la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Pourquoi j'ai mangé mon père

    N°1782– Septembre 2023

     

    Pourquoi j’ai mangé mon père – Roy Lewis- Actes sud

     

    Traduit de l’anglais par Vercors et Rita Barisse.

     

    Sous un titre peu engageant, entre humour et concept quasi œdipien, l’auteur nous présente une famille de pithécanthropes. C’est, Ernest, un des fils qui nous la présente. Il y a Édouard, son père, inventif, toujours en quête découvertes qui généreront l’évolution dont profiteront les siens et qui leur permettront de survivre, son oncle Vania, plus réfractaire aux améliorations, qui se cantonne dans une vie arboricole mais n’en est pas moins un peu profiteur. La mère Mathilde et quatre gars, Oswald le chasseur, Tobie le scientifique, Alexandre l’artiste et Ernest le narrateur, plus volontiers réaliste et, tempère l’impétuosité et l’ingéniosité de son père, complètent le tableau. Sans compter toute une parentèle. On se doute bien que, à l’énoncé de cette maisonnée et dans le contexte préhistorique les anachronismes ne vont pas manquer et avec eux les occasions de sourire mais peut-être pas de rire, n’en déplaise à Vercors, le traducteur et le préfacier. Les remarques et réflexions des différents personnages, les situations actuelles transposées dans cette époque lointaine valent leur pesant de confusion et d’humour. On ne coupe pas à toutes les découvertes, bonnes ou mauvaises mais le père et ses vues sur l’avenir, ses réflexions philosophiques et ses projets moraux ont de quoi nous étonner. Quant aux remarques de certains fils pour s’opposer à la tutelle du père elles ont effectivement quelque chose de très actuel. Après tout ses considérations étaient peut-être aussi celles des hommes de la préhistoire.

    La quête de femelles pour perpétrer la race à quelque chose de « l’enlèvement des Sabines » et la façon de draguer et de passer une une de miel est très couleur locale.

    Pour autant, malgré la 4° de couverture, le style humoristique et agréable à lire, la qualité de la documentation et l’avis général, ma lecture n’a pas été à ce point enthousiaste .

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  • Démolir Nisard

    N°1781– Septembre 2023

     

    Démolir Nisard – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Apparemment Chevillard change de registre. Dans cette chronique j’ai souvent écrit à son sujet que j’avais un peu de mal à suivre et parfois à comprendre ses nombreuses digressions, que j’étais parfois un peu lâché au cours de ses chapitres mais je me raccrochais souvent à son style jubilatoire et je faisais même volontiers des efforts pour habiter son univers parfois bien décalé. Dans ce qu’il s’obstine à baptiser « roman » il s’attache à ruiner l’image de Désiré Nisard (1806-1888), homme politique, écrivain, critique et académicien qui, pour moi était parfaitement inconnu et donc pour qui je n’ai, à priori, aucune sympathie. Pour cela il prend à témoin Métilde,(sa compagne?) et même Pierre Larousse qu’il appelle à son secours pour faire de ce personnage un portrait bien sombre et qui n’a pas laissé une trace indélébile en littérature, mais c’est aussi le cas de pas mal d’écrivains qui, après leur mort, tombent inexorablement dans l’oubli. Son rôle politique a été marqué par la palinodie et la flagornerie mais sans être spécialiste, il me semble que c’est la règle générale dans ce milieu.

    Je ne sais les raisons profondes qui pousse notre auteur à démolir en particulier Nisard, mais je dois dire qu’il le fait avec ferveur, en fait même un peu trop et met son habituel talent au service de ce but revendiqué, et cela tourne à l’argumentaire mono-thématique à tendance obsessionnelle.

    Chevillard veut-il motiver son propos dévastateur en raison de l’activité de critique littéraire de sa victime, se faisant ainsi le chevalier-blanc redresseur de torts de tous les auteurs éreintés et parfois détruits par des critiques de parti-pris qui ne tenaient même pas compte du travail de l’écrivain. C’est louable parce que la contradiction est facile

    Alors, accès de mauvaise humeur ou vieil rancune héritée peut-être de lectures anciennes peu appréciées ou d’une haine farouche et surtout incontrôlée ?.

    Même s’il est un peu de mauvaise foi et quelque peu outrancier, je dois avouer que j’aime bien le talent de Chevillard dont j’apprécie à la fois la faconde et la richesse de vocabulaire. Il fait, toujours dans la digression mais sans oublier son projet initial. Pour autant je n’ai pas bien compris ce qui motive cette particulière et violente critique à l’endroit de Nisard et, au cours de ma lecture, j’ai presque regretté ses habituelles digressions labyrinthiques.

    Le livre refermé, je n’ai toujours pas de réelles sympathies pour Désiré Nisard présenté comme un arriviste dénué de scrupules et de talent mais je crains bien que Chevillard le tirant des limbes de l’histoire et de la littérature où il dormait depuis des lustres,au lieu de le démolir l’ait, au moins pour un temps, ressuscité. Quant à Chevillard, cette volonté de détruire Nisard aurait-elle déteint sur lui ?

  • Du hérisson

    N°1780– Septembre 2023

     

    Du hérisson – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    L’écrivain veut écrire sa propre biographie. Pourquoi pas, et on n’est jamais mieux servi que par soi-même et on peut régler ainsi ses propres comptes et formuler ses propres explications à ses nombreuses contradictions, formuler ses confessions, dire des choses intimes jusque là jalousement cachées...Il a même déjà le titre « Vacuum extractor » et pas mal de notes. C’est important. Il s’installe donc à son bureau avec tous les outils traditionnels nécessaires à l’écriture... et avec un hérisson « naïf et globuleux » suivant sa propre expression. Que fait-il là et surtout comment est-il arrivé là; Là aussi pourquoi pas si cet improbable animal favorise sa démarche comme d’autres ont besoin d’un chat pour aiguillonner leur inspiration. Sauf que ce n’est pas exactement ce qui se produit et ce hérisson va perturber la démarche créatrice de l’écrivain en bouleversant son univers immédiat au point que ce dernier va brûler ses notes et laisser cette bête manger sa gomme (mais pas ses crayons) au point de ne nous parler que de ce hérisson, de sa naissance, sa vie amoureuse, son régime alimentaire, son quotidien, de ses prédateurs, de sa mort… mais d’autobiographie, rien, à part quelques rares réminiscences.

     

    Le titre lui-même est archaïque (Du hérisson) et ressemble à ceux usités jadis pour parler d’une étude scientifique ou philosophique, mais ce livre est annoncé comme un roman, c’est à dire qu’il est du domaine de l’imaginaire et donc apparemment à l’opposé d’une biographie, ce qui peut dérouter le lecteur désireux d’en apprendre davantage sur un auteur quasiment inconnu. Il y a bien des confidences et même de douloureux secrets, parfois inattendues comme le viol du narrateur alors enfant par un prêtre, mais cela donne tout de suite dans l’absurde et donc dans le non crédible. Pourtant ce texte, par ailleurs assez déconcertant (mais avec Chevillard nous commençons à avoir l’habitude), me paraît personnellement révélateur de ce qu’est le phénomène créatif. Au départ l’auteur a un projet mais, rapidement et sans qu’il sache pourquoi, les choses ne s’articulent pas comme il en avait le projet et le texte part dans un autre sens, le personnage principal (le hérisson) s’impose dans un contexte différent.. Ici le hérisson qui dévore les pages symbolise, à mon avis, ce phénomène qui brouille la démarche créatrice et transforme le projet initial, la biographie, en quelque chose d’impossible à écrire et qui échappe à l’auteur. Il y a vraiment là de quoi le perturber, et accessoirement le lecteur, et explique, peut-être, ses nombreuses et néanmoins coutumières divagations et vaticinations qui, plus souvent qu’on ne le croit, polluent l’écriture, C’est un peu comme si ce hérisson était toujours resté tapi dans l’inconscient de l’auteur et, profitant de cette envie qu’il a d’écrire sa propre biographie se manifeste d’une manière à bousculer ce projet et d’imposer sa présence. C’est de lui qu’il faut parler et pas d’autre chose ; Du coup l’auteur se demande si d’autres hérissons n’ont pas existé.auparavant mais ne sont pas morts à cause du défaut de volonté de l’auteur, de son manque de disponibilité au regard de l’écriture. Je me trompe peut-être mais c’est comme cela que je vois les choses, à moins que ce ne soit tout simplement son imagination débordante. :.

     

     

  • Juste ciel

    N°1779– Septembre 2023

     

    Juste ciel – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Même si sous nos latitudes nous faisons semblant de l’oublier, nous sommes mortels et Albert Moindre, homme très ordinaire, quoique ingénieur de maintenance des ponts transbordeurs, n’a pas échappé à la règle, percuté par une camionnette de livraison. Nous ne sommes donc que de passage sur cette terre, mais quid du moment de notre mort, de la fin de cette comédie quid du moment et des circonstances ? Destin ou liberté, et l’après ? Que devenons-nous une fois morts ? Y-a-t-il une vie après ?Le christianisme a des réponses, souvent relayées par la création de quelques peintres réellement épouvantés ou certainement stipendiés par L’Église d’alors pour obtenir des conversions basées sur la crainte de l’enfer. Nous avons sans doute tous une idée sur la question, même si la réponse que nous y apportons est de plus subjectives et évidemment invérifiable. Nous ne sommes pas beaucoup plus avancés et nos certitudes en la matière ne pèsent décidément pas lourd. Notre auteur imagine donc un improbable dialogue entre Albert Moindre, mort de son état, et un éventuel portier de cette vie éternelle qui à la fois lui révèle les réponses aux questions qu’il a pu se poser de son vivant et remet en cause certaines vérités qu’il croyait établies. Ce lieu incertain ressemble à une sorte de purgatoire, même si nous savons que de c’est une invention de cette religion pour ne pas décourager les plus dubitatifs. Il paraît que dans cet hypothétique ciel, on y retrouve ceux qu’on a aimé sur terre, à condition que cet amour n’ait pas été trahi, et pourquoi pas les autres ? Tout cela paraît bien incertain, quant au résultat de tout cela ?

    Chevillard, toujours tenté par le verbe un peu déjanté s’attaque à ce thème qu’il vaut mieux ne pas aborder en famille si on veut un repas apaisé. Il est décidément incorrigible, il faut qu’il déraille, se perde parfois dans des détails au risque de perdre aussi son lecteur et si on n’y prête attention, le voilà parti et il se laisse emporté par son imagination et tant pis pour pour ceux qui ne suivent pas ! Et j’ai toujours l’impression d’en faire partie.

    Je poursuis quand même ma lecture, toujours aussi friand de son style jubilatoire, partagé entre la curiosité et l’étonnement, peut-être aussi parce qu’il fait partie du paysage littéraire et que, si je veux pouvoir en parler, il me faut au moins l’avoir lu.

  • L'explosion de la tortue

    N°1778– Septembre 2023

     

    L’explosion de la tortue – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur et sa compagne Éloïse, qui habitent un deux pièces parisien partent en vacance en y laissant, Phoebe, une petite tortue de Floride mais non sans lui avoir laisser largement de quoi manger pendant cette période solitaire. A leur retour elle meurt d’avoir été ainsi abandonnée. Un tel événement est toujours un petit drame pour les amateurs d’animaux de compagnie. On aurait pu s’arrêter là mais c’est compter sans la faconde de Chevillard qui, donnant la parole à son unique personnage lui permet de raconter sa vie et d’évoquer l’inconséquence de la voisine du dessus avec ses talons et son chien, le libidineux concierge. On en apprend de belles sur lui, sur sa jeunesse et ses expériences incestueuses avec sa propre mère, les épisodes de harcèlements scolaires auxquels il a lui-même participé et dont il se vante. Ainsi, à partir d’un banal épisode de vie du commun des mortels qui serait passé inaperçu notre auteur décline-t-il toute une histoire à la fois délirante et échevelée, mêlant truismes, aphorismes, jeux de mots et sur les mots, termes surannés et néanmoins poétiques …Mais je commence à en avoir l’habitude !

    Tout cela débouche, allez savoir pourquoi, sur l’évocation des œuvres posthumes de Louis-Constantin Novat, auteur inconnu sauf de notre narrateur qui avait fait des recherches sur cette œuvre et s’était vu dépossédé de son travail par un indélicat. Il entend maintenant se l’ approprier. Au moins a-t-il l’honnêteté de l’avouer mais ce plagiat pourtant déjà usité est pour lui une occasion de régler des comptes autant avec un lectorat tiède qu’avec des éditeurs boudeurs. Pourtant cela ne fonctionne pas.

    Chevillard en profite pour nous parler des animaux ; Il semble avoir une obsession des hippopotames, déjà présent dans « Oreille rouge », un autre de ses romans. Il passe tellement du coq à l’âne qu’on ne serait pas étonné qu’il évoquât l’une et l’autre de ces bêtes au détour d’un paragraphe, surtout si elles n’avaient rien à y faire. Quant à son histoire initiale de tortue, le lien qu’il fait entre ces deux thèmes est des plus subtils, pour ne pas dire fragiles. Peut-être ces tentatives avortées de redonner vie à cette pauvre Phoebe sont-elles à rapprocher à celles de faire revivre l’œuvre de Novat ? Pourquoi pas, mais je ne suis sûr de rien !

    Je dois reconnaître que son style est toujours aussi jubilatoire. Le livre refermé, j’admets que, même si j’ai eu un peu de mal à suivre (je ne dois pas être le seul) et si j’ai une idée un peu différente de la littérature (idée rétrograde à n’en pas douter et qu’il convient de combattre en ne refusant ni l’originalité, ni l’étonnement bien légitime éprouvé après une telle lecture) j’ai néanmoins poursuivi ma lecture jusqu’au bout, partagé entre l’envie de connaître l’épilogue (ce terme ici n’est sûrement pas autres chose qu’un concept) et de continuer à entendre cette petite musique, tout en étant persuadé que je n’y comprend rien.

  • Oreille rouge

    N°1777– Septembre 2023

     

    Oreille rouge – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    L’écrivain que nous allons appeler Jean-Léon (un prénom double fait toujours plus sérieux) va devoir partir pour l’Afrique où on l’envoie, officiellement pour écrire un long poème sur ce continent qu’il ne connaît pas. Un intellectuel qui se respecte ne peut en effet moins faire que de sublimer son voyage-découverte par un écrit de sa main. C’est évidemment un jalon dans sa vie et surtout dans sa bibliographie. Il décrit donc ce qu’il voit, le soleil, la chaleur, les lions, les girafes, le fleuve, la couleur des boubous et le village du Mali où il arrive lui donne le nom d’ « oreille rouge » et le nomme roi, enfin c’est ce qu’il prétend. Il découvre ce continent, mais avec ses yeux d’Européen mais n’échappe ni aux moustiques, ni à la pollution des villes bien peu soucieuses de nos préoccupations écologiques, s’extasie devant l’ingéniosité des Africains, s’étonne des paroles d’un griot, du travail des femmes, des légendes locales et des rituels magiques quelques peu mystérieux pour lui. Il note ses impressions sur son petit carnet noir qui lui servira plus tard pour écrire cette œuvre mais ce qui l’intéresse le plus, en dehors des femmes qu’il croise, les baobabs et le Niger ce sont les hippopotames (on en apprend beaucoup sur eux) que lui fait découvrir Toka, un guide local .

    Il va sans dire que ce poème sera sa grande-œuvre mais, à son retour en France, en dehors de se mettre lui-même en valeur, de devenir au moins pour un temps « l’africain », qui ne jure que par ce continent, il passera vite à autre chose. Quant à son long poèmes...Que dirait-il maintenant sur le Mali qui vomit la France ?

    J’avais quelques appréhensions en ouvrant ce livre, surtout depuis que j’ai croisé Chevillard. Les remarque sont pleines de bon sens et le style toujours aussi jubilatoire.

  • la pitié dangereuse

    N°1776– Septembre 2023

     

    La pitié dangereuse – Stefan Zweig – Grasset.

    Traduit de l’allemand par Alzir Heila .

     

    A la veille de la Première guerre mondiale un jeune lieutenant obscur et pauvre, Anton Hofmiller, se trouve en garnison dans une petite ville d’Autriche. Par hasard, il se trouve invité chez un riche notable, M de Kekesfalva, veuf et malade dont la fille unique, Édith, est paralysée. A la suite d’une gaffe, le jeune officier multiplie les gestes d’apaisement et les visites faites à Édith pour se faire pardonner mais les circonstances amènent Anton à prendre la véritable mesure de la personnalité du vieillard. Celui-ci s’attache à Anton en lui témoignant des marques de confiance dans l’espoir de le voir épouser sa fille pour assurer son avenir, misant sans doute sur la pauvreté du jeune homme. Édith éprouve de l’amour pour Anton, où à tout le moins le croit-elle et lui ne lui témoigne que de la pitié pour lui permettre d’entretenir des espoirs de guérison tout en prenant conscience du danger de cet enjeu pour la jeune fille. Voit-il également son avantage dans cette proximité qui peut lui apporter une protection, une occasion unique de sortir de la gêne financière et un avancement plus rapide, les officiers supérieurs de son régiment étant également reçus chez ce riche notable. En réalité il est de parfaite bonne foi et sa pitié est authentique, comme l’est son rôle de bon Samaritain. Veut-elle voir dans cette somme de sollicitudes un attachement amoureux à sa personne que beaucoup d’hommes négligent à cause de son infirmité, nonobstant sa richesse ? Au cours du roman elle n’en est pas moins agressive à l’endroit du jeune homme ce qui peut laisser à penser qu’elle n’est pas dupe de sa conduite envers elle mais cela cache mal ses sentiments amoureux. Elle lui fait même des révélations inattendues au regard des sollicitudes dont elle est l’objet et les hésitations du jeune militaire, ses états d’âme face à cette situation trahissent peut-être celles de Zweig. Anton rassure-t-il Kekesfalva par compassion ou par intérêt face aux révélations du docteur Condor? Ce médecin continue-t-il à soigner Édith par pitié ou pour entretenir sa malade et son père dans l’illusion de la guérison ? Anton prend conscience qu’il a ainsi joué avec le feu et qu’il va s’y brûler, son sens de l’honneur et de la parole donnée sera un temps estompé par le maelstrom de l’Histoire, la mort tant recherchée comme une expiation, se refusant à lui, Ce qu’il considère comme une faute personnelle continuera à peser sur lui jusqu’à la fin.

