la feuille volante

S'abandonner à vivre

N°1746 – Mai 2023

 

S’abandonner à vivre – Sylvain Tesson – Gallimard.

 

Qu’il choisisse d’évoquer la rencontre cocasse d’un mari cocu avec l’amant, escaladeur de façades, de sa femme, qu’il nous parle de la fin tragique d’une mission britannique au Pôle ou qu’il dénonce avec délectation les Russes, leur addiction à la fornication et à la vodka ou la beauté et la sensualité de leurs femmes, Sylvain Tesson ne se départit pas de son style alerte et jubilatoire où les descriptions poétiques le disputent à la qualité de sa documentation, ce qui donne pour son lecteur un texte facile à lire et dont il se délecte jusqu’à la fin. A lire ses nouvelles il semble avoir un particulier attachement à la montagne et à l’escalade et il nous balade dans le monde entier, sous toutes les latitudes et dans tous les milieux. Sous sa plume, même la mort n’a pas cette dimension tragique et c’est entre les lignes qu’il conseille de privilégier la vie, même si celle-ci peut parfois réserver bien des surprises et pas toujours des bonnes.

Le titre a pourtant quelque chose de fataliste. En effet, pour notre auteur, il faudrait accepter le monde dans son absurdité, car il n’en manque pas, se laisser porter par la vie sans chercher à en combattre les évènements parce que ce combat est perdu d’avance, accepter le hasard qui fait partie de nos vies bien plus que nous voulons bien l’avouer, le sort ou la destiné selon le nom qu’on veut lui donner.

Quand nous naissons, c’est à dire quand nous sortons du néant, une hypothétique divinité ouvre à notre nom un livre dont nous tournons plus ou moins longtemps les pages. Quand nous retournons au néant, la Camarde en arrache une, la dernière, et range ce livre dans la grande bibliothèque de l’oubli. Alors, pourquoi pas accepter la vie telle qu’elle est, telle qu’elle vient, au jour le jour, sans se poser trop de questions. C’est une philosophie qui en vaut bien un autre et qui a au moins l’avantage de la simplicité, loin des interdits religieux censés nous valoir une incertaine éternité heureuse et les déductions oiseuses des supposés penseurs qui se targuent de nous servir de boussole.

Ce titre viendrait du mot russe « pofigisme » qui est intraduisible en français, qui est une sorte de philosophie, une torpeur métaphysique qui ferait partie de l’âme russe. C’est un peu l’attitude des personnages de ces dix-neuf histoires qui, avec une certaine forme d’humour, acceptent la vie comme elle vient, surtout quand le merveilleux et l’inexplicable, selon critères du cartésianisme, s’invitent dans nos vies.

J’avoue que je partage cette vision des choses.

 

 
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