la feuille volante

Vivre vite

N°1747 – Mai 2023

 

Vivre vite – Brigitte Giraud – Flammarion.

Prix Goncourt 2022.

 

Avec ce roman Brigitte Giraud évoque la perte de son compagnon, Claude, mort il y a vingt ans d’un accident de moto. Elle s’apprête à vendre la maison qu’ils avaient achetée ensemble dans la région de Lyon et dont il n’a pas eu le temps de profiter. Ce roman est un acte de mémoire, un exercice d’exorcisme que permet l’écriture et le temps a mûri ce texte qui agit comme un exutoire. Elle analyse tous les moments qui ont précédé le drame où sa vie a basculé, remonte le temps, analyse les faits dans leur moindre détail, les redessine dans une longue série de « si » qui traduit la colère, la culpabilité, l’obsession de cet amour disparu trop tôt et qu’elle conjure par l’uchronie. En sort-elle libérée, apaisée, quand, au terme de sa démarche littéraire elle avoue « rendre les armes » ? C’est la une grande interrogation au regard de l’écriture. Perdre un être cher, l’amour de sa vie, est un drame dont on ne sort jamais indemne surtout quand cela arrive au moment où on s’y attend le moins, où l’avenir se dessinait sous les meilleurs auspices. On refuse alors d’y croire jusqu’à ce que l’évidence s’impose dans toute son horreur. On refait le chemin à l’envers, à s’en donner le vertige, avec sa cohorte d’interrogations qui resteront à jamais sans réponse.

J’ai toujours eu, à titre éminemment personnel, face à un tel événement, la même interrogation faisant mal la part des choses au regard du phénomène de l’écriture qui en même temps fixe les choses et apaise peut-être celui qui écrit. La réponse qui s’est imposée à moi, longuement élaborée et remise en question, s’est révélée fluctuante, entre la résilience naturelle de l’être humains, le temps qui passe et qui retisse le souvenir, la tentation dérisoire de vouloir remonter le temps, l’extraordinaire pouvoir de vie des êtres vivants, le hasard… L’écriture est un échec à l’oubli auquel nous sommes tous voués. La démarche de notre auteure impose le respect et traduit pour son fils ce qu’a représenté cet homme pour elle en même temps qu’elle conforte pour lui l’image de ce père mort trop tôt, même si sa disparition fige son image définitivement dans la jeunesse et la beauté. On se révolte légitimement contre le déroulement des faits, la malchance, l’inconscience, la négligence, l’imprudence, la recherche d’une certaine ivresse que procure la vitesse, la mort, surtout quand elle vient interrompre le bonheur qui emplit notre vie, quand elle brise trop tôt un parcours qui ne demandait qu’à se dérouler passionnément. Elle est la marque de notre condition humaine qui n’est pas non plus vouée à la justice, à la douceur, à la chance. On se raccroche à des signes, à d’étranges coïncidences où on veut absolument voir un sens... Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée à tout moment, surtout quand nous y attendons le moins.

J’avoue quand même que j’ai eu un peu de mal à la suivre, que j’ai été un peu gêné par la série incantatoire des « si » dont certains ne me paraissent pas justifiés au regard de la logique. J’ai trouvé dérisoire la tentative de vouloir refaire cette série d’évènements qui, comme tout ce qui concerne notre vie, entre hasard et destiné, est prévu à l’avance et se produira malgré nous, sans que nous y puissions rien, surtout si, à ce moment précis, la Camarde est en embuscade. J’ai trouvé anachronique cette culpabilité inspirée par cette religion judéo-chrétienne qui nous oblige à nous accuser de quelque chose dont nous ne sommes pas responsables et qui nous maintient ainsi, depuis des siècles, dans un état de dépendance au regard d’une hypothétique démarche de rachat de péchés pas encore commis. Ainsi sommes nous amenés, après la mort d’un proche, à nous demander si telle attitude, telle réflexion antérieures de notre part n’auraient pas été la cause des événements et nous en concevons des remords qui bouleversent notre vie pour longtemps, jusqu’à l’obsession. Cette attitude va même jusqu’à nous faire reproche d’être nous-mêmes encore en vie.

L’histoire est attachante, émouvante, intime, le style est fluide, facile à lire.

 

 

 

 
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