     

    J’ai retrouvé comme toujours chez Zweig la pureté de la phrase (servie par la traduction) mais surtout la délicate et pertinente analyse des sentiments humains, la façon habille et efficace de présenter chaque personnage dans sa réalité, derrière l’hypocrisie, les mensonges et les manœuvres que chacun déploie pour parvenir à ses fins face à la crédulité et à la naïveté de l’autre. Et la vanité des choses humaines ! L’amour est le thème central de ce roman comme il conduit et bouleverse parfois bien des destinés humaines sans qu’il soit toujours possible de distinguer les vrais sentiments des intérêts personnels et des petits arrangements mesquins., Il y a ici une dimension particulière, un sens de l’honneur et de la parole donnée, ce qui est quelque peu anachronique dans notre société d’aujourd’hui qui a perdu nombre de ses repères. Il n’y a pas d’amour mais seulement des preuves d’amour, dit-on, et Édith choisit de les voir dans les sollicitudes du jeune lieutenant qui n’agit envers elle que par pitié. Nous sommes certes dans un roman, mais mon observation de la société humaine me fait de plus en plus faire mienne cette pensée de Lacan « L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Quant à la pitié véritable, en dehors de celle de certains religieux ou humanitaires désintéressés, je n’y ai jamais tellement cru.

     

    Zweig était un intellectuel hors pair, un humaniste, un témoin exceptionnel de son temps et de l’espèce humaine. Ce roman parait en 1939 alors qu’il est un écrivain célèbre mais persécuté par le nazisme, ce qui le déterminera à s’exiler en Angleterre sans espoir de retour en Autriche. Il est accompagné de Lotte, sa secrétaire qui deviendra sa femme et le suivra dans la mort au Brésil en 1942. Son désespoir face à l’humanité et à son devenir, le bouleversement dans sa vie personnelle affectent les dernières années de sa vie.

     

     

     

  • Monotobio

    N°1775– Septembre 2023

     

    Monotobio– Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Il faut toujours se méfier avec Eric Chevillard, quand il annonce quelque chose dans le titre d’un de ses romans, il est rare que le lecteur ne soit pas surpris de ce qu’il lit et que son imagination ne soit pas quelque peu bousculée. Ici on peut raisonnablement penser que, pour des raisons de phonétique, cela va tourner autour de la voiture écologique à cause notamment de la présence de quatre O, comme des roues. Que nenni, il va s’agir d’une autobiographie, quelque peu étonnante cependant pour quelqu’un né en 1964. Après tout pourquoi pas ?

    C’est plutôt mal parti, à tout le moins selon les règles traditionnelles de ce genre littéraire et le lecteur se voit crédité de nombreuses scènes sans aucun lien entre elles, comme une sorte de puzzle dont il est chargé d’assembler les morceaux, ou de fermer le livre ! Comme toujours depuis que j’ai croisé les romans de Chevillard, j’ai poursuivi ma lecture, principalement par curiosité. Je ne suis pas vraiment spécialiste mais il me semble qu’une biographie, fût-elle « oto », apporte des éléments essentiels de la vie de celui dont il est question. Ici il s’agit certes d’événements de sa vie passée puisqu’il use du passé simple, c’est certes intéressants mais, à bien y regarder, il s’agit finalement de petits détails anodins sans beaucoup d’ importance ni d’intérêt sur son parcours révolu mais qui se résume à son état d’écrivain qui dédicace ses ouvrages lors de manifestations culturelles, à ses voyages au Portugal et autres lieux, à la gastronomie, aux soins apportés à une tendinite, à ses lectures et à des remarques sur la mort et sur le destin. Il est surtout question de son quotidien avec ses deux filles Suzie et Agathe qui, comme tous les enfants, représentent son avenir, mais avec tout cela on est bien loin d’une biographie classique qui est un retour sur le passé. Pour marquer la chronologie l’auteur prend seulement la précaution d’égrener les évènements extérieurs importants pour lui, ses rencontres et la conception, la correction ou la promotion de ses livres... Décidément, c’est l’art de passer du coq à l’âne et, à ce sujet, je trouve dommage que ces deux animaux n’aient pas été invités à donner leur avis qui, je n’en doute pas, eût été pertinent.

    Le livre refermé, c’est un peu comme à chaque fois, je me demande ce que je viens de lire, et surtout si j’ai j’en ai compris le sens mais, devant ce flot de détails,, j’ai quand même fini par me lasser.

     

  • Préhistoire

    N°1774– Septembre 2023

     

    Préhistoire – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Le narrateur, ancien archéologue, se retrouve nommé gardien-guide des grottes de Pales richement décorées de peintures rupestres. Il tarde cependant à prendre ses fonctions non seulement parce qu’il estime qu’il n’est pas payé cher et qu’il n’a jamais touché le moindre centime de son salaire. Delà à penser qu’il a été recruté pour ne rien faire, qu’il n’est ici que par protection, il n’y a qu’un pas. Il se contente donc de balayer des allées, de nettoyer les fresques, d’inventorier les caisses....

    Cette histoire s’étire en longueur au rythme des nombreuses digressions qui n’ont rien à voir avec elle, depuis la taille de l’uniforme dont il a hérité de son prédécesseur et qui ne lui va pas du tout, jusqu’à la couleur du carrelage ou le mobilier d’un débarras en passant par les moucherons qui finissent leur vie, collés à la peinture fraîche, le destin des taupes, la technique de conservation des haricots, la biographie de Nicolas Appert, l’ambiance dans les grottes, la visite virtuelle et quelque peu surréaliste du site...C’est dommage, j’aurais bien fait quelques pas en sa compagnie d’autant que le texte est documenté (parfois trop et cette documentation part évidemment dans tous les sens) , le style plein de poésie, les digressions jubilatoires, mais j’ai eu un peu de mal à le suivre. Il avoue lui-même ce travers (« Je suis quelqu’un que l’on a parfois un peu de mal à suivre ») et, refermant le livre, je suis partagé entre la déception et l’envie de le lire à nouveau en me demandant ce que me réserve le prochain roman. Quant à l’épilogue, il est à la hauteur de ce roman, à la fois farfelu et inattendu.

  • au plafond

    N°1773– Septembre 2023

     

    Au plafond – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Dans l’univers créatif d’Eric Chevillards, pour ce que j’en connais, il ne paraît pas incongru de croiser quelqu’un qui, en permanence, vit coiffé d’une chaise retournée. Certes, ce n’est guère pratique pour passer sous les portes et on peut légitimement s’en demander la raison. Elle est simplement professionnelle. Pourquoi pas d’autant que c’est une marque de solidarité avec les mouches, les araignées et les paresseux, je veux dire des animaux exotiques qui passent leur temps accrochés aux branches. Cela ne l’empêche pas de plaire à une femme, Méline, et c’est sûrement essentiel. Kolsky, l’ami du narrateur passe son temps reste suspendu par les pieds en permanence à un crochet du plafond parce qu’il prétend qu’ainsi les idées lui viennent mieux. Pour compléter ce tableau, voici Mme Stempf, chaisière, perpétuellement enceinte, entendez par là qu’elle refuse de séparer de ses enfants, lesquels se trouvent apparemment bien à l’abri dans son ventre et son liquide amniotique. Elle-même fait ce qu’elle peut pour les distraire. Il y a aussi Topouria le grutier, les inséparables Malton et Lanson, tous occupés à résoudre un problème apparemment insoluble. Tout ce petit monde vit en marge sur le chantier d’une bibliothèque jamais construite avant de s’installer chez les parents de Méline, au plafond De leur appartement ! A l’évidence nous sommes dans un conte philosophique, une fable et bien entendu il faut en rajouter avec des histoire de princesse, de roi et de jeune et beau chevalier. Quant aux nombreuses questions qu’on ne manque pas de se poser, elles restent en suspens, si je puis dire.

     

    C’est le troisième roman que je lis Eric Chevillard. En dehors du fait de vivre au plafond, c’est à dire vouloir se démarquer des autres, signaler ainsi sa volonté de solitude, sa soif de tolérance, de liberté que n’affectera pas l’attraction terrestre, je ne vois pas, même si je respecte par principe le travail de l’auteur et sa volonté de nous inviter dans son univers, fût-il humoristique, absurde ou simplement l’occasion d’un exercice de style parfaitement recevable. D’autre part, je me refuse à trouver génial ce que je n’ai pas compris.

  • La nébuleuse du crabe


    N°1772– Septembre 2023

     

    La nébuleuse du crabe – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Après avoir lu Ronce-Rose qui m’avait laissé quelque peu dubitatif, j’ai eu envie d’explorer l’univers créatif d’Eric Chevillard, sans d’ailleurs savoir vraiment pourquoi ni où cela me mènerait.. Ce second roman qui se trouve être le cinquième de cet auteur a un titre qui m’évoque plutôt une étoile qui aurait explosé, formant une sorte de masse gazeuse en expansion émettant des radiations. Il y a la mort dans ce processus mais aussi une vie en devenir, du mystère et des hésitations... Je ne suis pas spécialiste et cela paraît bien hermétique pour le profane que je suis mais je comprends que ce contexte ait inspiré nombre de fictions. Alors pourquoi faire un bout de chemin avec lui ?

    Ici Crab (sans e) est un homme qui vaut son pesant de paradoxes, il est fantasque, idéaliste, inattendu, malchanceux, mythomane, contradictoire, insatisfait, révolté, plein de projets qui ne voient jamais le jour, perdu dans une vie qu’il n’aime pas et qui ne l’aime pas non plus. Ce qu’il fait ne sert à rien, mais il le fait quand même, peut-être pour se prouver qu’il existe, malgré l’ennui qui est son compagnon ordinaire ... Il fait de son mieux pour échapper à sa condition, mais finalement ce qui reste de tout cela c’est de désœuvrement, la solitude, une lutte contre le temps, mais une lutte perdue d’avance parce tout cela lui échappe. Il navigue en permanence entre « Plans sur la comète » et « Châteaux en Espagne », c’est une fuite et ce qui résulte de tout cela tien en un mot : échec (et mat?). De tout cela, du néant, du vide, il a conscience puisqu’il le vit au quotidien. C’est l’image même de la mort qui ne lui fait pas peur et même la religion et ses vaines promesses ne le rassure pas. L’auteur nous raconte son histoire ou plus exactement nous rapporte des faits de sa vie, aussi disparates et imaginaires qu’absurdes et déjantés, par petites touches contradictoires, inattendues. Il est victime de son destin, se cherche mais se résigne et se console comme il peut . Mais qu’on se rassure, même si ce personnage est un peu « nébuleux », il reste un homme avec la vie et la mort.

     

    Je ne suis pas spécialiste mais cette écriture baroque, cette façon de rendre une certaine vision du monde, m’évoque Gaston Chaissac (1910-1964), un peintre autodidacte dont les personnages difformes et tourmentés expriment la souffrance, l’incompréhension et me rappellent un peu Crab. Ce dernier qui au départ m’a paru assez bizarre et même hors champ, je dirai que, au fil des pages, je me suis attaché à lui au point d’y voir une certaine image de la condition humaine, certes un peu exagérée, aux traits volontiers appuyés mais finalement assez fidèle dans ses excès.

  • Ronce-Rose

    N°1771– Août 2023

     

    Ronce-Rose – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Quand j’ai ouvert ce roman, pris au hasard sur les rayons de la bibliothèque municipale, je ne connaissais pas le nom de l’auteur. J’ai été un peu surpris par l’histoire racontée par Rose qui se fait appeler Ronce-Rose. Pourquoi pas ?

    Je n’étais peut-être pas prêt à entrer dans son mode fait de mésanges et d’arcs en ciel, avec ce compagnon un peu bizarre, Machefer, son copain Bruce, à la tête d’ogre, ce voisin unijambiste et cette voisine qui ressemble à une sorcière avec ses chats successifs. Ronce-Rose vit dans un monde à part, pas tout à fait le même que celui dans lequel évoluent ses deux amis et n’est pas vraiment sortie de l’enfance. Elle consigne ses remarques dans un cahier à cadenas qui ressemble à un journal intime comme le font toutes les jeunes filles. Pourquoi pas? C’est en tout cas grâce à cela que cette histoire prend forme peu à peu et que le lecteur à qui ce texte n’était pas destiné s’en trouve être le témoin. La petite fille est curieuse et raisonneuse, s’étonne de tout, jette sur le monde qui l’entoure un regard étonné et naïf et se pose beaucoup de questions. Pourquoi pas ?

    Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, pourrait-on dire sauf que, un jour, tout va basculer sans pour autant qu’elle comprenne ce qui se passe dehors et surtout ce qui est arrivé à ses deux amis. La recherche qu’elle mène pour les retrouver a quelque chose de décalé et de triste à la fois. L’épilogue est digne d’un conte dans lequel vit Rose en permanence, ou peut-être pas ; c’est selon !

    Peut-être n’étais-je pas disposé à lire une fable même si dans ce monde de plus en plus violent et irrationnel cela ne peut pas faire de mal de s’en échapper un peu. J’ai pourtant poussé plus loin ma lecture sans trop savoir pourquoi, peut-être par curiosité, pour respecter la travail de l’auteur ou peut-être tout simplement pour rédiger mon commentaire parce qu’il n’y a rien de pire que l’indifférence du lecteur face à un roman. Pour le reste, je ne sais pas, c’est peut-être la quête de quelque chose que, quoiqu’on fasse on n’atteindra jamais. Allez savoir.

  • la grammaire est une chanson douce

    N°1770– Août 2023

     

    La grammaire est une chanson douce – Eric Orsenna – Stock.

     

    Le titre est une affirmation que ne partageaient pas forcément les potaches dont j’ai, comme tout le monde, fait partie pendant quelques années de ma vie et cela ne m’a pas laissé que de bons souvenirs. Il allait de cela comme des tables de multiplications qui n’avaient rien d’une agréable chansonnette dont on se souvenait de l’air mais bien plus rarement des paroles. La grammaire avec ses règles, ses exceptions, les conjugaisons et les accords compliqués du participe passé, sa concordance des temps et ses conjonctions qui voulaient tantôt d’indicatif, tantôt le subjonctif … tout cela n’avait rien pour moi d’une chanson douce.

    Mais revenons à nos moutons ou plus exactement à nos mots parce que c’est bien d’eux dont il s’agit. Cette histoire est une fable vue à travers les yeux de Jeanne, une petite fille au fort caractère et de son frère plus âgé qui ont fait naufrage sur une île perdue, « l’île des mots ». Je ne sais pas pourquoi, j’ai tout de suite songé à Saint-Exupéry, (et pas seulement à cause des aquarelles de Bigre qui accompagnent le texte), et à son merveilleux « Petit Prince » qui découvre un monde étrange.( L’allusion à Saint-Ex, à la fin de l’histoire me parle puisque un écrivain même mort ne l’est jamais tout à fait puisque, de son passage sur terre, il laisse des textes qui lui survivent, une façon comme une autre d’être immortel. ) Ici, on achète les mots pour déclarer une rupture, son amour, balancer une bordée d’injures ou simplement pour draguer… C’est que les mots sont comme les gens, ils naissent, vivent et meurent, servent à s’exprimer mais ce qui m’a toujours étonné c’est que si les dictionnaires s’enrichissent chaque année de mots nouveaux, souvent d’origine étrangère, c’est en cela qu’une langue est vivante, mais ils font toujours la même épaisseur, c’est à dire que d’autres plus vieux disparaissent. Place aux jeunes en quelque sorte !. Ce livre, c’est aussi l’occasion de en nous remettre en mémoire quelques disparus, pourtant bien poétiques, mais qui ont été mangés par l’oubli, une façon comme une autre d’améliorer son vocabulaire et de rendre hommage à notre belle langue. Quant aux mots étrangers, ils prennent de plus en plus la place du français pour souvent dire la même chose. C’est peut-être plus moderne , je suis peut-être un peu trop vieux,, mais je n’y comprends plus rien ! Depuis de nombreuses années la francophonie perd beaucoup de terrain dans le monde et même dans notre propre pays et je crains que cela ne soit vu une fatalité contre laquelle les autorités ne réagissent même plus. Il est révolu le temps où les principales nations parlaient le français, et pas seulement pour des raisons pratiques ou commerciales.

    Ils souffrent aussi les mots, comme les humains, ils ont leurs qualités, leurs défauts, leur musique et sont agressés sont malades, se marient ... On se sert d’eux dans des phrases qui sont parfois des mensonges, les discours qu’on forme avec eux sont parfois si alambiqués qu’on n’y comprend plus rien et des expériences comme l’écriture inclusive. me paraissent pour le moins hasardeuse; Je remarque cependant que certes il faut parler anglais ou au moins le comprendre, mais il est quand même bien dommage que, sur le territoire national, sur internet et les réseaux sociaux français on oublie un peu notre langue maternelle surtout quand la première chose que faisaient les émigrés successifs arrivés en France , était d’apprendre notre langue.

    Notre auteur est un écrivain, c’est à dire qu’il se sert des mots, verbes, adjectifs, adverbes… Il sait donc de quoi il parle et le fait découvrir par l’intermédiaire de Monsieur Henri à Jeanne. C’est quand même plus agréable d’apprendre ainsi en s’amusant plutôt que de de réciter par cœur sans pour autant comprendre comme cela a été longtemps la tradition et c’est l’occasion pour lui de régler quelques comptes avec l’école et sa pédagogie qui bien souvent nous a fait haïr notre belle langue et sa culture alors qu’elle aurait dût au contraire nous les faire aimer. Il est , comme tous les écrivains, un serviteur de notre langue dont les écrits, offerts à notre lecture, nourrissent notre intérêt pour elle qui est aussi une douce chanson.

     

     

     

  • Le moine et le vénérable

    N°1769– Août 2023

     

    Le moine et le vénérable – Christian Jacq – Robert Laffont.

     

    Après avoir fait partager ses connaissances en égyptologie et les enquêtes de l’inspecteur Higgins, Christan Jacq renoue ici avec un autre aspect de sa création littéraire.

    Les guerres ont cette caractéristiques de faire se rencontrer des êtres qui, sans ces circonstances exceptionnelles ne se seraient jamais croisés. Nous sommes en 1944 et deux hommes, un médecin, François Branier, Vénérable de « Connaissance », une loge maçonnique qui respectait l’humanisme originel de l’obédience et qui s’inscrivait hors des combines politiques et de la quête des honneurs et des promotions sociales, et un moine bénédictin. Ils sont enfermés ensemble dans une forteresse par les nazis. Himmler veut en effet percer les secrets de la Maçonnerie et les pouvoirs divinatoires et thérapeutiques du moine au profit du nazisme. C’est ce qui leur vaut cette détention certes dure mais plus privilégiée qu’elle ne serait dans un camp de concentration.

    Tout oppose les deux hommes sur le plan philosophique et doctrinale, le Dieu chrétien contre le Grand Architecte, la foi de la religion révélée conte les secrets de la loge mais la captivité qui leur est imposée va les rapprocher dans la résistance qu’ils entendent opposer à l’ennemi et leur volonté de s’évader. Les manœuvres des nazis pour obtenir des informatisions en mettant en rivalité les deux hommes autant que leurs procédés visant à ce qu’ils se méfient l’un de l’autre et se trahissent, le jeu du chat et de la souris mené par les Allemands pour amener le Vénérable à dévoiler ses secrets et les manœuvres de ce dernier pour les cacher. A un certain moment on ne sait plus si le commandant du camp accuse le Vénérable d’être Maçon ou de diriger un réseau terroriste

    C’est un roman haletant, bien écrit, bien documentée sur la Maçonnerie et les discussions entre le moine et le Vénérable à propos de leur croyances respectives sont instructives et sont aussi une invitation à la tolérance

  • Poteaux d'angle

    N°1768– Août 2023

     

    Poteaux d’angle – Henri Michaux – Gallimard.

