce roman est une sorte de pièce de théâtre en trois actes mais qui n'a rien d'un vaudeville dont on rit et ressemble plutôt à une tragédie. Les choses y sont inversées puisque c'est l'épouse qui trompe son mari et non l'inverse, c'est François qui est la victime effacée…
Je ne suis pas spécialiste mais, avec l'amour, on n'est jamais à l'abri d'une surprise, bonne ou mauvaise, mais quand même, je ne donne pas cher de la décision de Louise.
Je l'ai déjà abondamment dit dans cette chronique J'aime bien les romans de Philippe Besson parce qu'ils sont écrits dans un style fluide et agréable à lire, parce qu'ils se prêtent à mon commentaire qui n'est peut-être que le résultat de mon imagination. Avec elle il m'arrive parfois de poursuivre la fiction.
© Hervé GAUTIER – Mai 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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