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la feuille volante

Le désert de quartz

N°1765– Juillet 2023

 

Le désert de quartz – George Schinteie -

 

Tout d'abord je remercie Gabrielle Danoux de m'avoir fait parvenir ces poèmes dont elle est la traductrice et de m'avoir fait découvrir leur auteur comme elle l'avait naguère fait à propos de Valentin Dolfi (Ma poésie comme biographie), de Max Blecher ( Cœurs cicatrisés - roman) et Anton Holban (Le collectionneur de sons et autres nouvelles). Il convient de saluer son action en faveur de la popularisation en France de la culture roumaine, en particulier de sa poésie, même si, notre pays n’accueille plus ce registre créatif que par le biais de la chanson.

 

Découvrir un poète est toujours pour moi un moment d'exception même si, ne parlant pas roumain, je ne le découvre qu’à travers une traduction qui est une difficile transposition d’une langue à l’autre, avec une sensibilité et une musicalité différentes. Il s'agit d'un recueil bilingue qui ne sera pas commercialisé en France, illustré par Valeriu Sepi.

L'auteur s'est fait connaître tôt à travers une revue de poésie puis par la publication d’un premier recueil. Il a ensuite mis volontairement entre parenthèses sa créativité pour se consacrer au journalisme culturel, à la promotion de la poésie (des autres) et à la création d’organes de communication indépendants comme la radio et la télévision. Puis vinrent des publications sporadiques de poèmes, de deux recueils puis d’une série intitulée successivement 66, 67, 68 en référence à son âge ce qui peut signifier une obsession pour la numérologie mais assurément une obsession de la fuite du temps, le suivant, intitulé « l’ombre de l’horloge » corroborant cette impression.

 

Le présent recueil de poèmes, au titre quelque peu abscons, est le dernier, le neuvième et traduit l’univers onirique de son auteur contemporain. Le quartz ou cristal de roche, par sa dureté, sa transparence et sa longévité m’évoque la permanence des sentiments exprimés et leur universalité. Le désert m’inspire l’immensité, l’errance et ce qui résulte de l’érosion de la vie, ce sable qui coule entre les doigts et qu’on ne peut arrêter. Il en résulte l’usure des choses les plus dures dont on pouvait croire qu’elles seraient pérennes. L'auteur y exprime son questionnement sur le destin, le temps, l’amour, la mort, la vie, l’éternité, la relation avec Dieu, la mélancolie que suscitent pour lui l'automne et l'hiver à travers leurs couleurs et leur symbole. Les thèmes traités ne dérogent pas de ceux qui sont traditionnellement l'objet de la poésie et correspondent à des préoccupations humaines. Il en parle avec un lyrisme parfois incantatoire, des images impressionnistes et même surréalistes d’où la nostalgie n’est pas absente et qu’on peut rapprocher de la « saudade » de Pessoa ou du « spleen » de Baudelaire.

 

Les livres de Schinteie sont baignés par son autobiographie, le souvenir de son enfance à laquelle il ajoute esthétisme et musicalité des mots à la fois simples et naturels (l'ombre, la lumière, les saisons, la légèreté symbolisée par les images évoquant ce qui vole, animaux, feuilles ...).

Ses textes témoignent d'une sensibilité amoureuse mais j’y ai lu une forme de souffrance due à une absence de la femme aimée. Elle est comme lointaine, inaccessible, diaphane plutôt que palpable et corporelle. L'idée de l’amour est limitée au sentimental et à la méditation, les mots se limitant à évoquer l'idée de la femme plutôt que son corps lui-même et ses formes. Ainsi reviennent sous sa plume des allusions nombreuses au sang qui me paraissent symboliser ce manque, cette image qui peu à peu s’estompe ainsi qu’en attestent le graphisme esquissé de Valeriu Sepi.

 

Ses vers sont écrits sans ponctuation (comme tout poème il convient de les dire à haute voix en leur donnant le rythme que nous inspirent les mots) sans doute pour mieux susciter l’écoulement de la vie qui est chez lui une obsession prégnante. Les images métaphoriques qu'il emploie pour suggérer cette légèreté de la vie et son écoulement sont éloquentes (le papillon, le sable qui coule inexorablement entre les doigts, les traces laissées par les pas, l'arc en ciel, le bonhomme de neige...) et traduisent la mélancolie que lui inspire la fuite irrésistible du temps, la perte de l’énergie personnelle, les souvenirs d’une enfance passée, la disparition des gens seulement sauvée par l'empreinte mémorielle qu'ils ont laissée, la relation avec Dieu qui sont également des préoccupations humaines.

 

J'ai eu accès à la créativité de ce poète contemporain à travers la virtualité du texte comme cela se fait de plus en plus pour une foule de bonnes raisons. Je suis moi aussi de ceux qui regrettent le livre son aspect-objet, l’odeur de l’encre et du papier, le toucher des pages...Pour ceux qui ont eu le privilège de tenir ce volume entre leurs mains, c'est toujours un plaisir sensuel. Ce qui m’étonne toujours c’est que les mots, confiés au fragile support du papier, résistent au temps et parcourent les siècles alors qu’un simple clic peut les effacer de l’ordinateur. Le fichier refermé je me pose toujours la même question au sujet de l’écriture et de son pouvoir exorciste réel ou supposé. Le plus important à mes yeux c’est de laisser une trace, d’exprimer sa créativité avec des mots comme d’autres choisissent les actes ou des constructions.

 

 
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