     

    Henri Michaux est un poète , je m’attendais donc à lire des poèmes, même si dans le domaine de l’écriture Henri Michaux a été une sorte de marginal de la littérature, non seulement en refusant la forme classique de la poésie, lui préférant une forme visuelle qui trouvera son épanouissement dans la peinture et l’art graphique, privilégiant les néologismes parfois inattendus, faisant prévaloir la liberté de création, refusant pourtant le mouvement surréaliste. Ses expérimentations se poursuivront avec l’usage de l’éther et plus tard de la mescaline, substances hallucinogènes supposées favoriser la création. Il se veut en dehors des courants littéraires et refuse la médiatisation de son œuvre et même de lui-même bien qu’il compte beaucoup d’ amis dans. les cercles artistiques.

    J’ai lu ce recueil comme une somme d’aphorismes sur l’existence, des conseils donnés à son lecteur, une invitation à la méditation. Je vois ces « poteaux d’angles » comme de piliers solides et stables posés aux quatre coins d’une vie, le résultat de son expérience personnelle, autant de jalons au service des autres individus (fréquent usage de la deuxième personne).

     

    Je m’attendais donc à plus de poésie, plus de musique et d’images, moins de phrases sentencieuses. Bref, je suis un peu déçu malgré l’importance littéraire incontestable d’Henri Michaux.

  • Taxi driver

    N°1767– Août 2023

     

    Taxi driver – un film de Martin Scorcsese (1976)

     

    Vu et surtout revu hier soir sur Arte ce film emblématique de Martin Scorsese, plusieurs fois primé (notamment Palme d’or à Cannes en 1976) et qui met en scène des acteurs jeunes qui deviendront célèbres, Robert de Niro (Travis Bickle) n’a que 32 ans lors du tournage, Jodie Foster (Iris) n’en a que 14 , Harvey Keitel (Mathew) 36 ans, Cybil Sheperd (Betsy) que 25 ans. Martin Scorsese lui-même n’en est qu’à ses débuts. Il apparaîtra dans ce film en tant que figurant, un peu à la façon Hitchcock. Le scénario de Paul Schrader est considéré comme un classique du cinéma américain et un des chefs-d’œuvres de Scorsese .

     

    Travis Bickle est un ancien marine, reconverti comme chauffeur de taxi de nuit à New-York. C’est un jeune homme solitaire et insomniaque qui vit dans une sorte de bouge et qui affronte la violence et les vices de cette ville dans ces quartiers chauds. Il y côtoie la prostitution, la violence, la drogue, l’alcool, le racisme, les trafics en tous genres, les armes… Un peu par hasard, il croise Betsy, une des assistantes du sénateur Charles Palantine, candidat à la présidence des États-Unis et en tombe éperdument amoureux. Il n’appartient pas à son milieu social, n’a aucun de ses goûts de sorte que, dans son entreprise de séduction de la jeune femme, il multiplie les gaffes, en l’invitant notamment à la projection d’un film pornographique. Ses nombreux envois de fleurs n’y feront rien. Le résultat est évidemment désastreux et Betsy le repousse, le renvoyant à sa condition.

    Toujours par hasard il croise Iris, une jeune prostituée qu’il se met en tête de sauver, un peu en réaction à sa déception amoureuse. Pour cela, après avoir tenté vainement d’abattre le sénateur Palantine, sans doute parce qu’il incarne pour lui le type même du politique opportuniste, et sans doute corrompu, il tue le proxénète d’Iris, un de ses clients ainsi que le tenancier de l’hôtel de passe où elle officie, comme il tuera un braqueur noir qui veut dévaliser une épicerie de nuit. Lors de son intervention punitive pour libérer la jeune prostituée il est grièvement blessé mais survit, ce qui fait de lui un héro célébré par la presse. Iris reprend une vie normale auprès de ses parents qui remercient le jeune homme dans une lettre émouvante mais lui revient à son existence hasardeuse et orpheline. Il prend même un soir dans son taxi Betsy qui lui parle de sa nouvelle notoriété mais il la raccompagne gratuitement chez elle sans même pousser son avantage. Elle est définitivement perdue pour lui. II ne sera jamais heureux.

    Travis est le type de jeune homme paumé, mal dans sa peau, dépressif, revenu, traumatisé par la guerre du Viet-Nam, abandonné par un pays qu’il a pourtant servi et qui se cherche une nouvelle raison de vivre. Sa croisade contre les pires vices de New-York sera certes saluée par la presse mais cela ne changera rien ni pour lui, ni pour l’ambiance délétère de cette métropole. Il retournera à sa vie anonyme et minable qui lui colle à la peau et dont il ne sortira à l’évidence jamais, ce qui fait de ce film un miroir de cette société américaine, loin des clichés et de l’image idyllique de cette ville « qui ne dort jamais ». Lui-même est amoureux d’une femme inaccessible et qui ne sera jamais à lui. Il accepte cela comme une fatalité, comme son destin solitaire et définitif d’amoureux délaissé.

     

  • L'Inventionde la vérité

    N°1766– Août 2023

     

    L’Invention de la vérité – Marta Morazzoni – Actes Sud.

    Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli.

     

    Ce sont deux histoires à deux époques différentes et dans deux lieux distincts qui nous sont ici proposées. La première nous transporte au Moyen-Age, au moment de la réalisation de « tapisserie de Bayeux » ou « tapisserie de la reine Mathilde » célébrant la victoire d’Hastings de 1066 remportée par son mari le duc Guillaume de Normandie, dit le Conquérant, sur le roi d’Angleterre Harold , la seconde évoque la figure de John Ruskin (1819-1900), peintre écrivain et critique d’art anglais, spécialiste de l’art gothique, auteur de « la Bible d’Amiens » et de la visite qu’il fit à cette cathédrale en 1879. La notion de temps est ici différente, longue pour l’évocation de la tapisserie, d’à peine 24 heures pour l’église. Si Ruskin et la reine Mathilde, ont réellement existé, Marta Morazzoni choisit d’évoquer également deux personnages fictifs, pas si secondaires que cela, Anne Élisabeth, une brodeuse amiénoise qui, parmi 300 autres venues de toute la France, abandonna provisoirement sa famille pour l’honneur de répondre à l’invitation royale de participer à ce travail et George le valet qui accompagna Ruskin. Le roman s’articule en de courts chapitres qui se répondent, comme un effet miroir.

     

    Dès lors, je m’interroge sur le sens du titre qui peut tenir du paradoxe ainsi que sur la citation de John Ruskin notée à la fin et qui donne son titre au roman : « On peut imaginer des choses fausses, et composer des choses fausses, mais seule la vérité peut être inventée ». Je note aussi la majuscule donne au mot invention une dimension différente, plus absolue peut-être? Ici, il s’agit dans le cas de la tapisserie de marquer un fait réel et dans celui de Ruskin de rendre compte d’une étude artistique sur la cathédrale. Ces deux faits font appel au passé et donc à la mémoire, la sollicite et la nourrissent d’une manière subjective c’est à dire la réinvente. C’est une façon de voir la réalité qui n’est peut-être pas exactement un mensonge mais une autre façon de l’interpréter. Cette notion de vérité qui est une recherche multiforme propre à l’espèce humaine est un concept à géométrie variable en fonction des époques et des cultures et qui a fait l’objet de commentaires et d’illustrations de la part des plus éminentes personnalités. Doit-on voir un fil d’Ariane (sans mauvais jeu de mots) entre cette tapisserie, c’est à dire une création artistique aux origines contestées et ce critique d’art ? Quel est le lien entre Mathilde inspiratrice de cette œuvre et John, le critique ? A priori aucun si ce n’est la Normandie ou la cathédrale gothique d’Amiens et la tapisserie qui relate un moment de l’histoire, l’Angleterre à travers Mathilde qui en sera la reine et Ruskin, un citoyen britannique. Il est évidemment possible d’évoquer la confection de ce travail d’aiguille avec l’art gothique souvent comparé à de la dentelle de pierre, de même qu’on peut rapprocher ces deux entreprises dans le contexte du temps qu’il a fallu pour les réaliser. Tout peut aussi s’expliquer à travers la vision qu’on a des choses, d’une part la tapisserie dont l’endroit donne à voir un dessin bien ordonné, aux couleurs et aux formes délicates, c’est à dire quelque chose d’agréable à regarder et l’envers qui ne présente qu’un entrelacement de fils sans véritable forme, c’est à dire deux visions différentes d’une même chose. Selon Ruskin l’extérieur de cette église est comme l’envers d’une étoffe qui aide à comprendre comment s’organisent les fils du dessus, les liens de la trame étant identiques aux piliers qui soutiennent la voûte. Dans « La Bible d’Amiens », ouvrage paru en 1884 et traduit par Marcel Proust en 1904, il étudie la figure de la Vierge représentée à deux périodes de sa vie et par différentes écoles artistiques, soit maternelle et douce, soit triomphante et un peu austère, deux moments de son histoire, deux façons de voir et de représenter le même personnage en fonction de ce qu’on veut signifier. Assis dans la nef, Ruskin se laisse néanmoins allé à la contemplation d’une fugace figure féminine bien vivante, bien éloignée de la figure de la « Vierge dorée », objet de sa contemplation originelle et mystique, tout en regrettant la fuite du temps et la disparition de sa vigueur de jeunesse. Ici la vérité n’est plus à inventer !

     

    Mais quid de la vérité? Ici, nous sommes dans le domaine du roman, c’est à dire de la fiction, de quelque chose d’inventé, d’interprété unilatéralement mais qui peut parfaitement se greffer sur un fait réel. Ainsi l’auteur imagine une histoire en marge d’une réalité incontestable, ici la bataille d’Hastings ou la visite de Ruskin à la cathédrale. Il n’y a rien là que de très normal et le lecteur sait à quoi s’en tenir. Peut-on y voir une allusion à l’art du roman, à son matériau que sont les mots et plus généralement à l’art d’écrire, à l’imaginaire qui est une forme d’invention ? Un roman est une intrigue plus ou moins fictive que le lecteur est invité à suivre et qui se dénoue à la fin, un ensemble de faits rapportés dans un désordre voulu par l’auteur et qui trouvent une signification. C’est parfaitement arbitraire et dépend de l’auteur qui souhaite que le lecteur l’accompagne dans ce parcours. Pour cela il va tisser une trame, imaginer une histoire dans laquelle il va placer des personnages dont, tel un marionnettiste, il va tirer les ficelles. C’est la vérité de l’auteur, celle qu’il invente. Ici Marta Morazzoni imagine un dialogue quasi intime entre le reine et Anne Élisabeth, ce qui, en plein Moyen-âge paraît impossible mais sonne ici comme une réalité. De même la complicité qui existe entre le maître et le valet est également impensable mais dans le contexte romanesque devient acceptable. Marta Morazzoni introduit le thème du labyrinthe présent dans certaines cathédrales, notamment dans celle d’Amiens où Ruskin cherche ou peut-être tente d’inventer une sorte de vérité, ce qui indique que tout cela ne se fait pas sans difficulté et surtout sans humilité comme l’indique la couverture du livre, un homme minuscule face à la voûte élancée d’une église gothique.

     

    C’est un roman passionnant, fort bien écrit et documenté, dans une belle langue, avec un questionnement intéressant et que j’ai eu plaisir à découvrir.

  • Le désert de quartz

    N°1765– Juillet 2023

     

    Le désert de quartz – George Schinteie -

     

    Tout d'abord je remercie Gabrielle Danoux de m'avoir fait parvenir ces poèmes dont elle est la traductrice et de m'avoir fait découvrir leur auteur comme elle l'avait naguère fait à propos de Valentin Dolfi (Ma poésie comme biographie), de Max Blecher ( Cœurs cicatrisés - roman) et Anton Holban (Le collectionneur de sons et autres nouvelles). Il convient de saluer son action en faveur de la popularisation en France de la culture roumaine, en particulier de sa poésie, même si, notre pays n’accueille plus ce registre créatif que par le biais de la chanson.

     

    Découvrir un poète est toujours pour moi un moment d'exception même si, ne parlant pas roumain, je ne le découvre qu’à travers une traduction qui est une difficile transposition d’une langue à l’autre, avec une sensibilité et une musicalité différentes. Il s'agit d'un recueil bilingue qui ne sera pas commercialisé en France, illustré par Valeriu Sepi.

    L'auteur s'est fait connaître tôt à travers une revue de poésie puis par la publication d’un premier recueil. Il a ensuite mis volontairement entre parenthèses sa créativité pour se consacrer au journalisme culturel, à la promotion de la poésie (des autres) et à la création d’organes de communication indépendants comme la radio et la télévision. Puis vinrent des publications sporadiques de poèmes, de deux recueils puis d’une série intitulée successivement 66, 67, 68 en référence à son âge ce qui peut signifier une obsession pour la numérologie mais assurément une obsession de la fuite du temps, le suivant, intitulé « l’ombre de l’horloge » corroborant cette impression.

     

    Le présent recueil de poèmes, au titre quelque peu abscons, est le dernier, le neuvième et traduit l’univers onirique de son auteur contemporain. Le quartz ou cristal de roche, par sa dureté, sa transparence et sa longévité m’évoque la permanence des sentiments exprimés et leur universalité. Le désert m’inspire l’immensité, l’errance et ce qui résulte de l’érosion de la vie, ce sable qui coule entre les doigts et qu’on ne peut arrêter. Il en résulte l’usure des choses les plus dures dont on pouvait croire qu’elles seraient pérennes. L'auteur y exprime son questionnement sur le destin, le temps, l’amour, la mort, la vie, l’éternité, la relation avec Dieu, la mélancolie que suscitent pour lui l'automne et l'hiver à travers leurs couleurs et leur symbole. Les thèmes traités ne dérogent pas de ceux qui sont traditionnellement l'objet de la poésie et correspondent à des préoccupations humaines. Il en parle avec un lyrisme parfois incantatoire, des images impressionnistes et même surréalistes d’où la nostalgie n’est pas absente et qu’on peut rapprocher de la « saudade » de Pessoa ou du « spleen » de Baudelaire.

     

    Les livres de Schinteie sont baignés par son autobiographie, le souvenir de son enfance à laquelle il ajoute esthétisme et musicalité des mots à la fois simples et naturels (l'ombre, la lumière, les saisons, la légèreté symbolisée par les images évoquant ce qui vole, animaux, feuilles ...).

    Ses textes témoignent d'une sensibilité amoureuse mais j’y ai lu une forme de souffrance due à une absence de la femme aimée. Elle est comme lointaine, inaccessible, diaphane plutôt que palpable et corporelle. L'idée de l’amour est limitée au sentimental et à la méditation, les mots se limitant à évoquer l'idée de la femme plutôt que son corps lui-même et ses formes. Ainsi reviennent sous sa plume des allusions nombreuses au sang qui me paraissent symboliser ce manque, cette image qui peu à peu s’estompe ainsi qu’en attestent le graphisme esquissé de Valeriu Sepi.

     

    Ses vers sont écrits sans ponctuation (comme tout poème il convient de les dire à haute voix en leur donnant le rythme que nous inspirent les mots) sans doute pour mieux susciter l’écoulement de la vie qui est chez lui une obsession prégnante. Les images métaphoriques qu'il emploie pour suggérer cette légèreté de la vie et son écoulement sont éloquentes (le papillon, le sable qui coule inexorablement entre les doigts, les traces laissées par les pas, l'arc en ciel, le bonhomme de neige...) et traduisent la mélancolie que lui inspire la fuite irrésistible du temps, la perte de l’énergie personnelle, les souvenirs d’une enfance passée, la disparition des gens seulement sauvée par l'empreinte mémorielle qu'ils ont laissée, la relation avec Dieu qui sont également des préoccupations humaines.

     

    J'ai eu accès à la créativité de ce poète contemporain à travers la virtualité du texte comme cela se fait de plus en plus pour une foule de bonnes raisons. Je suis moi aussi de ceux qui regrettent le livre son aspect-objet, l’odeur de l’encre et du papier, le toucher des pages...Pour ceux qui ont eu le privilège de tenir ce volume entre leurs mains, c'est toujours un plaisir sensuel. Ce qui m’étonne toujours c’est que les mots, confiés au fragile support du papier, résistent au temps et parcourent les siècles alors qu’un simple clic peut les effacer de l’ordinateur. Le fichier refermé je me pose toujours la même question au sujet de l’écriture et de son pouvoir exorciste réel ou supposé. Le plus important à mes yeux c’est de laisser une trace, d’exprimer sa créativité avec des mots comme d’autres choisissent les actes ou des constructions.

     

  • le pingouin

    N°1764– Juillet 2023

     

    Le pingouin – Andreï Kourkov - Éditions Liliane Levi.

    Traduit du russe par Nathalie Amargier.

    Victor est un écrivain raté, un peu paumé et dépressif qui vivote dans une Ukraine post-soviétique avec un pingouin, Micha, fourni par le zoo local qui n’a plus les moyens d’entretenir ses animaux et Sonia,une petite fille de quatre ans tombée du ciel. Un peu par hasard on lui propose de rédiger des nécrologies de personnalités, même si ces dernières sont encore en vie (pour combien de temps encore?). Faute de mieux il accepte et devient un journaliste reconnu mais apparemment recherché, à la vie menacée. Effectivement les meurtres mystérieux de ces VIP se multiplient autour de lui, perpétrés par un régime corrompu ou par la mafia locale de sorte que son travail et sa patience servent quand même à quelque chose. Victor ne sait pas trop où il en est mais évite de poser des questions parce que sa survie en dépend, lui fait-on savoir. Ici on combat l’hiver avec l’alcool mais aussi l’image que donne une société en pleine déliquescence. Je le trouve bien seul, ce Victor, malgré son pingouin et cette petite fille, Sonia, craintif aussi dans une société où chacun est épié dans le gris et de froid de l’hiver. Il semble être le jouet des événements qu’il traverse mais s’acquitte de sa tâche avec conscience. disparaît derrière des autres personnages, la petite fille, sa nounou, et même le pingouin, avec qui il forme une sorte de famille. Nous saurons à la fin la raison de son recrutement au sein du journal, la raison des sommes importantes qui lui ont été allouées, l’arbitraire de la situation dans laquelle il a été précipité, l’obsession de survivre, la peur de mourir, ... et le sort qu’on lui réservait

    J’ai apprécié ambiance kafkaïenne de ce roman, cette atmosphère de l’ère post-soviétique faite de corruption, d’espionnage, d’enquêtes inquisitoriales et par ailleurs empreintes d’iniquité mais aussi l’humour avec lequel tout cela est dit. La vodka sert à la fois à combattre le froid et surtout le décor et la déprime des citoyens noyés dans une normalité absurde, la façon assez expéditive de se débarrasser de quelqu’un devenu gênant et la reproduction fréquente de ce modus operandi, l’état plus que préoccupant de la médecine et des hôpitaux. On est donc loin d’une apparente histoire pour enfant symbolisée par le pingouin et la petite Sonia qui s’y attache.

