Etienne regrette
- Par hervegautier
- Le 02/06/2019
- Dans Antoine Sénanque
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La Feuille Volante n° 1353 – Juin 2019.
Étienne regrette – Antoine Sénanque – Grasset
Étienne Fusain, 54 ans, professeur hypocondriaque de philosophie à St Denis, a la désagréable surprise de voir graver sur son pupitre de la salle de cours « Fusain est un con ». Au vrai, c’est plutôt banal et qui n’a jamais été traité ainsi par ses semblables ? Sauf que lui le prend très mal parce que ça vient d’un de ses élèves, un anonyme qui le restera et, à force d’y réfléchir et de se torturer l’esprit, il constate finalement que la philosophie, que pourtant il enseigne et qui est censée être la science de la sagesse, ne lui sert à rien. Il ne peut s’en ouvrir à ses collègues parce qu’aucun n’est vraiment un ami digne de cette confidence et côté famille ce n’est guère mieux. Pourtant, avec le temps qui guérit tout, ce genre d’affront intime s’effacera après une parenthèse dans son quotidien convenu et ordinaire.
Son quotidien, et d’ailleurs celui de son ami d’enfance, Denis Larbeau, célibataire, plus épicurien que lui, médecin légiste et écrivain manqué (ce détail revient dans les deux romans que j’ai lus de cet auteur et d’ailleurs beaucoup de personnages plus furtifs, ont cette caractéristique), est bien morne alors pourquoi faire une fixation sur ce graffiti. Au vrai, c’est une insulte banale, sans recherche, et celui qui en est l’auteur manque cruellement d’imagination et d’originalité, pourtant c’est un signal que Fusain attendait depuis longtemps, sans même le savoir, pour changer de vie, une vie trop tranquille et insipide, faite de beaucoup de routine, de renoncements, de regrets. Il quitte donc sa femme, se fait porter pâle au collège… pour aller vivre chez Larbeau. Finalement il reste 43 jours absent de son domicile puis retrouve sa femme et ses secrets à elle aussi et bien entendu, il garde les siens. A bien y regarder, ce personnage est plus intéressant qu’il y paraît. Apparemment il a la famille en horreur, la sienne d’abord (il n’a apparemment avec sa femme et sa fille que des liens très distendus) et avec sa belle-famille c’est encore pire ( je ne sais pas qui a qualifié de « beau » ce lien juridique rarement affectif avec des gens avec qui on n’a souvent rien à voir). Il est capable de tomber amoureux d’une silhouette furtive de femme et de tout remettre en question pour Lily, une amourette d’adolescence non oubliée et retrouvée un peu par hasard, il attache à l’amitié et spécialement celle qui prend ses racines dans la jeunesse, une valeur qui dépasse le temps et l’efface peut-être… Au fil des pages il est devenu un personnage attachant.
Il est beaucoup question de mort et de suicide, mais sur un mode léger. Pour la mort c’est normal, nous sommes tous mortels et c’est présenté comme la fin normale de la vie. Il en parle sans plus de fioriture et hors des fantasmes et des peurs habituels, comme une fatalité incontournable mais pas larmoyante, sans regret pas vraiment heureuse mais en tout cas pas malheureuse. L’auteur s’en sert même d’une certaine façon pour arranger les choses de cette fiction à travers les propos de son ami Larbeau dont le métier de légiste la lui fait côtoyer. Pour le suicide c’est autre chose, c’est une décision qui en principe bouleverse le cours des choses et qui pose une multitude de questions, pour son auteur et pour ceux qui restent… Au cas particulier de Fusain on subodore un traumatisme trop présent et qui pourrit son quotidien.
L’auteur fait honneur à sa qualité de médecin, à son érudition et enveloppe tout cela dans un style enlevé, plein d’un humour subtil et pertinent ; cela justifie de nombreuses diversions qu’apparemment il affectionne. Dans ces courts chapitres j’ai ressenti une sorte de solitude individuelle de chacun des acteurs de ce roman, une sorte de malaise qui leur colle à la peau, mais que l’amitié et peut-être aussi cet intermède amoureux, parviennent cependant à cautériser.
C’est le deuxième roman que je lis de cet auteur et si le premier (« Salut Marie ») m’avait laissé une impression plutôt insipide, celui-là, au contraire m’a paru plein d’intérêt. Je crois même que je l’ai apprécié nonobstant la fin, un peu trop en forme de « happy end » mais finalement pas si invraisemblable que cela. Ce fut pour moi un bon moment de lecture. Quant aux regrets d’Étienne je les imagine...
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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