La puissance des mouches
- Par hervegautier
- Le 22/11/2014
- Dans Lydie Salvayre
- 0 commentaire
N°833 – Novembre 2014.
La puissance des mouches – Lydie Salvayre – Le Seuil.
« Familles, je vous hais » cet apophtegme d'André Gide pourrait servir d’exergue à ce roman, et pas que la famille d'ailleurs. Jugez plutôt.
Il est des personnages de roman qui n'ont vraiment pas de chance. Le héro de celui-ci est non seulement un meurtrier mais quand il s'adresse au juge d'instruction d'une manière un peu cavalière il est vrai, celui-ci ne peut que lui trouver des circonstances atténuantes. Il poursuit d'ailleurs ce dialogue avec l'infirmier de la prison, le psychiatre chargé d'évaluer son degré de responsabilité, l'avocat chargé de le défendre. En fait c'est une sorte de monologue, conséquence de questions posées mais qu'on ne connaît pas .
Apparemment le narrateur qui est aussi l'accusé a été conçu à la suite d'un viol puisque son père, gardien du camp d'Argelès après la défaite républicaine espagnole, a d'un seul coup dépucelé et engrossé sa mère. Le couple qu'ils forment n'a rien d'idyllique, lui devenant un tyran domestique brutal et borné et elle une femme soumise et bientôt martyre. Ce fils a donc de qui tenir ! Pourtant il a fait ce qu'il a pu pour être différent de ce père. La preuve il lit Pascal simplement peut-être parce qu'il est guide au musée de Port-Royal, mais peut-être aussi parce qu'il aime lire, tout simplement. Pourtant la pensée de ce philosophe ne l'a pas empêché de devenir un meurtrier même si la victime n'est pas forcément celle qu'on à laquelle on s'attend.
C'est vrai que son existence est minable même si ce n'est pas vraiment de sa faute, coincé entre une épouse sans intérêt et un travail certes passionnant mais encadré par de petits chefs suffisants et condescendants qui lui font constamment sentir sa condition d'inférieur. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit aussi faire face aux hommes importants qui parfois passent dans sa vie, mais sans le voir, il doit aussi supporter des visiteurs ignorants ou trop érudits, et même ses collègues. Bref, il méprise tout le monde et finit par soliloquer et par s'adonner à la boisson. La haine qu'il conçoit de tout cela a « la puissance des mouches »selon l'expression du même Pascal. On peut supposer que c'est cette haine des autres qui l'a amené à tuer mais en réalité on n’est sûr de rien, un peu comme lui sans doute, comme s'il cherchait lui aussi la raison de son geste. Ce dont on est sûr seulement c'est qu'il est un meurtrier.
C'est un personnage complexe pourtant que ce criminel et on a du mal à suivre son raisonnement. Qu'il haïsse l'espèce humaine ce n'est sans doute pas extraordinaire dans son cas, mais qu'il choisisse, dans ces conditions, Pascal comme livre de chevet est sans doute un peu étonnant. Et puis « prendre appui sur le néant » comme il dit, c'est un règle de vie que j'ai un peu de mal à comprendre. Si j'avais à être juré dans son procès, j’aurais sans doute du mal à m'y retrouver pour sanctionner un geste certes condamnable mais que son enfance et sa vie, sans l'excuser, pouvait largement l'expliquer.
Je ne connaissais pas cette auteur dont c'est le quatrième roman. J'ai bien aimé le ton sur lequel elle décline cette intrigue autant que le suspens qu'elle distille tout au long de ces pages. Avec elle, le roman policier prend une dimension psychologique que je préférerai toujours aux polars sanguinolents.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
Ajouter un commentaire