    Les événements tragiques qui secouent actuellement le pays ont mis en lumière cet écrivain. Il nous révèle avec ce roman des détails surprenants de la vie des Ukrainiens au quotidien, les enterrements aux sons d’un orchestre, avec chants et pleureuses, les alcools forts qui se mesurent au poids, la détention de voitures de marques étrangères comme signes extérieurs de richesse, détails architecturaux...

    Victor est le type même de l’anti-héro dépassé mais j’ai été un peu déçu par le déroulé de l’intrigue qui parfois s’enlise.


     


     

  • les complicités involontaires

    N°1763– Juillet 2023

     

    Les complicités involontaires – Nathalie Bauer – Philippe Rey Éditeur.

    Corinne V psychiatre quinquagénaire reçoit dans son cabinet Zoé B, envoyée par son médecin traitant. Elles furent amies du temps de leurs études déjà lointaines et l’analyste se prépare à la diriger vers un confrère mais apprend que Zoé souffre d’amnésie à cause de lourds traitements médicamenteux et d’une mélancolie qui remonte à l’enfance. Que Zoé ne reconnaisse pas son ancienne amie peut s’expliquer ainsi, même si nom de jeune fille de Corinne, accolé à son nom d’épouse, aurait peut-être dû attirer son attention. La psy revient donc sur son intention première et va accepter de mener sa thérapie en puisant dans ses souvenirs personnels pour la documenter parce que sa mémoire de cette période est intacte. Ainsi se met en place une situation bizarre, l’analysante, pour des raisons personnelles, peut avoir fait cette démarche en trompant l’analyste sur l’état de sa mémoire avec la volonté de la mystifier, ou cette dernière, en cours de traitement, peut parfaitement être reconnue, ce qui affecterait la démarche. Cette thérapie représentent-elle pour Corinne un défi personnel ? Il y a également de sa part un évident plaisir à bousculer les règles de sa profession tout en s’impliquant dans cette analyse d’une manière assez inattendue. Ce plongeon imprévu dans le passé va la précipiter dans la culpabilité, la nostalgie et les regrets. De plus ces séances, en principe est dédiées à la parole, sont majoritairement agrémentées et même remplacées, de la volonté même de Zoé par des photos et des écrits, les mémos, fournis par elle sur sa famille, ses conflits, ses haines, ses mystères qui sont autant de pièces d’un puzzle qui va, petit à petit dessiner une saga qui s’inscrit dans l’histoire du XX° siècle. Quant aux clichés qui accompagnent cette recherche, baptisés « pièces à conviction », ils confortent ce qui peut-être regardé comme une véritable enquête policière à des fins psychiatriques. C’est un peu comme si l’écriture et son supposé pouvoir exorciste prenait dans ce contexte le pas sur la voix. Était-ce cette ancienne amitié où la façon assez particulière avec laquelle se déroulent ces séances souvent repoussées, ou encore l’exploration du vécu de sa patiente, elles engendrent une sorte d’appétit de changement voire de compromission pour Corinne qui bouscule quelque peu son métier de soignant et sa vie de couple. Le résultat en est assez éloquent, un peu comme si cette rencontre fortuite avait été longtemps attendue et agissait comme un révélateur, avec à la fois la volonté de transgresser les tabous et de donner libre cours à ses velléités de liberté. Elle se découvre aussi elle-même dans cette démarche.

    Avec de nombreux analepses, la source de la mélancolie dont souffre Zoé est esquissée à travers l’histoire de cette famille, ses non-dits, ses silences, ses hontes, ses complicités plus ou moins volontaires et leurs conséquences sur les survivants dont elle fait partie. Il en résulte pour eux un mal-être où le désir de savoir et de comprendre le dispute à celui de pardonner. A titre personnel j’admets que pour elle un tel fardeau génère un état prégnant de solitude. Dans son cas, l’image de la mère n’en sort pas indemne, révélant de vrai visage d’une femme censée être transformée par la maternité. La démarche de Zoé auprès de Corinne n’est pas non plus banale, pas du tout celle envisagée par le médecin, pas innocente non plus et assurément manipulatrice. Elle a cet effet-miroir révélateur de leurs liens amicaux supposés et a permis à cette dernière une connaissance approfondie d’elle-même, pas forcément flatteuse !

    Cette lecture constitue ma première approche de l’activité d’écrivain de Nathalie Bauer et m’encourage à poursuivre ce qui fut une belle découverte.

    Lorsqu’on aborde un auteur étranger traduit en français on se souvient de son nom mais jamais, ou très rarement, de celui du traducteur. C’est pourtant grâce à lui que pourra se réaliser un éventuel intérêt pour la lecture et peut-être une complicité même passagère. Depuis que je lis des romans italiens traduits, c’est souvent Nathalie Bauer qui en assure la version française et j’ai toujours apprécié son style à la fois fluide et précis. A force de traduire les autres a-t-elle été tentée de mettre en œuvre pour elle-même cette faculté de s’exprimer avec ses propres mots auxquels on confie toujours un peu de soi-même ou portait-t-elle en elle à la fois ce besoin et ce plaisir d’écrire? Quoiqu’il en soit j’ai bien aimé ce roman dans sa rédaction comme dans sa dimension analytique.


     


     

  • Les complicités involontaires

    N°1763– Juillet 2023

     

    Les complicités involontaires – Nathalie Bauer – Philippe Rey Éditeur.

    Corinne V psychiatre quinquagénaire reçoit dans son cabinet Zoé B, envoyée par son médecin traitant. Elles furent amies du temps de leurs études déjà lointaines et l’analyste se prépare à la diriger vers un confrère mais apprend que Zoé souffre d’amnésie à cause de lourds traitements médicamenteux et d’une mélancolie qui remonte à l’enfance. Que Zoé ne reconnaisse pas son ancienne amie peut s’expliquer ainsi, même si nom de jeune fille de Corinne, accolé à son nom d’épouse, aurait peut-être dû attirer son attention. La psy revient donc sur son intention première et va accepter de mener sa thérapie en puisant dans ses souvenirs personnels pour la documenter parce que sa mémoire de cette période est intacte. Ainsi se met en place une situation bizarre, l’analysante, pour des raisons personnelles, peut avoir fait cette démarche en trompant l’analyste sur l’état de sa mémoire avec la volonté de la mystifier, ou cette dernière, en cours de traitement, peut parfaitement être reconnue, ce qui affecterait la démarche. Cette thérapie représentent-elle pour Corinne un défi personnel ? Il y a également de sa part un évident plaisir à bousculer les règles de sa profession tout en s’impliquant dans cette analyse d’une manière assez inattendue. Ce plongeon imprévu dans le passé va la précipiter dans la culpabilité, la nostalgie et les regrets. De plus ces séances, en principe est dédiées à la parole, sont majoritairement agrémentées et même remplacées, de la volonté même de Zoé par des photos et des écrits, les mémos, fournis par elle sur sa famille, ses conflits, ses haines, ses mystères qui sont autant de pièces d’un puzzle qui va, petit à petit dessiner une saga qui s’inscrit dans l’histoire du XX° siècle. Quant aux clichés qui accompagnent cette recherche, baptisés « pièces à conviction », ils confortent ce qui peut-être regardé comme une véritable enquête policière à des fins psychiatriques. C’est un peu comme si l’écriture et son supposé pouvoir exorciste prenait dans ce contexte le pas sur la voix. Était-ce cette ancienne amitié où la façon assez particulière avec laquelle se déroulent ces séances souvent repoussées, ou encore l’exploration du vécu de sa patiente, elles engendrent une sorte d’appétit de changement voire de compromission pour Corinne qui bouscule quelque peu son métier de soignant et sa vie de couple. Le résultat en est assez éloquent, un peu comme si cette rencontre fortuite avait été longtemps attendue et agissait comme un révélateur, avec à la fois la volonté de transgresser les tabous et de donner libre cours à ses velléités de liberté. Elle se découvre aussi elle-même dans cette démarche.

    Avec de nombreux analepses, la source de la mélancolie dont souffre Zoé est esquissée à travers l’histoire de cette famille, ses non-dits, ses silences, ses hontes, ses complicités plus ou moins volontaires et leurs conséquences sur les survivants dont elle fait partie. Il en résulte pour eux un mal-être où le désir de savoir et de comprendre le dispute à celui de pardonner. A titre personnel j’admets que pour elle un tel fardeau génère un état prégnant de solitude. Dans son cas, l’image de la mère n’en sort pas indemne, révélant de vrai visage d’une femme censée être transformée par la maternité. La démarche de Zoé auprès de Corinne n’est pas non plus banale, pas du tout celle envisagée par le médecin, pas innocente non plus et assurément manipulatrice. Elle a cet effet-miroir révélateur de leurs liens amicaux supposés et a permis à cette dernière une connaissance approfondie d’elle-même, pas forcément flatteuse !

    Cette lecture constitue ma première approche de l’activité d’écrivain de Nathalie Bauer et m’encourage à poursuivre ce qui fut une belle découverte.

    Lorsqu’on aborde un auteur étranger traduit en français on se souvient de son nom mais jamais, ou très rarement, de celui du traducteur. C’est pourtant grâce à lui que pourra se réaliser un éventuel intérêt pour la lecture et peut-être une complicité même passagère. Depuis que je lis des romans italiens traduits, c’est souvent Nathalie Bauer qui en assure la version française et j’ai toujours apprécié son style à la fois fluide et précis. A force de traduire les autres a-t-elle été tentée de mettre en œuvre pour elle-même cette faculté de s’exprimer avec ses propres mots auxquels on confie toujours un peu de soi-même ou portait-t-elle en elle à la fois ce besoin et ce plaisir d’écrire? Quoiqu’il en soit j’ai bien aimé ce roman dans sa rédaction comme dans sa dimension analytique.


     


     

  • Nous voulons tous être sauvés

    N°1762– Juillet 2023

     

    Nous voulons tous être sauvés – Daniele Mencarelli – Globe.

    Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

    Qu’est-il arrivé à Daniele, vingt ans ? Il a , sans raison, quitté son travail et vandalisé l’appartement de ses parents, manquant de tuer son père, sans doute à cause de la coke qu’il a auparavant sniffée ? Une sorte de « pétage de plombs » ! C’est sa manière à lui d’exprimer son malheur et sa solitude face au monde extérieur. Résultat, il s’est retrouvé hospitalisé d’office, c’est à dire sans son consentement, dans un établissement psychiatrique autrement dit, enfermé pour huit jours, dans la touffeur de la campagne romaine, à la veille de la coupe du monde de football 1994. Les différents matches scanderont cette histoire. De cette période d’observation dépendra son avenir.

    Il nous décrit donc cette semaine passée dans un univers quasi carcéral fait de brimades d’incompréhensions et de médicaments, enfermé dans une chambre collective malodorante avec des adultes ; c’est plutôt dépriment. Il est marqué par ce qu’on diagnostique chez lui comme une maladie mentale et il fait confiance aux soignants pour l’aider à en sortir. Il participe aux séries de tests, montre une volonté de guérir mais s’aperçoit très vite que cette démarche ne débouche sur rien. Au départ, il est terrifié par cet environnement mais rapidement il s’aperçoit que ces pensionnaires vont l’écouter et le comprendre. Il peut en effet parler de l’importance qu’a pour lui l’écriture qui, sous la forme de poèmes, représente un refuge, un exorcisme face à son inadaptation à la vie née d’une certaine nostalgie.

    Il s’interroge sur le véritable sens de la folie née parfois simplement d’un fait banal, d’une fragilité et jette sur la thérapie et sur les médecins un regard critique. Chacun vit cette période à sa manière ce qui constitue une forme de salut mais la réponse médicale qui devrait être l’écoute, n’existe pas. En général, on ne prête pas d’importance aux fous parce qu’ils ne sont pas dans la norme, parce qu’ils sont dans leur monde et c’est ce que va découvrir Daniele pendant cette semaine. Quant à la guérison et au retour au quotidien ordinaire, ils sont décrétés parfois arbitrairement. Dans le cas de Daniele, il restera quoiqu’il en soit, un inadapté définitif à la vie.

    C’est une approche de ce qu’on appelle la folie dans ses différentes facettes et son unique solution : l’enfermement avec une camisole chimique qui est quand même mieux que l’externement abusif qui est aussi la règle dans le traitement psychiatrique. Pour Daniele cela ressemblent à un enfer et la référence à Rimbaud, à sa saison en enfer et à sa formule « Je est un autre » n’est pas un hasard. Avec la covid nous avons appris que la médecine n’est pas une science exacte, la thérapie développée par les psys parait un peu approximative tant il est vrai que des expertises judiciaires pratiquées sur certains accusés pour analyser leur personnalité et leur maladie ont parfois donné des résultats contradictoires, affectant la manifestation de la vérité et qu’un patient peut parfaitement circonvenir son psychiatre.

    C’est écrit comme on parle et j’attends quand même d’un livre qu’il soit bien écrit.

    Au départ j’ai été assez réticent à lire ce livre à cause sans doute de l’univers qu’il décrivait. Au fil des pages mon intérêt a été suscité et j’ai poursuivi ma lecture avec une certaine curiosité.

    Ce roman a été en Italie par le Prix « Strega Giovanni » qui est l’équivalent du Goncourt des lycéens

  • Mon nom est sans mémoire

    N°1761– Juillet 2023

     

    Mon nom est sans mémoire – Michela Marzano – Stock.

    Michela a été élevée par sa famille dans un contexte politique de gauche qui l’a marquée au point d’avoir été elle-même députée du Parti Démocrate italien. Elle découvre que le quatrième prénom, jamais mentionné, de son père est Benito, le même que celui de Mussolini et que son grand-père, Arturo, juge et patriote royaliste, fut un des premiers soutiens du Duce. Ce ne sera pas ce seul prénom qui suscitera ses interrogations.

    Dès lors débute pour elle l’exploration d’un pan oublié et peut-être tu de son histoire familiale, à commencer par le parcours de ce grand-père, Arturo, combattant et prisonnier pendant la Grande guerre puis adhérent au nouveau parti fasciste, participant à la « Marche sur Rome », « squadrista », inconditionnel de ce régime dont il était un dignitaire et auquel il devait sa promotion. Son engagement fasciste est pour elle une honte qu’elle ne supporte pas. Dès lors commence une interrogation intime sur ses origines, favorisée peut-être par la naissance de son neveu, par une psychanalyse qui dure déjà depuis vingt ans sans doute parce qu’à cinquante ans et malgré un beau parcours professionnel, elle n’est toujours pas mère, qu’elle est à la recherche d’un traumatisme inconnu subit dans l’enfance, qu’elle est devenue anorexique… Une interrogation psychiatrique est souvent culpabilisante et hasardeuse. Elle va donc remonter le temps laborieusement, entre consultations des documents officiels et découverte des archives retrouvées et des souvenirs familiaux. Elle ira ainsi à la rencontre des membres de sa famille, redessinera l’image d’un père autoritaire, socialiste et brillant universitaire, d’une mère effacée. Cela commence dans les Pouilles, berceau de ses origines et elle va ainsi remonter l’Histoire, celle de ces années qui ont précédé et suivi le « ventennio » mêlées à celles de sa parentèle et de ses soubresauts, aller au devant de ses propres contradictions et de ses failles jusqu’à devoir remettre en question les vérités les plus affirmées. Les images qu’on a lentement idéalisées se lézardent, les apparences patiemment tissées se délitent, les épisodes laissés dans l’ombre révèlent leur existence et ce qu’on croyait impossible affirme sa réalité, les mensonges qui font partie de l’espèce humaine se découvrent mais des questions restent cependant sans réponse. Ce grand-père reste un mystère même pour ses proches entre la volonté de laisser une trace de son passage sur terre, de brouiller les pistes, d’habiller la réalité d’hypocrisie et de non-dits, entre amnésie et mémoire.

    Ces recherches généalogiques sont légitimes pour Michela mais il y a des noms lourds à porter surtout quand ils sont associés à des exactions comme ce fut le cas pendant la période fasciste. De cette auscultation du temps et des arcanes de la mémoire on sort rarement indemne. Cette démarche l’amène à s’interroger sur son père et sur elle-même, sur le parcours de chacun à travers sa volonté de cohérence et ses contradictions. Elle éprouve donc le besoin de faire le point dans ce livre baptisé « roman » alors qu’il me semble être davantage un témoignage qu’une fiction. A titre personnel, je m’interroge comme souvent sur l’effet cathartique de l’écriture et ce qu’il en est résulté pour l’auteure par rapport à sa propre démarche psychanalytique et des conséquences parfois inattendues de cette rencontre.

    C’est un livre passionnant, fort bien écrit en français, mais également un ouvrage documentaire historiquement important dont le titre italien « Stirpe e Vergogna »(origine et honte) me paraît plus révélateur.

    J’ai lu ce livre au départ parce qu’il est en lice pour un prix littéraire, mais rapidement j’ai été happé par la démarche autant que par le style. Ce fut pour moi une belle découverte

  • Capitale de la douleur - L'amour la poésie

    N°1760– Juillet 2023

     

    Capitale de la douleur – L’amour la poésie – Paul Eluard – Gallimard.

    Que les femmes soient la plus belle création de Dieu, s’il existe, est une évidence. Leur meilleur chantre est sans conteste Paul Eluard (1895-1952) qui a su exprimer toutes les nuances de l’amour qu’elles inspirent.

    Avec ces recueils qui datent respectivement de 1926 et 1929, l’auteur est dans sa période surréaliste où se conjuguent le rêve et la réalité. Il a été en effet influencé par le dadaïsme qui a dénoncé l’absurdité du monde et sa volonté de le révolutionner en le détruisant notamment à travers le langage . Il a fait ensuite partie du « Manifeste du surréalisme » d’André Breton qui fait appel notamment dans l’expression écrite à l’inconscient, à « l‘absence de tout contrôle exercé par la raison en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Cette philosophie marquera le début du XX° siècle notamment dans la peinture de Miro de Tanguy et de Dali et se manifestera en littérature par l’écriture automatique. Ces deux recueils, tout en s’inscrivant dans ce mouvement de l’évolution du langage, n’en évoquent pas moins l’amour avec ses deux versants traditionnels que sont la douceur et la douleur.

    Paul Eluard a dû interrompre ses études et être hospitalisé à l’age de 16 ans dans un sanatorium suisse où il a rencontré Diane Diakonova, une jeune et brillante jeune-fille russe dont il tombe éperdument amoureux, qu’il surnomme Gala et qu’il épouse en 1917. elle sera sa muse. Plus tard ils rencontrent le peintre Max Ernst pour qui elle pose et devient son amante tout en restant mariée à Eluard. Il finit même par s’installer chez le couple et en 1928. Eluard fait un autre séjour en sanatorium en compagnie de Gala qui le quitte pour Salvador Dali qui en fera son unique modèle. Eluard fait ensuite la connaissance de Maria Benz qu’il surnomme Nusch et qu’il épouse en 1934.

