l'occupation
- Par hervegautier
- Le 08/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1073 – Octobre 2016
L'Occupation – Annie Ernaux – Gallimard.
C'est bien le hasard qui m'a fait prendre ce court roman sur les rayonnages de la bibliothèque. Je n'avais aucune idée de ce que pouvait être le thème traité et le titre lui-même me donnait à penser à bien autre chose, la guerre par exemple.
La narratrice, Annie Ernaux elle-même, raconte un épisode de sa vie où, après sa rupture avec W., l'amant avec qui elle avait vécu six ans sans pour autant parvenir à accepter une vie commune que lui appelait de ses vœux, est informée le plus simplement du monde par cet homme qu'il vit avec une autre femme. Dès lors, sans même la connaître, la narratrice ressent-elle un sentiment inattendu : la jalousie. A vrai dire c'est assez étonnant puisque c'est elle qui était à l'origine de cette rupture et que finalement ils étaient restés en bon terme, se téléphonant et de rencontrant comme de vieux amis. D'ordinaire, cette jalousie naît de la tromperie, de l'adultère mais ce n'est pas la cas ici. C'était donc tout naturel que W. lui annonce que dorénavant il allait partager la vie d'une autre femme, c'est à dire qu'il allait vivre avec elle ce que Annie lui avait toujours refusé. Dès lors Annie va être envahie au sens propre par cette présence inconnue , au point d'être complètement occupée par elle, le titre du roman prend donc tout son sens. Elle veut en effet savoir tout d'elle bien que W. soit, et on le comprend, très laconique sur les renseignements qu'il lui donne. De guerre lasse, il lâche quelques informations qui aussitôt provoquent chez Annie une recherche frénétique, la jalousie qu'elle ressent devenant obsédante et même étouffante. Si j'ai bien compris, Annie est exclusive et même outrageusement possessive, non seulement elle a refusé à W. la vie commune qu'il espérait avec elle mais en plus elle l'a quitté alors que leurs relations étaient, de son propre fait à elle, basées sur le sexe. Ce qu'elle ne supporte pas c'est que maintenant il vive avec une autre femme même si, dans ce contexte, elle n'a aucune raison objective pour réagir de la sorte. C'est un peu comme si elle se considérait comme maîtresse du jeu au point d'avoir le droit de lui imposer ses vues, ses voeux et de lui contester tout droit au bonheur. Devant cette impossibilité elle en conçoit une véritable souffrance, « tombe jalouse » comme on « tombe amoureux », même si, comme lecteur, je n'ai pas senti qu'elle ait vraiment conçu de l'amour passionné pour son ex-amant. Tout au plus n'admet-t-elle pas qu'une autre femme puisse être aimée par lui et qu'elle le rende heureux. Cette jalousie est paralysante, quelque chose entre la paranoïa et l’obsession. C'est, pour elle, la prise en compte d'une page qui s'est tournée quand elle décidé de le quitter, qu'elle ne fait plus depuis partie de sa vie, mais c'est pourtant elle qui en a pris l'initiative, qu'elle a purement et simplement été remplacée alors qu'elle aurait préféré qu'il restât seul et sans doute qu'il la suppliât.
Petit à petit, au fil de mes lectures, je découvre l’œuvre d'Annie Ernaux et il me semble qu'elle a fait de sa propre vie le thème de ses nombreux romans. Elle se met en scène elle-même faisant du solipsisme le moteur de sa démarche créatrice comme c'est souvent le cas chez les écrivains. J'ai personnellement longtemps réfléchi sur une des fonctions de l'écriture qu'est la catharsis. Écrire une épreuve aide-il à la surmonter, à l'exorciser ? Après moult expériences dans ce domaine, je n'en suis plus très sûr. D'ailleurs, tout pendant que dure la recherche de cette femme, Annie tient son journal intime c'est à dire tente d'exorciser par l'écriture cette douleur née ce l'incertitude et de l'ignorance sur l'identité de cette femme, et n'y parvient pas. Elle avoue elle-même que l'écriture est un pis-aller dans sa quête au point qu'elle renonce à pousser investigations à leur terme « Écrire c'est d'abord ne pas être vu », (une façon de se cacher derrière des mots), une manière d'entretenir cette douleur, une sorte de masochisme. A la fin de son roman elle prétend que l'écriture l'a aidée. C'est peut-être vrai mais j'attribue cet apaisement à autre chose, au temps qui passe, à la réalité qu'elle finit par accepter, à elle-même peut-être qui a appris à mieux se connaître dans cette épreuve...Il m'a semblé qu' il y avait, au départ, une affirmation du « moi » de l'auteure, opposé à cette femme qui reste sans nom et même sans visage et que le roman se termine par une sorte de dissolution de cette individualité. Tout ce qu'Annie avait connu avec W. dans le passé n'est plus qu'un lointain souvenir. Et puis elle se console comme elle peut, se dit que W., plus jeune qu'elle, aime les femmes matures puisque sa nouvelle conquête à l'âge d'Annie et y voit donc la preuve qu'il n'éprouvait pour elle aucun amour particulier. Elle va même jusqu'à imaginer que l'autre femme apprend qu'elle rencontre toujours W. et en conçoit ainsi de la jalousie ! Elle va jusqu'à imaginer d'improbables situations qui seraient de nature à altérer cette liaison et provoquer son retour auprès d'elle.
Se faire larguer est une chose difficile à vivre et accepter cette réalité n'est pas aisé. Ici ce n'est pas exactement la cas d'Annie qui fait montre d'une jalousie un peu trop possessive. Même si lire un roman de cette auteure me fait passer de bons moments tant son style est fluide et agréable, je dois dire qu'ici je me suis un peu ennuyé, non pas tant à cause du tabou qu'elle lève, ce dont je lui sais gré, mais peut-être la manière peu convainquante dont elle traîte ce sujet bien humain. Ce roman est peut-être tout simplement pour l'auteure l'occasion de se raconter ?
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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