    « Capitale de la douleur » dont le titre original était « L’art d’être malheureux » est avant tout une exaltation du désir mais aussi exprime en quelque sorte la douleur du poète en lettres capitales. « L’amour la poésie » est également consacré à l’amour et est dédié à Gala !

  • Après la pluie

    N°1759– Juillet 2023

     

    Après la pluie – Chiara Mezzalama – Mercure de France

    Traduit de l’italien par Léa Drouet.

    Ettore et Elena sont mariés depuis des années, ont ensemble deux enfants. Dès les premières pages on apprend qu’Ettore a une maîtresse, une femme évidemment plus jeune que son épouse et dont il est follement amoureux. C’est assez classique que ce soit le mari qui trompe sa femme, éternelle victime, une littérature boulevardière a largement popularisé ce genre de situation, comme si l’épouse ne pouvait pas elle aussi tromper son mari, surtout de nos jours. Et avec tout cela, Ettore qui se sent vieillir et Elena est la seule à ne rien savoir de la toquade de son mari ! Air connu. L’amour ne rime pas avec toujours comme on fait semblant de le croire, il ressemble à toutes les choses humaines, il est fongible et consomptible, est miné par l’hypocrisie, le fatalisme, la naïveté, l’indifférence qui finissent par s’installer dans le couple. C’est comme cela depuis toujours, la vie ne tient jamais ses promesses. Et avec tout cela les enfants à qui rien n’échappe, la culpabilité, les questions qu’on se pose et qui restent sans réponse, le sentiment d’échec, de perte de confiance, de révolte, d’injustice, le désir de vengeance, le besoin de partir pour faire le point...Et la solitude qui en résulte. Rien que de très classique donc. L’auteur en rajoute avec le traditionnel conflit de générations à propos de la prise de conscience écologique qu’illustre ce débordement du Tibre et cette pluie aux accents de fin du monde, ce qui n’est pas sans rappeler le déchirement de ce couple.

    Je veux bien que le hasard fasse partie de notre vie mais que chacun des époux rencontrent séparément, pendant la tempête, quelqu’un qui ressemble au « bon samaritain » et qui remet en question leurs certitudes sur le travail, le quotidien, l’avenir, m’étonne aussi à l’heure où le « vivre ensemble » est plus que jamais problématique. Que ces personnages se connaissent entre eux, qu’ils soient aussi différents l’un de l’autre et soient près de la nature, des animaux et respectueux de l’environnement m’a aussi paru quelque peu artificiel. Que l’énergie nucléaire soit un danger même si elle apporte confort et bien-être est une chose évidente et incontournable aujourd’hui. Quant à l’amour, différent de l’attirance sexuelle, qui survient quand on ne l’attend pas, ça m’a paru avoir de légers relents d’eau de rose. Je passe sur l’épisode accueillant du monastère, véritable microcosme à la fois de paix et de mélange ethnique, je n’y ai pas vraiment cru non plus. Je suis volontiers respectueux de la nature et peu porté au gaspillage et au consumérisme à outrance, mais le discours écologiste, dans ce qu’il a de culpabilisant et qui rappelle trop le contexte judéo-chrétien dans lequel nous baignons tous, m’a franchement ennuyé par son côté sermonneur. Que l’auteur l’ait fait tenir par les moniales jeunes et inattendues a achevé de me décevoir.

    C’est bien écrit (traduit?) et j’ai lu ce roman jusqu’au bout parce qu’il est en lice dans un concours littéraire qui requiert l’avis des lecteurs, mais il m’a un peu agacé avec ces remarques moralisatrices gratuites et répétées sur le mode de vie, la relativité des choses face aux dangers, avec une bonne dise d’aphorismes . Quant à l’épilogue, il m’a aussi déçu par son côté idéaliste.


     

  • Brigantessa

    N°1758– Juillet 2023

     

    Brigantessa- Guiseppe Catozzella- Haper Collin.

    Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

    Au delà de l’authentique histoire de Maria Oliverio (1841-1879) qui avait déjà, en son temps retenu l’attention d’Alexandre Dumas et dont la notoriété dépassait largement les limite de la Calabre, ce que je retiens surtout c’est le destin de cette femme, élève brillante mais que les événements de sa vie ont maintenue dans la misère et dans le malheur, déçue par les politiques et leurs promesses fallacieuses et qui a été constamment la victime des siens, de sa sœur, Teresa qui toute sa vie la poursuivit d’une haine raouche, de son mari Pietro qui la trompa même s’ils étaient amoureux l’un de l’autre. Elle voulu refaire le monde, lui échapper en devenant « la Ciccilla » au sein d’une bande de déserteurs qui avaient pris le maquis pour échapper à la guerre et montrer ainsi leur détermination. Elle a recherché le bonheur mais celui-ci lui a constamment échappé.

    Dans un pays miné par les luttes politiques Garibaldi assoit son pouvoir en promettant l’unification du pays mais Maria assiste, impuissante aux palinodies des tenants de l’ancien régime des Bourbon et en est profondément déçue d’autant que les promesses des « libérateurs » se révèlent vaines. Comme dan toutes les guerres, et notamment les guerres civiles, il y a des trahisons où les anciens oppresseurs sauvent leur vie et retrouvent leur place dans une société où finalement rien ne change. l’Idéal de liberté et d’égalité de Maria s’en trouve bouleversé et c’est au maquis, en compagnie de son mari et de quelques partisans calabrais devenus brigands, c’est à dire hors la loi qu’elle choisit de poursuivre la lutte. En réalité rien n’avait changé mais la figure de Maria s’inscrit dans l’histoire de la nation italienne.

    C’est une histoire émouvante que nous raconte à la première personne. Elle illustre également la partition de ce pays entre le nord et le sud qui existe encore aujourd’hui.

  • Nous sommes la nuit

    N°1757– Juillet 2023

     

    Nous sommes la nuit – Gwenael Le Guellec - Éditions Prisma.

    Yoran Rosko, la quarantaine, photographe breton, s’est exilé au Japon pour se rapprocher de la belle Reiko dont il est follement amoureux. Il doit peut-être à une achromatopsie qui lui fait voir le monde en noir et blanc son attirance vers la nuit, les ruelles et les quartiers sombres. Sa participation à un « photo game », sa curiosité autant que le hasard le mettent en présence d’une photo de crime d’autant plus terrible que sa mise en scène est mystérieuse, fait appel à la culture spécifique nippone, aux rituels d’un autre âge et ne correspond pas vraiment à ce à quoi on pouvait s’attendre dans la chambre d’un « love hotel ». L’aspect énigmatique du cliché publié sur internet, sa possible signification ésotérique, l’incitent à en décrypter le sens artistique, les médias ayant surnommé les auteurs inconnus de ce meurtre les « Tueurs au tableau » puis les « Tueurs aux estampes », Japon oblige- parce que la scène évoquait une œuvre d’art. Ce meurtre sera suivi d’autres tout aussi mystérieux, toujours sur le même mode opératoire. Yoran n’est ni policier ni détective privé mais cette série d’exécutions et sa volonté d’en comprendre le sens, l’amènent, au cours de la poursuite de ces tueurs de l’ombre, à fréquenter le monde marginal de la nuit, d’y faire d’improbables rencontres, d’explorer autant la mythologie que l’art de vivre des Japonais, jusqu’à mettre sa vie en danger dans la touffeur de Tokyo. Sa quête peuplée de fantômes le mène dans d’autres contrées du Japon, en Italie et jusqu’en République Tchèque.

    Le hasard m’a fait lire ce roman au moment où les réseaux sociaux sont les vecteurs des violences qui gangrènent notre société au point de la déstabiliser d’une manière inattendue et surtout incompréhensible. Ils sont également présents dans ce livre où l’espèce humaine, dans tout ce qu’elle a de plus horrible, est mise en scène.

    Après « Armorican Spycho » (Prix du suspens 2019 et Prix du Goéland masqué 2020) puis « Exil pour l’enfer « , ce roman clôt sa trilogie armoricaine. Gwenael Le Guellec  poursuit les pérégrinations au Japon de son personnage favori que nous retrouverons sans doute plus tard avec le même plaisir . Ce n’est pas vraiment un roman policier au sens traditionnel du terme mais plutôt un « thriller-voyageur » à mi-chemin entre le roman noir et le thriller. Il y a donc des meurtres (spectaculaires) de l’argent, avec forcément des magouilles bancaires, du sexe, du sang, de la vengeance, des poursuites mouvementées. C’est le terreau traditionnel de ce genre littéraire qui exploite la face sombre de l’espèce humaine. L’auteur, au long de ces 500 pages, mêle modernité et tradition, avec de la musique en fond sonore, distille à la fois le suspense et l’intérêt de son lecteur par le mystère et le dépaysement qu’il lui procure. Il explore en effet, à l’occasion de ce qui ressemble à une véritable enquête, la géographie, l’histoire, le folklore et les légendes des lieux traversés qui évidemment recèlent en eux-mêmes des explications. La connaissance de la culture, du mode de vie et de l’esprit nippon, si différents de ceux de l’occident, la qualité de la documentation sont remarquables, notamment celle relative aux arts martiaux. Je retiens également, le livre refermé, une réflexion bienvenue sur la vanité des choses humaines suscitée par la phrase mise en exergue. Il procède par petites touches pour créer le climat délétère propre aux thrillers et y invite à la fin un chat qui vient ajouter son côté mystérieux. En outre, le style fluide et agréable à lire – tout particulièrement dans les descriptions- m’a procuré un bon moment de lecture. Ce fut une belle découverte.

  • La vie est passée

    N°1756– Juillet 2023

     

    La vie est passée - Léon Georges Godeau - Le dès bleu

    Ce recueil qui date de 2002, c’est à dire qu’il est posthume, a fait l’objet pour sa réalisation de nombreuses recherches puisque les poèmes qui le composent ont été publiés dans différentes revues ou anthologies. Les thèmes sont traditionnels, ce sont les voyages effectués tout au long de sa vie et qui lui permirent de poser un regard sur la nature humaine, la famille, les amis mais surtout le Marais Poitevin qu’il chérissait pour y pêcher et s’y promener et les gens qu’il rencontrait, ces deux derniers sujets étant le principal ferment de son œuvre.

    Sur le plan de la forme, l’auteur refuse la rime, ce sont des poèmes en prose mais qui ne prennent leur véritable épaisseur que dits de vive voix. En cela il suit l’idée qu’il défendait déjà à la sortie de ce qui est à ma connaissance son premier ouvrage, « Javeniles », qu’il publia en 1953 à l’âge de trente-deux ans et qui annonça l’édition d’une vingtaine de recueils. Il était édité par « La tribune des poètes », est actuellement introuvable et a fait l’objet d’une réédition numérique par FeniXX. Dans ce recueil initial il annonçait en effet son refus de la règle et de la prosodie, même si certains des textes en montraient encore la marque, une manière de tourner la page en quelque sorte.

    Son écriture est simple, fluide, abordable par les gens ordinaires dont il parle et qui constituent, dans leur quotidien même, la véritable « matière-émotion » de son œuvre. Son univers familier c’est en effet la condition humaine universelle, celle du travail, les joies et les peines de la vie, des amours simples, des hasards, de l’instant fugitif comme de la permanence, de la mort...

    La poésie de Godeau passe par l’œil, par sa vision des choses et des êtes vivants, par l’idée qu’il s’en fait, l’image qu’il veut nous faire partager, un peu comme ses dessins et tableaux.

    Godeau est un poète injustement oublié, publié de son vivant majoritairement par de petites maisons d’édition ainsi que le note Louis Dubost (Le dés bleu) qui fut un de ses éditeurs. La France, pays de la culture et des Lumières boude un peu la poésie mais ce n’est pas le cas du Japon et de la Russie.

    Godeau mérite assurément plus que cette indifférence.


     

     

  • Votre vie m'intéresse

    N°15 – Août 1986.

    VOTRE VIE M'INTERESSE – Georges-Léon GODEAU – Le Dé Bleu.

     

    L'univers d'un poète est tout entier contenu dans ses mots et il rend compte de sa vision des choses d'une manière qui lui est propre, qui est unique. Léon-Georges Godeau possède cette qualité rare d'émouvoir en quelques phrases et de dire les choses et les gens aussi simplement qu'ils sont. Il fait sûrement sienne cette pensée de Victor Ségalen « Voir le monde et l’ayant vu dire sa vision ».

    Son écriture est de plain-pied avec les gens de toute condition, dans leur quotidien, leurs joies, leurs peines, leur travail. Il en est le témoin privilégié, s’identifie à eux parce qu'il a su promener son regard attentif sur le monde qui l'entoure et montrer à son lecteur ce qu'il a lui-même perçu sans pour autant y prêter attention. N'avoue-t-il pas lui-même « Mon peuple, je suis bien avec » ? (« une gamine », « les petits voyous »).

     

    Poète, Il n'en n'a pas moins été un homme de labeur, en contact constant avec d'autres hommes différents de lui mais qui lui ressemblent simplement parce qu'ils portent en eux la marque de la condition humaine. Ces paysans, ces ouvriers, ces bureaucrates, il les a côtoyés chaque jour de sa vie , mais ils sont aussi ses voisins, ses familiers (« Le nain », « Le rôdeur », « Le boueur », « Louise », « La meilleure secrétaire »).

     

    Tel un artisan méticuleux, il procède par petites touches pleines de vie, pleine de cette vérité qu’on voudrait cacher mais que sa sensibilité sait déceler. Il sait aussi décrire avec minutie les frayeurs intimes et puériles qui sont les siennes et par conséquent les nôtres (« Le causse »). Quand il parle de jeunes-filles ou des femmes, le style fait une grande place au non-dit, comme une délicatesse qu'il nous invite à saisir (« La fille du mareyeur », « Les femmes »). Qu'on ne s'y trompe pas, l'économie engendre l’harmonie et les mots sonnent agréablement à l'oreille car l'écriture est stricte, dépouillée, claire, pleine de senteurs et d'images. Cette « matière-émotion » comme aurait dit Char, je la retrouve dans ses dessins à la plume plus que dans sa peinture et cette exigence, je le rencontre en lui-même quand il déclare que malgré les nombreux recueils publiés, dont un chez Gallimard, et malgré une notoriété qui s'étend jusqu'au Japon et en URSS où il est traduit , seuls quelques dizaines de textes trouvent grâce à se yeux. N'avoue-t-il pas « Rien n'est important sauf quelques vrais textes qui resteront après le grand remue-ménage » ? Ce n'est pas la moindre qualité de cette anthologie que d'offrir au lecteur l’occasion de connaître Godeau à travers 25 années d'écriture.

     

    S'il n'a jamais été donné une définition de la poésie, celle qu'il fait sienne résume bien les choses « Les poèmes s'inventent au bord du monde, un pied sur la terre l'autre das le vide ». Ce que je retiens de ce livre c'est que son auteur a vu le monde, l'a mis dans ses yeux pour le remettre dans les nôtres. Il l'a fait simplement en nous invitant à nous arrêter. Tant pis pour ceux qui sont pressés !

     

  • On verra bien

    N° 1755 -Juin 2023

    On verra bien - Léon Georges Godeau - Le dès bleu

     

    Avec ce titre assez peu poétique Léon Georges Godeau (1921-1999) nous donne à voir mais aussi à entendre des tranches de vies puisque la poésie en général et la sienne en particulier ne s’apprécie pleinement que dite de vive voix.

    Un des grands intérêts de son écriture est la simplicité au sens où il transmets à son lecteur, avec une grande économie de mots, une sorte de flash et le laisse libre de graver dans sa mémoire cette impression fugace ou de l’oublier. On y lit le quotidien dans son immédiateté, presque rustique et surtout sans fard, c’est une vision discrète et fugitive du monde qui l’entoure, à l’image de ses dessins et peintures qui ornent les couverture de ses recueils, avec une prédilection pour les gens simples, amis ou voisins qui le peuplent et nourrissent son œuvre, de préférence aux plus aisés qui lui semblent avoir moins d’intérêt, être moins authentiques. Il nous la transmets telle qu’il la voit, spontanément mais non sans la dimension critique que lui inspire l’espèce humaine dans ce qu’elle a de tragique, de comique ou d’indigne, d’inintéressant. En cela il fait un choix. sans recherche de vocabulaire ni construction prosodique, en prose brute, une manière d’illustrer ce mot de Victor Segalen « Voir le monde et l’ayant vu, dire sa vision».

    On peut y voir la tentation de la facilité, on a même parlé de simplisme, mais à mon sens, c’est plutôt la verbalisation de son émotion intime et celle qu’il souhaite faire naître chez son lecteur devenu son complice. C’est l’envie d’écrire qui prévaut, de faire danser les mots, de fixer une impression ou une idée, de la confier au fragile support du papier, d’y laisser une trace pour lui d’abord et surtout pour un improbable lecteur. Il écrit aussi pour être lu par tous ceux qui voudront bien lui prêter un peu d’attention mais pas pour une élite intellectuelle. On peut y lire la solitude qui est inhérente à la condition humaine mais qui fait tellement partie de la vie mais aussi la sollicitude du regard qu’il porte sur ses semblables, l’attention et l’intérêt qu’il leur témoigne.

    L’homme était simple et menait une vie retirée loin des mondanités. Il se aimait se promener à pied, pêcher à la ligne dans ce Marais Poitevin qu’il appréciait pour sa douceur, son silence et son mystère, loin de la foule des gens pressés, mais cela n’excluait ni les voyages ni les amitiés solides, celle du linguiste Georges Mounin et du poète René Char. Des poèmes attestent d’une rencontre, d’un moment ... Il recevait toujours ses invités avec cordialité malgré une surdité bien réelle mais qui ne l’handicapait pas outre mesure.

    Ce que je retiens après chacun de ces courts textes, c’est la mélodie des mots, pas une symphonie de couleurs et de sons mais au contraire des images tissées à petites touches pointillistes ;

    Godeau reste un poète injustement oublié.

     

     

  • Les partisans

    N°1754 – Juin 2023

     

    Les partisans – Dominique Bona – Gallimard

    Ce titre n’est pas pris au hasard puisque Joseph Kessel et Maurice Druon sont les deux auteurs du « Chant des partisans » dont la musique est due à Anna Marly, française d’origine russe. Il symbolise cette douloureuse période de l’histoire de notre pays dont il faut se souvenir parce que des gens sont morts pour que soyons libres et parlions le français. Ce sont aussi deux « hommes de Lettres », à la fois semblables et différents, oncle et neveu par filiation naturelle et que vingt ans séparent, ils sont unis par cet amour de la France, par leur envie de se battre pour elle et par cette irrésistible envie d’écrire, de porter témoignage. Ils seront tous les deux académiciens. Kessel, « Jef », a créé avec son neveu, français malgré un état-civil quelque peu bousculé, des liens quasi-filiaux en accompagnant premiers essais littéraires. Au cours de ce voyage pyrénéen à destination de Londres, ils sont accompagnés d’une femme, Germaine Sablon, une des nombreuses compagnes de Kessel, célèbre chanteuse de variétés qui sera une courageuse ambulancière de la « France libre », accompagnant des troupes alliées depuis l’Italie. Elle sera aussi, plus tard, l’interprète du «Chant ». Les quelques détails de sa vie présents dans cet ouvrage sont passionnants et mériteraient un développement plus grand sous la forme d’une biographie.

    Ainsi commence cette évocation. Kessel, fils d’émigré juif d’origine russe, fait partie de ces étrangers qui ont choisi de défendre la France, pays de la liberté et des Lumières, contre la barbarie nazie. Il redeviendra aviateur, officier dans la RAF sous les couleurs de la France, grand reporter à la fin des combats puis de romancier et scénariste. Druon se transformera en correspondant de guerre puis à la Libération en homme de plume. Leur complicité littéraire est fructueuse, leur amour de la vie intact, leur regard sur les femmes est différent comme celui qu’ils portent sur la religion, Maurice est catholique, sur les origines sociales et ethniques, sur la famille, sur le style de vie, sur les fréquentations, mais chacun garde sa personnalité, son style d’écrivain. Le prix Goncourt que son oncle n‘aura jamais vient consacrer le talent d’un Druon trentenaire, plus bourgeois voire aristocrate qui plus tard sera le ministre jupitérien des Affaires culturelles de Pompidou puis député et Kessel reste lui un auteur à succès. Il est grand reporter, conteur, aventurier, globe-trotter, amateur de whisky, à lui les paysages bruts et les conflits du monde, à son neveu l’harmonie de l’Europe, la tempérance contre l’irrationnel et l’imprévu, l’Afghanistan contre la Grèce, le témoignage contre l’épopée. Les deux hommes poursuivent leur chemin dans un respect réciproque, donnant ensemble à leurs lecteurs l’émotion et le plaisir de partager leur talent. L’auteure se livre a une analyse détaillée et pertinente de leur deux modes d’écriture, un véritable travail de critique littéraire. Elle est aussi attentive à des détails anodins mais révélateurs à propos de leur entourage ; les mauvaises langues pourraient y voir quelques velléités de dénigrement mais ce n’est en réalité qu’une façon de remettre les choses à leur vraie place.

    Deux personnalités différentes donc, deux parcours mais un seul amour du pays et de l’écriture, deux monuments de la littérature né dans un période bouleversée de notre histoire. La Camarde les a emportés, « Jef » d’abord, d’un coup, puis Maurice.

    J’ai toujours plaisir à lire Dominique Bona, depuis son roman « Argentina » jusqu’aux différentes biographies dont elle est l’auteure, non seulement à cause du style fort agréable à lire qui m’a toujours attiré, mais aussi de la précision et de la richesse de la documentation qui font de chacune d’elles un document exceptionnel de référence. Son travail ne m’a jamais laissé indifférent. Elle déroule la saga familiale de ces deux géants de la littérature qui ont traversé leur époque parfois mouvementée en y laissant leur marque. C’est l’apanage des êtres exceptionnels que de laisser ainsi une trace pour les mortels que nous sommes. Elle dissèque leurs similitudes, leurs différences, explique leurs prises de position au regard de leur personnalité, de leurs convictions. Cela a été non seulement un moment passionnant de lecture mai aussi l’occasion d’en savoir davantage sur ces deux écrivains majeurs.


     

  • Stefan Zweig

    N°893– Avril 2015

     

    STEFAN ZWEIG – Dominique Bona – Perrin.

     

    D'emblée l'auteure définit Zweig comme un mystère. Comment se fait-il que cet écrivain talentueux des années trente, grand bourgeois cultivé, polyglotte, sensible et discret au point de ne pas s'engager, citoyen du monde, continue-t-il de tant fasciner les lecteurs ? Est-ce la noirceur de son œuvre qui se marie si bien avec notre époque tourmentée ou l'espoir d'une amélioration reste possible ?

     

    Quand il naît en 1881à Vienne, la ville comme le pays est multiethnique et cosmopolite. Fils d'un industriel juif mais élevé dans la laïcité il se prépare à une vie facile en rêvant de sa vocation d'écrivain. A l'époque Vienne est une ville paisible et musicale, carrefour de toutes les cultures mais une cité immobile mais le jeune Stefan est impatient de vivre. Étudiant il réside à Vienne puis à Berlin où il connaît la vie de bohème bien qu'il ait toute sa vie été rentier et à l'abri du besoin, renonce temporairement à son œuvre pour devenir traducteur, voyage aussi en Europe où il rencontre les grands esprits de son temps avec qui il se lie d'amitié. Il renoue pourtant avec l'écriture et c'est d'emblée le succès. Ce début de siècle est marqué par le progrès et Sweig s’enthousiasme pour la vie et pour la paix. C'est un européen et un pacifiste convaincu mais déjà la guerre couve. Il écrit pour le théâtre, a de nombreuses secrètes et éphémères liaisons amoureuses. C'est un bel homme, distingué qui tombe amoureux d'une femme mariée, Friderike, mère de famille et romancière qui divorce pour lui et qu’il épouse dans des conditions pour le moins originales. Il en divorcera en 1938 pour épouser Lotte, sa cadette de 27 ans. Même s'il considère la femme comme un apaisement autant qu'un plaisir, il la craint, la considère comme une tentatrice qui profite de la naïveté des hommes, la compare au serpent de la Bible. Il n'en a pas moins, tout au long de sa vie, de nombreuses et éphémères liaisons amoureuses avec des amantes de passage. Pourtant les femmes dont il parle dans toute son œuvre, ne lui porteront pas bonheur. Pour autant il refusera de donner la vie, d'être père.

     

    La guerre qui éclate va d'abord remettre en cause son idéal européen de paix puis au fur et à mesure, l'affermir et aiguiser sa lucidité politique. Déclaré inapte au service, il s’engage quand même dans une unité de vétérans chargée de la propagande mais le conflit fait voler en éclats à la fois son idéal de paix et ses amitiés étrangères. Il condamnera finalement cette guerre fratricide et criminelle. A la fin du conflit, il devient biographe, rencontre Freud qui aura dans son œuvre créatrice une importance déterminante. Le nazisme qu'il perçoit rapidement menace la paix en Europe et l'Anschluss achève ce qui lui reste d’illusions, il perd sa nationalité, et même s'il a un passeport anglais, il reste un juif errant et se réfugie au Brésil où il met fin à ses jours en compagnie de sa femme. Même s'il doute de lui en permanence, il est un écrivain adulé qui aime la vie et son travail, mais qui n'oubliera pas d'aider les jeunes auteurs. Il voyage dans le monde entier mais la littérature commence un peu à le fatiguer au point qu'il songe à l'abandonner.

     

    Cet ouvrage remarquable, richement documenté et fort bien écrit, comme toujours chez Dominique Bona, éclaire d'un jour nouveau cet auteur majeur qui a toujours été pour moi énigmatique. En ce qui me concerne je suis toujours interrogatif à la fois sur le destin de cet homme et sur sa mort. Lui qui choisit volontairement de ne pas s'engager, finit toujours par prendre position, ne serait-ce qu'intellectuellement[Peut-on vivre sans s'engager?]. Est-ce au nom du plaisir ou du refus de responsabilités qu'il refuse de donner la vie, de ne pas avoir de descendance ? Je suis toujours étonné voire bouleversé par le destin de ceux dont la vie s'arrêtera avec eux, qui n'auront, volontairement ou pas, personne après leur mort pour honorer leur mémoire [il est vrai que son œuvre suscite largement ce mouvement]. Sa mort aussi m'interpelle dans la mesure où elle a été volontaire , lui qui avait tout. Était-il à ce point désespéré qu'il décidât d'en finir alors que la Thora dont il ne respectait pas cependant pas les préceptes et la simple morale interdissent le suicide ? Pourtant, bien qu'il soit foncièrement laïc, la judéité baigne son œuvre. S'est-il senti trahi par son époque, par ses amis, par ses idéaux, la vie s'est-elle vengée de lui avoir trop donné, refusait-il simplement de vieillir(il a 60 ans en 1942) , l'être sensible qu'il était avait-il besoin d'un soutien  que sa deuxième épouse, malade chronique, ne sut ou en put pas lui donner ? Interrompre ainsi délibérément un parcours aussi exceptionnel est un geste, un engagement intime qui m'interpellent chez cet amoureux de la vie !

  • sur la dalle

    N°1753 – Juin 2023

     

    Sur la dalle - Fred Vargas – Flammarion.

    Cela fait des années que je lis et apprécie Fred Vargas. Son dernier roman ne pouvait donc échapper à ma lecture attentive.

    Louviec, petit village breton a la particularité d’avoir son fantôme, celui du Comte de Combourg mort en 1709, unijambiste. Après un long silence on entend à nouveau dans les rues la nuit le bruit de son pilon et de sa canne sur les pavés ainsi que les miaulements du chat qui l’accompagne. Il a aussi une autre particularité, celle d’abriter Josselin de Chateaubriand, dit « le vicomte », un descendant de l’auteur des « Mémoires d’outre-tombe », copie conforme de son ancêtre et qui constitue une attraction touristique du lieu. L’ennui c’est que deux meurtres ont été commis à Louviec, avec pour seul point commun de fraîches piqûres de puces sur les victimes, ce qui constitue une piste pour le commissaire Adamsberg qui, parce qu’il a antérieurement mené à son terme une enquête compliquée dans la région est amené à s’occuper de cette affaire en collaboration avec Matthieu, le commissaire local. Tous les soupçons se portent sur Josselin qui proteste de son innocence. Tout l’accuse, en effet, à l’exception du mobile.

    Les assassinats se multiplient avec toujours un contexte un peu ésotérique qui convient bien à la Bretagne, terre de légendes. Il est aussi question de vieilles histoires d’adultères avec avortements, de luttes qui remontent à l’école primaire, de modus operandi à l’arme blanche, commun à chaque meurtre, une histoire un peu fumeuse d’héritage avec faux testament et retour au pays, depuis les États-Unis, d’un minable petit caïd qui règne sur une bande de tueurs, d’œufs plus ou moins fécondés, de piqûres de puces, le décryptage hasardeux des dernières bribes de paroles de certaines victimes, le rapt d’un enfant, le tout enveloppé dans les agapes dispensées par l’aubergiste local et arrosées de chouchen... En réalité, les indices sont bien minces, les impasses nombreuses, les supputations hasardeuses et nos commissaires un peu dubitatifs. J’ai eu le sentiment que ça partait un peu dans tous les sens et je m’y suis même un peu perdu.

    J’ai aussi un peu regretté quelques incohérences. Certes la Bretagne est une terre de tradition qui accueille les superstitions les plus folles, mais quand même. En outre, pour un petit ville de 500 habitants qui en principe se dépeuple, je trouve qu’il y a beaucoup de commerçants et finalement pas mal d’animations… L’exiguïté de l’église m’a aussi paru étonnante dans ce pays voué aux calvaires et aux processions. Quant à l’intuition d’Adamsberg à la fin qui tient de la pirouette pour le moins inattendue, même si elle doit beaucoup aux dolmens et à leur symbolique mortuaire, j’ai eu quand même un peu de mal. Son interprétation psychologique, pour brillante qu’elle soit m’a semblé artificielle et seulement de nature à clore ces investigations au soulagement de tous les enquêteurs. 500 pages pour cela, ça m’a paru beaucoup. Le déplacement d’Adamsberg laisse la brigade parisienne aux mains du commandant Danglard et son absence dans cette enquête, sa personnalité et surtout sa grande érudition m’ont aussi un peu manqué,

    C’est toujours un plaisir de lire Fred Vargas, surtout après un silence de six années mais je n’ai pas tout à fait retrouvé l’intérêt de j’avais eu à la lecture de ses précédents romans. Je l’ai pourtant lu jusqu’à la fin, mais, le livre refermé, je reste sur une déception.


     


     


     

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  • En direct de la morgue

    N°1752 – Juin 2023

     

    En direct de la morgue – Michel Sapanet - Plon.

    Sous ce titre peu engageant, digne d’un polar, l’auteur, également médecin- légiste, évoque son métier qui l’amène parfois à faire entrer son lecteur dans une dimension insoupçonnée, témoin le récit ouvrant ce qu’on peut appeler ce recueil de nouvelles, qui tient davantage du « Jugement de Dieu »médiéval que de la science, mais pourquoi pas ? Le Docteur Sapanet, que rien ne prédisposait à l’écriture, y est arrivé un peu par hasard et ce métier d’expert judiciare, assez loin de ses rêves de carabin, s’est aussi imposé à lui. Vous avez dit destin ?

    Voilà donc son quatrième opus où il invite son lecteur à plonger à sa suite à la fois dans les turpitudes humaines et dans un domaine qui nous inquiète et nous fascine par le mystère qu’il porte en lui, la mort. Il est en effet un maillon essentiel de la justice et lui apporte ses lumières en faisant parler les morts qui en principe sont muets, dénoue le vrai du faux, distingue un suicide d’un assassinat, participe à la manifestation de la vérité en remettant éventuellement en cause la sacro-sainte « présomption d’innocence » qui protège les criminels. En effet, pour ceux qui sont mis en examen par l’autorité judiciaire, il y a non seulement une privation de liberté avec tout ce qu’elle implique mais aussi l’opprobre d’être un repris de justice. Quand le légiste intervient c’est à la demande des magistrats parce que la Camarde a fait son office tout en laissant derrière elle des interrogations qu’il sera chargé d’éclaircir. C’est en effet du grand art de révéler les derniers instants du mort et de combattre les évidences. De ses conclusions dépendront les orientations des investigations des enquêteurs et les suite d’un éventuels procès

    Le mouvement qui caractérise la vie est rassurant et l’immobilité d’un corps suffit à provoquer chez nous une réaction d’angoisse qui est souvent motivée par la peur de la mort et il n’y a gère que le sommeil, par son côté réparateur , apaisant et temporaire qui nous fait accepter cette inertie. La mort a quelque chose de révoltant non seulement parce qu’elle interrompt, parfois violemment ou douloureusement, le cours de la vie mais aussi parce qu’elle porte en elle une charge de secrets et de mystères que les religions, avec plus ou moins de succès, s’efforcent d’atténuer. Elle nous rappelle, par sa marque même, que nous ne sommes que de passage, victimes de notre commune condition humaine, simples usufruitiers de notre vie qui peut nous être enlevée sans aucun préavis, ce qui devrait relativiser les choses. C’est en tout cas pour lui, à chaque fois, l’occasion d’approcher les turpitudes humaines que des générations de philosophes naïfs ont voulu nous faire oublier. L’agressivité qui habite chacun d’entre nous, heureusement pas toujours mise en œuvre, témoigne de notre volonté de supprimer d’une manière ou d’une autre un concurrent gênant. Le climat de violence qui anime nos sociétés depuis la nuit des temps et qui se manifeste actuellement avec plus d’acuité, en témoigne.

    Il n’empêche, il a une position privilégiée pour observer cette nature humaine peu fréquentable et qui déroule devant ses yeux ses énormes possibilités de nuisance, depuis la simple auto-permissivité jusqu’au crime, en passant par le vice, les pratiques sado-maso… l’imagination des délinquants n’a d’égal que leur volonté de nuire à leur prochain.

    Certes, à l’inverse de ses malades que le praticien soigne, les clients (une sorte très particulière de patients) du docteur Sapanet ne se plaindront guère, nonobstant ce qu’il leur fait subir. Ce contexte de morbidité permanente doit quand même avoir quelque chose de déprimant pour lui. Il y a certes l’habitude et la routine qui lui permettent de s’extraire d’une réalité quotidienne qui bouleverserait le commun des mortels, les nécessités d’un métier qu’il aime et qui est indispensable à la justice, mais quand même. Apparemment notre auteur y oppose l’écriture qui est un formidable moyen d’exorcisation. Ce ne sont, pourrait on dire, que du vent, que des mots, mais leur pouvoir cathartique est une réalité d’autant plus efficace qu’ils se teintent d’humour qui est une manière supplémentaire de nous faire accepter la noirceur des choses de cette vie qui, dans son domaine, est bien réel. Oui, rire (ou sourire) des choses au lieu de se laisser aller à en pleurer est aussi une arme efficace ! Il y ajoute l’art culinaire dont le résultat est un des plaisirs de cette vie, même si cuisiner des viandes est aussi rester d’une certaine manière, dans le domaine de la mort, celle de l’animal qu’éventuellement il chasse. Cela ne l’éloigne pourtant pas beaucoup de son métier puisque que, la cuisine étant aussi de la chimie, les réactions qui se manifestent post-mortem remettent souvent en cause les évidences policières. Et puis son imagination est sans limite quand il se projette dans un avenir peut-être pas si lointain qui ressemblerait, comme il le dit, à une « médecine légale 2,0 » qui allégerait ses tâches mais menacerait son poste.

    Ce n’est pas la première fois que je lis Michel Sapanet dont je goûte avec plaisir son style et sa façon de montrer les choses qui, au départ se présentent assez mal, un peu comme le titre peu engageant de ce livre. Il y a certes l’aspect technique auquel je suis complètement imperméable mais j’y ai retrouvé cet humour né parfois de situations inattendues qui bien souvent dans nos vies nous aide à en supporter les vicissitudes et les épreuves et cela a été pour moi un bon moment de lecture.


     

  • Bestiaire

    N°1751 – Juin 2023

     

    Bestiaire – Paul Léautaud – Grasset.

    Dans sa chanson « Don Juan » Georges Brassens conjugue les accords de sa guitare avec ces deux vers « Gloire au flic qui barrait le passage aux autos pour laisser traverser les chats de Léautaud » C’est sans doute ce qui m’a fait ouvrir ce livre, autant que mon attachement à la gent féline. C’est un ouvrage composé à partir des éléments de son fameux « Journal » et consacrés aux animaux qu’il chérissait mais qu’il avait lui-même supprimés . Ces textes, publiés dans leur intégralité sont présentés chronologiquement, de 1908 à 1926 et évoquent les lieux où l’auteur à résidé en même temps que l’histoire fugace de ses bêtes dont il préférait la compagnie à celle des hommes. Ce sont souvent des animaux errants, abandonnés ou perdus, chats ou chiens, recueillis par lui pour leur éviter la fourrière ou simplement nés chez lui ou nourris et placés chez des Parisiens des faubourgs populaires. Il est même devenu un référant en matière de placement et son jardin s’est petit à petit transformé en cimetière animal (300 chats et une centaine de chiens selon Marie Dormoy, femme de Lettres, critique d’art, ancienne compagne de Léautaud et sa légataire universelle). Il déplore les sévices que leur infligent certains humains, désapprouve la vivisection et dénonce aussi les mauvais traitement infligés aux chevaux malgré le service essentiel qu’ils rendent, ce qui trahit une facette peu reluisante de l’espèce humaine qu’il a toujours fuit.

    La vie de Leautaud (1872-1956) n’a pas été facile, de l’enfance à l’âge adulte et il s’est sans doute libéré de toutes les épreuves subies à la fois par l’écriture et par la fréquentation de la gent animale qui partage notre vie mais que bien souvent nous ignorons, une manière comme une autre de nourrir sa misanthropie d’écrivain maudit et de marginal. Cette posture n’a pas été qu’une façade, bien au contraire, il était généreux et authentique puisqu’il sacrifiait bien souvent sa propre nourriture, ne comptant ni son temps ni son argent au profit de ses protégés, regardés par lui comme meilleurs que les hommes. En 1907 il négligea même de terminer un roman destiné au jury Goncourt... pour s’occuper d’une chatte. Il ressentait du chagrin et même de la culpabilité quand la mort s’emparait de l’un d’eux.

    Cet autodidacte a laissé de lui une image un peu ridicule, mal vêtu, vivant pauvrement, coléreux, angoissé, aux amours chaotiques, difficiles et blessées, célèbre pour sa mordacité critique, sa recherche de l’absolu, son indépendance d’esprit, sa soif de liberté qui ont fait de lui un être irrémédiablement seul. Il a peu publié (son Journal littéraire n’a été publié que dans les dernières années de sa vie puis après sa mort), n’a été connu que tardivement vers 1950, grâce à la radio, et préférait écrire ce qu’il voulait, et pour cette liberté accepta, au « Mercure de France », un emploi mal payé de chroniqueur. Son « Journal littéraire » qu’il rédigea en secret ne fut vraiment connu qu’après sa mort.

    Le style qui le caractérise est fluide, dépouillé, sans fioriture, facile à lire, une sorte de mélange d’écriture et d’oralité mais le texte, né de sa volonté de sauver le maximum d’animaux, est quelque peu répétitif.

    Ce bestiaire témoigne de son attachement de toute sa vie aux animaux, de son combat contre leurs souffrances, avec le regret de se voir vieillir et mourir et ainsi de devoir lâcher prise « Il n’est tout de même pas gai de penser qu’on mourra un jour , sans avoir rien pu changer à toutes la souffrance qu’on aura vu autour de soi ».

  • la voix

    La femme en vert

       

    La Feuille Volante n°1037– Avril 2016

    LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.

    Traduit de l'islandais par Eric Boury.

    Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage  ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?

    Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.

    Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

     
         
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    Commentaires

    • Laurent Séverine
      • 1. Laurent Séverine Le 20/05/2023
      Tu ne déflores pas tout, super !
      Je lis en ce moment « La Voix » et ça me donne peut-être envie d’en lire un autre
      Fan de Sigurdardóttir, je suis venue à Indridason après mon treck en Islande et sa terre aride, ou rien ne pousse si ce n’est que de la mousse, pendant les qqs semaines sans neige
      As tu lu La Voix ?

  • La femme en vert

    La Feuille Volante n°1037– Avril 2016

    LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.

    Traduit de l'islandais par Eric Boury.

    Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage  ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?

    Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.

    Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La voix

    La voix – Arnaldur Indridason – Métaillé.

    Traduit de l’islandais par Eric Boury.

     

    Si le commissaire Erlandur croyait encore au Père Noël, ce qu’il a vu dans ce débarras d’un grand hôtel de Reykjavikl en ce matin d’hiver a dû lui mettre un sacré coup. Le Bonhomme rouge assassiné d’un coup de couteau dans le cœur, dans un sous-sol, le pantalon sur les chevilles, un préservatif imbibé de salive pendouillant entre ses cuisses… Pour la magie de Noël, on repassera ! Plus prosaïquement, Gudlaugur, la victime, était depuis vingt ans portier, en instance de licenciement, dans cet établissement. L’enquête s’annonce plutôt mal pour le commissaire et Oli, son adjoint, ça part dans tous les sens, on parle de prostitution, de drogue, du passé prometteur de la victime, d’homosexualité, de pédophilie, de solitude, de deuil, de difficiles relations parents-enfants, d’enfance sacrifiée, de déceptions, de solitude, de « promesses de l’aube » qui se transforment en catastrophes du soir, de l’implacable destin... Il est surtout question de l’éternel problème des parents qui reportent sur leur enfant leurs velléités d’une réussite qui s’est dérobée à eux ou qu’ils avaient patiemment tissée et dont la faillite devient insupportable au point qu’ils se désintéressent de leur progéniture.

    J’ai retrouvé le commissaire Erlandur, comme une vieille connaissance croisée il y a longtemps et un peu oubliée (« La femme en vert »). Il est toujours aussi gourmand, a toujours les même problèmes personnels avec sa fille droguée et son fils alcoolique mais fait ce qu’il peut, depuis son divorce déjà lointain et difficile qu’il se reproche, pour s’en rapprocher et les aider. C’est une homme honnête, déprimé et seul qui fait son métier du mieux qu’il peut, mène une recherche laborieuse, pleine de conjectures hasardeuses avec la découverte de magouilles, de secrets, de tabous, de mensonges, avec en arrière-plan une autre enquête qui traite aussi de problèmes familiaux. Il reste marqué par le traumatisme et la culpabilité nés de la mort de son frère alors qu’il était encore un enfant et cette enquête est aussi pour lui l’occasion de remonter le temps avec nostalgie. J’ai apprécié qu’il n’y ait pas trop de sang ni trop de sexe ce qui est souvent le cas dans ce genre de roman mais aussi que l’auteur insiste sur de nombreuses facettes de notre espèce humaine, décidément bien peu fréquentable.

    Dans le paysage littéraire islandais, Arnaldur Indridason est reconnu comme l’auteur de polars. Ici, il y a certes un contexte policier avec cadavre, enquêteurs, investigations, ambiance triste avec neige et froid malgré des préparatifs festifs de Noël auxquels notre commissaire reste étranger et je l’ai plutôt lu comme un roman psychologique, certes noir, mais aussi une étude de personnages qui, comme celui d’Erlandur est devenu plus attachant que lors de ma lecture antérieure.

     

  • Dans la foule

    N°1749 – Mai 2023

     

    Dans la foule – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Les faits sont connus de tous puisqu’ils se sont inscrits, en ce 29 mai 1985, dans la mémoire collective. Nous sommes au stade du Heysel à Bruxelles pour le match de football entre la Juventus de Turin et Liverpool. Avant le commencement de la rencontre, les hooligans anglais envahissent la tribune des Italiens. La bousculade fait 39 morts et plus de 400 blessés.

    Laurent Mauvignier s’empare de cet épisode pas très glorieux pour le football mais révélateur de nos sociétés et met en scène des personnages venus de France, de Grande Bretagne, d’Italie et de Belgique qui vont se croiser et prendre la parole en monologues. Tana et Francesco, des Italiens, sont en voyage de noces, de passage à Bruxelles et ne veulent pas manquer la rencontre. Lui sera tué en protégeant sa femme qui ensuite perdra pied dans l’alcool, la drogue, le sexe... Gabriel et Virginie sont belges et veulent assister au spectacle mais se font voler leurs billets par Jeff et Tino, des Français opportunistes et roublards qui seront blessés mais s’en sortiront, Goeff accompagne ses frères, Dough et Huggie, deux brutes, supporters de Liverpool. Trois ans plus tard Jeff et Tino, rongés par le remords, veulent retrouver Tana en Italie. Aucun des survivants n’est sorti indemne de ce désastre.

    Ce triste épisode met en évidence le mouvement hooligans qui a bouleversé durablement les stades et il a fallu du temps aux autorités pour réagir et prendre des mesures pour le faire cesser. J’observe que cette volonté gratuite de détruire n’est pas du tout éteinte et que notre société actuelle en est fortement affectée. Ce qui aurait dû être un moment convivial, une communion autour d’une rencontre sportive a été gâté par la violence que porte en lui chaque être humain qui ainsi révèle sa vraie image et qui peut se réveiller à tout moment, surtout quand cela est amplifié par le phénomène d’hystérie collective. La foule a en effet ce pouvoir de modifier fondamentalement les réactions individuelles. La mort peut frapper sans préavis, quand on s’y attend le moins. Je ne suis pas bien sûr non plus que cela soit en passe de se calmer quand on assiste aux agressions en tout genre, à toutes occasions et dans tous les milieux dont notre époque est le théâtre. Le principe du « vivre ensemble », de la solidarité, qui sont louables, me semblent de plus en plus réduits à l’état de concept dans la mesure où chacun considère de plus en plus que tout lui est permis.

    Je ne suis pas fan de football mais il faut bien noter que les autorités ont laissé jouer le « match du siècle »(1-0 pour Turin) malgré le drame, sans doute pour des raisons bassement financières. L’argent a continué à pourrir ce sport surtout si on considère l’attribution de la dernière coupe du monde… au Quatar. Je ne suis pas bien sûr non plus que les valeurs dont on nous rebattu les oreilles pendant des décennies sortent renforcées de cette collusion politico-financière (et pas seulement).

    Dans ce texte à plusieurs voix, chaque personnage prend la parole, dévoilant sa personnalité, ses états d’âme, ses regrets, ses remords, ses obsessions, ses délires. L’écriture est volontairement hachée pour souligner l’horreur du drame. D’ordinaire, découvrir un roman de Mauvignier est pour moi un bon moment. Ici, j’ai eu un peu de mal à le suivre. Pourtant, à mes yeux, le rôle de l’écrivain, et de l’artiste en général, est aussi d’être le miroir de son époque.

  • Une vie à coucher dehors

    N°1748 – Mai 2023

     

    Une vie à coucher dehors- Sylvain Tesson- Gallimard.

     

    Avec cette expression qui s’applique le plus souvent au nom (« un nom à coucher dehors » qui signifie avoir un drôle de patronyme) l’écrivain-voyageur décline, tout au long de 15 nouvelles, un concept qu’il connaît bien puisque c’est celui de la nature qu’à ses yeux il faut respecter parce que ceux qui veulent en contourner les règles vont droit à l’échec (l’asphalte). Il considère que le destin obéit également à cette loi et qu’il est vain de vouloir s’y opposer (le bug). Pour illustrer son propos il emmène son lecteur de la Sibérie à Mexico, des États-Unis à l’Écosse et au cours de ce voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, il tricote un texte où la fiction le dispute parfois à la vraisemblance, tant il est vrai que cette nature qui nous entoure et dont nous sommes les hôtes bien souvent indélicats à son égard, se venge en faisant valoir ses droits à la survivance et même à une sort de justice (le lac). Cette dimension n’exclut évidemment pas le rêve et ses illusions qui nous aident à supporter la réalité du quotidien avec ses injustices, ses hasards malheureux et grâce auxquels on se redessine pour un temps un autre univers (la particule, la fille) ou la simple chance de profiter de moments fugaces tressés par la bonne fortune (le glen) . Parfois les choses reviennent à leur vraie place, celle qu’elles n’auraient jamais dû quitter si l’inconséquence et la cupidité des hommes n’étaient passées par là (la chance) et avec elles le respect du cycle de la vie (le naufrage).

    Voyager c’est faire usage de sa liberté et la mer offre à ceux que l’aventure attire un espace où se conjuguent l’odeur de l’iode, le scintillement des vagues, la légèreté du vent qui gonfle la voile... Pour eux se priver de cette opportunité c’est renoncer au sens de leur vie qui est unique, dussent-ils pour cela tout quitter, leur famille, leur maison, leur travail...

    Voyager permet d’observer le monde, de porter sur lui un regard critique, d’en apprécier la civilisation mais surtout d’en déplorer les injustices. Cette prise de conscience d’un environnement humain qui devient de jour en jour plus méprisable, fait que ses personnages fuient la foule, les autres, au point de rechercher et même de désirer la solitude (le phare, le courrier) comme un authentique art de vivre. Partager son existence avec autrui, ce qui semble être la règle aujourd’hui, le vivre ensemble dont on nous rebat les oreilles, suscite aussi les pires attitudes qui peuvent facilement aller jusqu’au meurtre, c’est à dire jusqu’à l’autorisation qu’on se donne à soi-même de disposer de la vie d’un de nos semblables, fût-il un proche.

    Donc « une vie à coucher dehors » oui, mais seul !

    Le voyage auquel il nous convie nous invite à observer les paysages parfois hostiles (le phrare), depuis les glaces de Sibérie (le lac)jusqu’aux tempêtes naufrageuses des îles inconnues (le courrier), parfois unique comme la couleur bleue, mystérieuse et insondable de la Mer Égée (la crique). C’est l’occasion de descriptions poétiques qui caractérisent si bien le style de notre auteur et qui à chaque fois retiennent mon attention et mon intérêt de lecteur.

     

     

     

  • Vivre vite

    N°1747 – Mai 2023

     

    Vivre vite – Brigitte Giraud – Flammarion.

    Prix Goncourt 2022.

     

    Avec ce roman Brigitte Giraud évoque la perte de son compagnon, Claude, mort il y a vingt ans d’un accident de moto. Elle s’apprête à vendre la maison qu’ils avaient achetée ensemble dans la région de Lyon et dont il n’a pas eu le temps de profiter. Ce roman est un acte de mémoire, un exercice d’exorcisme que permet l’écriture et le temps a mûri ce texte qui agit comme un exutoire. Elle analyse tous les moments qui ont précédé le drame où sa vie a basculé, remonte le temps, analyse les faits dans leur moindre détail, les redessine dans une longue série de « si » qui traduit la colère, la culpabilité, l’obsession de cet amour disparu trop tôt et qu’elle conjure par l’uchronie. En sort-elle libérée, apaisée, quand, au terme de sa démarche littéraire elle avoue « rendre les armes » ? C’est la une grande interrogation au regard de l’écriture. Perdre un être cher, l’amour de sa vie, est un drame dont on ne sort jamais indemne surtout quand cela arrive au moment où on s’y attend le moins, où l’avenir se dessinait sous les meilleurs auspices. On refuse alors d’y croire jusqu’à ce que l’évidence s’impose dans toute son horreur. On refait le chemin à l’envers, à s’en donner le vertige, avec sa cohorte d’interrogations qui resteront à jamais sans réponse.

    J’ai toujours eu, à titre éminemment personnel, face à un tel événement, la même interrogation faisant mal la part des choses au regard du phénomène de l’écriture qui en même temps fixe les choses et apaise peut-être celui qui écrit. La réponse qui s’est imposée à moi, longuement élaborée et remise en question, s’est révélée fluctuante, entre la résilience naturelle de l’être humains, le temps qui passe et qui retisse le souvenir, la tentation dérisoire de vouloir remonter le temps, l’extraordinaire pouvoir de vie des êtres vivants, le hasard… L’écriture est un échec à l’oubli auquel nous sommes tous voués. La démarche de notre auteure impose le respect et traduit pour son fils ce qu’a représenté cet homme pour elle en même temps qu’elle conforte pour lui l’image de ce père mort trop tôt, même si sa disparition fige son image définitivement dans la jeunesse et la beauté. On se révolte légitimement contre le déroulement des faits, la malchance, l’inconscience, la négligence, l’imprudence, la recherche d’une certaine ivresse que procure la vitesse, la mort, surtout quand elle vient interrompre le bonheur qui emplit notre vie, quand elle brise trop tôt un parcours qui ne demandait qu’à se dérouler passionnément. Elle est la marque de notre condition humaine qui n’est pas non plus vouée à la justice, à la douceur, à la chance. On se raccroche à des signes, à d’étranges coïncidences où on veut absolument voir un sens... Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée à tout moment, surtout quand nous y attendons le moins.

    J’avoue quand même que j’ai eu un peu de mal à la suivre, que j’ai été un peu gêné par la série incantatoire des « si » dont certains ne me paraissent pas justifiés au regard de la logique. J’ai trouvé dérisoire la tentative de vouloir refaire cette série d’évènements qui, comme tout ce qui concerne notre vie, entre hasard et destiné, est prévu à l’avance et se produira malgré nous, sans que nous y puissions rien, surtout si, à ce moment précis, la Camarde est en embuscade. J’ai trouvé anachronique cette culpabilité inspirée par cette religion judéo-chrétienne qui nous oblige à nous accuser de quelque chose dont nous ne sommes pas responsables et qui nous maintient ainsi, depuis des siècles, dans un état de dépendance au regard d’une hypothétique démarche de rachat de péchés pas encore commis. Ainsi sommes nous amenés, après la mort d’un proche, à nous demander si telle attitude, telle réflexion antérieures de notre part n’auraient pas été la cause des événements et nous en concevons des remords qui bouleversent notre vie pour longtemps, jusqu’à l’obsession. Cette attitude va même jusqu’à nous faire reproche d’être nous-mêmes encore en vie.

    L’histoire est attachante, émouvante, intime, le style est fluide, facile à lire.

     

     

     

  • S'abandonner à vivre

    N°1746 – Mai 2023

     

    S’abandonner à vivre – Sylvain Tesson – Gallimard.

     

    Qu’il choisisse d’évoquer la rencontre cocasse d’un mari cocu avec l’amant, escaladeur de façades, de sa femme, qu’il nous parle de la fin tragique d’une mission britannique au Pôle ou qu’il dénonce avec délectation les Russes, leur addiction à la fornication et à la vodka ou la beauté et la sensualité de leurs femmes, Sylvain Tesson ne se départit pas de son style alerte et jubilatoire où les descriptions poétiques le disputent à la qualité de sa documentation, ce qui donne pour son lecteur un texte facile à lire et dont il se délecte jusqu’à la fin. A lire ses nouvelles il semble avoir un particulier attachement à la montagne et à l’escalade et il nous balade dans le monde entier, sous toutes les latitudes et dans tous les milieux. Sous sa plume, même la mort n’a pas cette dimension tragique et c’est entre les lignes qu’il conseille de privilégier la vie, même si celle-ci peut parfois réserver bien des surprises et pas toujours des bonnes.

    Le titre a pourtant quelque chose de fataliste. En effet, pour notre auteur, il faudrait accepter le monde dans son absurdité, car il n’en manque pas, se laisser porter par la vie sans chercher à en combattre les évènements parce que ce combat est perdu d’avance, accepter le hasard qui fait partie de nos vies bien plus que nous voulons bien l’avouer, le sort ou la destiné selon le nom qu’on veut lui donner.

    Quand nous naissons, c’est à dire quand nous sortons du néant, une hypothétique divinité ouvre à notre nom un livre dont nous tournons plus ou moins longtemps les pages. Quand nous retournons au néant, la Camarde en arrache une, la dernière, et range ce livre dans la grande bibliothèque de l’oubli. Alors, pourquoi pas accepter la vie telle qu’elle est, telle qu’elle vient, au jour le jour, sans se poser trop de questions. C’est une philosophie qui en vaut bien un autre et qui a au moins l’avantage de la simplicité, loin des interdits religieux censés nous valoir une incertaine éternité heureuse et les déductions oiseuses des supposés penseurs qui se targuent de nous servir de boussole.

    Ce titre viendrait du mot russe « pofigisme » qui est intraduisible en français, qui est une sorte de philosophie, une torpeur métaphysique qui ferait partie de l’âme russe. C’est un peu l’attitude des personnages de ces dix-neuf histoires qui, avec une certaine forme d’humour, acceptent la vie comme elle vient, surtout quand le merveilleux et l’inexplicable, selon critères du cartésianisme, s’invitent dans nos vies.

    J’avoue que je partage cette vision des choses.

     

  • Loin d'eux

    N°1745 – Mai 2023

     

    Loin d’eux– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Il est communément admis que si, pour un couple, la venue d’un enfant peut éventuellement être le couronnement de leur amour, il n’en reste pas moins qu’on n’a pas d’enfants pour soi, c’est à dire que, la période de jeunesse passée, même si elle a été heureuse, ils partent faire leur vie ailleurs. Luc ne se sentait pas bien chez ses parents, ne voulait pas leur ressembler, ne supportait plus la vie avec eux, trop seul, trop incompris, il voulait autre chose. Il a donc quitté la province pour un travail et une vie à Paris, loin d’eux. Au sein de sa famille, son absence pesante était seulement adoucie par quelques courriers rédigés en termes convenus, des communications téléphoniques, des visites rapides… Cela aurait pu être une histoire banale sur les relations, souvent difficiles, parents-enfants, comme on en rencontre dans toutes les familles. Cela aurait pu s’arranger avec un mariage, la naissance de petits-enfants et un nouvel intérêt pour la vie et pour l’avenir, mais les choses se sont déroulées autrement. Pour Céline, sa cousine avec qui il a eu une longue complicité, c’est un peu différent. Elle s’est mariée tôt, a fondé une entreprise avec son mari mais ce dernier est mort dans un accident et tout a basculé pour elle. Elle est partie avec un inconnu, qui le restera pour sa famille, vers une autre vie, un autre espoir, mais sans grande conviction.

    Avec une intense écriture, c’est l’évocation de la mort qui est ici déclinée à travers ces deux personnages. La Camarde s’est insinuée entre les pages de leur deux livres, en arrachant la dernière pour Luc et pour Céline en creusant un vide qu’elle cherchera à combler sans jamais y parvenir, inversant ainsi le cours normal des choses et des deuils. Un désastre pour elle, une délivrance pour lui. La mort, on vit sans vraiment y penser et quand elle se manifeste chez les autres on se félicite qu’elle nous ait épargnés. Certes Céline survit au décès de son mari et refait sa vie, mais elle choisit une forme de fuite avec un inconnu pour exorciser son chagrin. C’est simplement pour nous rappeler les termes de notre pauvre condition humaine, c’est à dire que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, qu’elle peut nous être enlevée quand nous nous y attendons le moins et sans le moindre préavis. Pour Luc et son option qu’on sent venir tout au long de ce court texte, il exprime définitivement un refus, un échec. Tous les deux ont fait le constat que la vie ne les aimait pas et qu’ils ne l’aimaient pas non plus. Leur choix et plus spécialement celui de Luc, s’est exprimé sans tenir compte de ceux qui restent, qui ne méritaient pas cette épreuve et qui vont porter ce poids toute leur vie, avec leurs interrogations inévitables, leur refus d’y croire, la certitude que le monde autour d’eux s’effondre, leur incontournable culpabilisation, la certitude grandissante de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait quand il le fallait. Ils auront beau verser des larmes, se dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu, que la vie continue, que le temps aplanira leur peine, se convaincre que les morts revivent dans la mémoire des vivants, se raccrocher aux souvenirs, aux photos pour artificiellement faire revivre le disparu, tout cela sera dérisoire face à la réalité, au vide, à l’absence. Même l’affirmation de la religion sur la résurrection se révèle artificielle. Ce qui restera de cette épreuve c’est la solitude, les remords, tout juste atténués par de bienveillantes présences amies, porteuses de mots ou de silences.

    Chacun des deux parents, Jean et Marthe, prend alternativement la parole, de même que Gilbert et Geneviève, ses oncle et tante et que Céline, sa cousine. Lui aussi s’exprime mais ce sont des monologues et tous racontent leurs interrogations, leurs difficultés, leur bonne foi, leur solitude, leur impuissance, leur désarroi.

    Ce que j’attends d’un romancier c’est, entre autre d’être le miroir de son temps mais aussi de notre condition humaine dont la mort fait partie, même si l’image qu’il nous renvoie est cruelle, simplement parce que la vie est ainsi quand elle choisit ses victimes.

     

     

     

  • Tout mon amour

    N°1744 – Mai 2023

     

    Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.

    Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.

    Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.

    L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.

     

  • Tout mon amour

    N°1744 – Mai 2023

     

    Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.

    Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.

    Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.

    L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.

     

  • Le colibri

    N°1741 – Mai 2023

     

    Il colibrì ( Le colibri)– Un film italien (coproduction franco-italienne) de Francesca Archibugi (2022)*.

     

    Ce film est une adaptation du roman homonyme de Sandro Veronesi, couronné en 2020 par le Prix Strega. Cet ouvrage, expérimental dans la forme, a la caractéristique d’être destructuré en ce sens que son auteur ne respecte pas la linéarité narrative. C’est une histoire compliquée d’amour et de vie, déclinée sous forme de nombreux flash-back où le spectateur se perd un peu entre survivance à un accident d’avion, un problème de culpabilité, des amours chastes, des parties de poker...

    Au début, un ophtalmologue, marié et père de famille, Marco Carrera (Pierfrancesco Favino), surnommé « Le Colibri » par sa mère à cause sans doute d’un retard de croissance mais surtout parce que cet oiseau a la caractéristique de rester à la même place et même de voler à reculons en bravant les changements, apprend de la bouche de Daniele Carradori (Nanni Moretti), le psychiatre de sa femme Marina (Kasia Smutniak) que celle-ci le trompe. Cette révélation, déontologiquement interdite, met en exergue le destin compliqué de Marco, qui a peut-être toujours voulu refuser l’évidence, qui cherche à résister aux coups que le sort lui envoie. Sa femme est jalouse et cette jalousie est justifiée par le fait que Marco a effectivement une maîtresse, Luisa (Bérénice Bejot), elle-même mariée, mais cet amour qui remonte à l’adolescence est platonique, fait de courriers amoureux et seulement de sages baisers sans qu’aucun des deux ne se résolve à obtenir le divorce et à vivre cette liaison au grand jour, un peu comme si cette règle du jeu amoureux était un gage de survie pour tous les deux. A partir de ce moment, il explore sa mémoire, remonte le temps en évoquant les personnages qu’il a croisés. C’est son frère avec qui il a des relations compliquées au point de ne plus lui adresser la parole à cause du suicide de leur sœur mais surtout les femmes, la sienne qui finit par lui avouer qu’elle ne l’a jamais aimé et qui obtient le divorce, son amoureuse avec qui il vit un amour passionné, sage mais secret, sa fille, perturbée par la certitude d’avoir un fil invisible dans le dos qui la retient(cette obsession la suivra jusqu’à la fin), sa sœur qui se suicide, puis sa petite-fille de qui il choisit de s’occuper seul parce qu’elle est sans doute, à ses yeux, celle qui peut racheter toute la tragédie de sa vie.

    Dans cette histoire se bousculent l’hypocrisie des liens familiaux et matrimoniaux, l’adultère, la culpabilité, la résilience, le mensonge, le pardon, le deuil, mais aussi la maladie et la mort. Pour autant je ne suis pas bien sûr que Marco mérite son surnom jusqu’à la fin puisqu’il choisit lui-même de mettre volontairement un terme à son drame personnel, refusant en quelque sorte de se laisser encore ballotter par un destin funeste, un peu comme si, épuisé, il renonçait. Car c’est la Camarde qui s’invite aussi dans sa vie, à travers notamment le suicide de sa sœur, Irène, l’accident mortel de sa fille, ce qui dans sa vie inverse le cours naturel des choses et qui impose aux parents le deuil de leur enfant.

    Un film qui interroge le spectateur et assurément ne le laisse pas quitter la salle indemne.

     

    *Film présenté dans le cadre de Cinetalia- Premier festival du film italien à Niort.

     

     

    A propos de ce premier festival de cinéma, qui je l’espère sera suivi par d’autres les années suivantes, j’en profite pour signaler aux amoureux de l’Italie et de la langue italienne l’existence de « Il Botteghino », un bulletin d’informations bilingue, uniquement diffusé sur internet (italscene@hotmail.com)

  • Le lien

    N°1743 – Mai 2023

     

    Le lien– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

     

    J’apprécie le style de Laurent Mauvignier et le lire est toujours un plaisir.

    C’est un dialogue entre « Elle » et « Lui », une manière de faire le point sur leurs relations au cours de leur vie. Lui est parti il y a trente ans photographier le monde et user de sa liberté et elle est restée dans la chambre, leur chambre, de cette maison isolée dans la campagne, avec sa crainte du danger et seulement des courriers pour l’apaiser. Il s’aimaient sans doute au début mais le fait de passer leur vie ensemble, de voir ce lien originel se détendre et s’altérer en même temps que les forces de leur corps, les a découragés. Constater que partager le même quotidien routinier pendant des années révèle plus que tous les grands discours les failles et les faiblesses de l’autre, son vrai visage, au point qu’on finit par se dire qu’on s’est trompé… c’est une réalité à laquelle ils ont choisi d’échapper ! Il est parti pour ne pas passer à côté de sa vie, pour ne pas avoir, en fin de parcours, à se dire qu’il n’a pas tenté de faire ce qu’il voulait réellement réaliser, pour n’avoir pas de regrets. Et elle l’a regardé s’éloigner par manque de courage ou peut-être pour jouer, avec une certaine vanité, le rôle de celle qui attend, la victime passive ou la gardienne orgueilleuse des lieux ? Il l’a quittée parce qu’il s’ennuyait, par crainte de l’usure du couple qui s’ouvre souvent sur l’indifférence voire la haine, la séparation, mais cette longue absence ressemble aussi à une fuite. Il lui envoyait ses carnets de voyage et ses clichés et elle les archivait, mais la maladie qui l’assaille et la mort qui s’annonce lui interdisent désormais ce travail et c’est pour cela qu’il revient. Il veut réaliser avec elle un livre sur ses errances, des images et des mots quasi clandestins qui voudraient changer un monde immuable dans ses violences et ses injustices.

    A-t-elle accepté cette situation, ce quasi veuvage, cette solitude par amour ou parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement? Ça n’a pas été ni pour l’un ni pour l’autre une période chaste, « il faut bien que le corps exulte » dit la chanson, il y a eu des moments de rapides étreintes avec d’autres partenaires où on ne recherche que le plaisir au détriment du bonheur et évidemment de l’amour, et lui y a même ajouté quelques litres d’alcool parce que cela collait bien avec son personnage d’aventurier. Elle a accepté de passer pour une marginale, une séductrice, un briseuse de ménages et a assumé cette image dans cette contrée perdue. Ils auraient pu faire un enfant qui est aussi un gage d’amour pour conforter ce lien entre eux, mais ils s’en sont dispensés, peut-être par sécurité. Il est certes parti au loin mais a emporté avec lui les senteurs et les couleurs du jardin, la chaleur de la pierre et, bien sûr, son visage à elle, mais il parti quand même et dans un geste égoïste où j’ai du mal à voir de l’amour pour elle. Il revient parce qu’elle est malade et qu’elle va mourir c’est à dire qu’il veut garder d’elle une dernière image. Tous les deux ont choisi leur vie, leur recherche d’une forme de bonheur, l’un sans l’autre, avec cette sorte d’assurance de pouvoir se retrouver ensemble si son entreprise était par trop altérée par les découragements et les échecs. Pendant ces retrouvailles qui seront sans doute courtes, ils égrènent les bonnes raisons d’avoir agit ainsi, un peu comme pour se justifier l’un l’autre, comme une confession qui n’exclut évidemment pas la culpabilité. Mais quand même, trente ans ça fait long ! Il a beau dire qu’il ne l’a jamais oubliée, que c’était elle qu’il retrouvait dans le visage des autres femmes, ça me paraît un peu artificiel ! A la fin, elle prétend être heureuse parce qu’elle va mourir c’est à dire qu’elle va enfin être libérée de ses remords, de ce sentiment de gâchis, de ces déceptions, de ces moments de solitudes et de craintes accumulés pendant ses trente années, c’est vraiment tout ce qui lui reste.

    Je n’ai peut-être rien compris mais j’ai lu dans ce dialogue deux formes de déréliction, d’échec, deux évidences face à la vie qui est unique et qu’on choisit.

     

     

  • La chambre bleue

    N°1742 – Mai 2023

     

    La chambre bleue – Simenon – Presses de la cité.

     

    C’est une histoire assez banale au départ, un homme, Tony, rencontre une femme, Andrée, et ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel pour des étreintes furtives et frénétiques. Ce qui l’est un peu moins c’est que ces amants, la trentaine, mariés mais chacun de leur côté, sont convoqués devant la justice, pas pour le prononcé d’un divorce mais devant la Cour d’Assises avec instruction, décorum, ministère public, psychiatres et jurés, leurs conjoints respectifs ayant trouvé la mort dans des circonstances troublantes qui ont intrigué les habitants manifestement au courant de cette liaison. Lui, il est plutôt bel homme, assez volage, du genre « donnaiollo »comme disent si joliment nos amis Italiens et ce qui l’intéresse c’est surtout assouvir ses désirs sexuels. Elle, mariée à un triste et valétudinaire épicier de son village est fascinée par son amant et veut refaire passionnément sa vie avec lui, ce qui n’emballe guère Tony, attaché malgré tout à sa famille, plus par tradition que par amour. Il voulait bien d’Andrée comme maîtresse, mais pas comme conjointe, mais elle voyait les choses autrement avec lettres anonymes et rendez-vous convenus. C’est ainsi lui qui décide de mettre fin à leur aventure d’à peine un an. Le mensonge qu’il a toujours pratiqué avec sa naïve et douce épouse, il l’adopte à nouveau avec son amante et même avec le juge qui éprouve pour lui une certaine sympathie et qui tente de cerner sa personnalité mais les aveux d’Andrée sont révélateurs et le piège se referme.

    C’est le type de roman psychologique dans lequel Simenon excelle et qui ne doit rien au commissaire Maigret. Les scène érotiques sont à la mesure de la passion éprouvée par Andrée. Ce genre de situation ne se rencontrent pas que dans les romans puisque l‘amour, qu’on fait, Dieu sait pourquoi, rimer avec « toujours », n’a pourtant rien de définitif dans un couple à cause des rencontres, des tentations, des illusions, de l’usure des choses, de l’ennui qui s’installe, des trahisons, des humiliations, des déceptions... Le fait de faire durer le mariage ne tient souvent qu’à des raisons financières, sociales ou religieuses et si le bonheur qui est une aspiration légitime n’est pas toujours au rendez-vous, il est toujours tentant de peser illégalement sur le cours des événements. L’auteur fin spécialiste de la psychologie humaine ne pouvait passer à côté de cela.

    Le suspense est entretenu avec les lettres laconiques mais parlantes qu’Andrée adresse à Tony et on ne sait pas très bien s’il est acteur de ce drame ou victime des circonstances.

    J’ai lu ce roman sans désemparer tant il est bien écrit et passionnant. Paru en 1964 il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique éponyme par Mathieu Amalric en 2014 .

  • Avec la permission de Gandhi

    N°1739 – Avril 2023

     

    Avec la permission de Gandhi - Abir Mukherjee – Liana Levi

    Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Battle.

     

    Calcutta fin décembre 1921, le prince de Galles est en visite officielle dans cette partie de l’Empire et les partisans de Gandhi, favorables à l’indépendance, entendent bien en profiter pour fomenter des troubles que le capitaine de police Wyndham, opiomane et alcoolique, et son adjoint le sergent Banerfee sont précisément chargés d’éviter. Il ne manquerait plus que la visite princière soit polluée par une révolte populaire. Des entrevues ont lieu avec les meneurs indépendantistes d’autant plus facilement que le sergent est de leur famille, mais compte tenu des événements cela ne servira à rien puisque le sergent il a du mal à concilier ses sympathies pour les mouvements indépendantistes et son appartenance à la police britannique. Un soir qu’il quitte précipitamment une fumerie d’opium, le capitaine tombe sur le cadavre d’un chinois qui peu de temps après disparaît pour se retrouver dans une morgue, une infirmière portugaise est retrouvée morte, assassinée dans d’étranges circonstances, d’autres cadavres sont découverts, exécutés selon le même modus operandi et les troubles se multiplient dans le quartier résidentiel anglais, ce qui commence à faire beaucoup. Il enquête donc, dans les vapeurs de son whisky favori et le brouillard des fumeries d’opium, mais ses investigations sont troublées par les militaires anglais, un peu comme si ses recherches gênaient paradoxalement les autorités britanniques.

     

    Le style est alerte, agréable à lire, avec un sens consommé du suspense.

     

     

  • il campione

    N°1740 – Avril 2023

     

    Il campione (Le défi du champion) – Un film italien de Leonardo d’Agostini (2019)*.

     

    Qu’y a-t-il de plus fédérateur que le football dans la société moderne et en Italie en particulier ?

    Pour Christian Ferro (Andrea Carpenzano), jeune joueur vedette de l’AS Roma, c’est l’assurance d’une longue et fructueuse carrière mais sa popularité le transforme en un être arrogant qui considère que tout lui est dû, que tout lui est permis et qui se laisse facilement éblouir par l’argent facile et par la notoriété. Las de ses excès, le président du club, pour améliorer son image auprès du public et son attitude agressive sur le terrain, conditionne sa future participation aux matchs à ses résultats scolaires et à sa réussite au baccalauréat. Dans ce but, il recrute Valerio Fioretti (Stefano Accorsi), un enseignant solitaire et fauché, dubitatif au départ eu égard au quasi illettrisme du jeune homme et à ses relations amicales faites d’insignifiants, de parasites et même d’un père escroc. Grâce à une méthode pédagogique originale qui est acceptée par Christian, Valerio réussit à intéresser son élève, à améliorer son éducation et même à faire changer son comportement sur le terrain comme dans sa vie. La complicité des deux hommes se transforme progressivement en une relation intime et quasi filiale, ce qui bouleverse l’existence de Valerio mais est également importante pour Christian qui, depuis la mort de sa mère, vit sans véritable famille. La rencontre de Christian avec avec une amie d’enfance, Alessia (Ludovica Martino ) qui travaille pour payer ses études de médecine, raccroche le jeune joueur à ses racines pauvres et populaires. Mais les choses ne sont jamais aussi simples et pérennes dans une société superficielle basée sur l’argent et le monde du football qui fait et défait la carrière de ceux qu’elle a un temps promus. Il partira pour son nouveau club, assurément seul, et l’AS Roma l’oubliera.

    Ce qui semblait au départ n’être qu’une comédie légère se transforme petit à petit en une pertinente étude de personnages portée par des acteurs de talent, une réflexion sur la notoriété et la réussite éphémères face à la remise en cause de son propre parcours et à la rencontre d’êtres différents.

    Il s’agit là du premier film de Leonardo d’Agostini en tant que metteur en scène.

     

    *Film présenté dans le cadre de Cinetalia- Premier festival du film italien à Niort.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

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