Loin d'eux
- Par hervegautier
- Le 10/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
- 2 commentaires
N°1745 – Mai 2023
Loin d’eux– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Il est communément admis que si, pour un couple, la venue d’un enfant peut éventuellement être le couronnement de leur amour, il n’en reste pas moins qu’on n’a pas d’enfants pour soi, c’est à dire que, la période de jeunesse passée, même si elle a été heureuse, ils partent faire leur vie ailleurs. Luc ne se sentait pas bien chez ses parents, ne voulait pas leur ressembler, ne supportait plus la vie avec eux, trop seul, trop incompris, il voulait autre chose. Il a donc quitté la province pour un travail et une vie à Paris, loin d’eux. Au sein de sa famille, son absence pesante était seulement adoucie par quelques courriers rédigés en termes convenus, des communications téléphoniques, des visites rapides… Cela aurait pu être une histoire banale sur les relations, souvent difficiles, parents-enfants, comme on en rencontre dans toutes les familles. Cela aurait pu s’arranger avec un mariage, la naissance de petits-enfants et un nouvel intérêt pour la vie et pour l’avenir, mais les choses se sont déroulées autrement. Pour Céline, sa cousine avec qui il a eu une longue complicité, c’est un peu différent. Elle s’est mariée tôt, a fondé une entreprise avec son mari mais ce dernier est mort dans un accident et tout a basculé pour elle. Elle est partie avec un inconnu, qui le restera pour sa famille, vers une autre vie, un autre espoir, mais sans grande conviction.
Avec une intense écriture, c’est l’évocation de la mort qui est ici déclinée à travers ces deux personnages. La Camarde s’est insinuée entre les pages de leur deux livres, en arrachant la dernière pour Luc et pour Céline en creusant un vide qu’elle cherchera à combler sans jamais y parvenir, inversant ainsi le cours normal des choses et des deuils. Un désastre pour elle, une délivrance pour lui. La mort, on vit sans vraiment y penser et quand elle se manifeste chez les autres on se félicite qu’elle nous ait épargnés. Certes Céline survit au décès de son mari et refait sa vie, mais elle choisit une forme de fuite avec un inconnu pour exorciser son chagrin. C’est simplement pour nous rappeler les termes de notre pauvre condition humaine, c’est à dire que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, qu’elle peut nous être enlevée quand nous nous y attendons le moins et sans le moindre préavis. Pour Luc et son option qu’on sent venir tout au long de ce court texte, il exprime définitivement un refus, un échec. Tous les deux ont fait le constat que la vie ne les aimait pas et qu’ils ne l’aimaient pas non plus. Leur choix et plus spécialement celui de Luc, s’est exprimé sans tenir compte de ceux qui restent, qui ne méritaient pas cette épreuve et qui vont porter ce poids toute leur vie, avec leurs interrogations inévitables, leur refus d’y croire, la certitude que le monde autour d’eux s’effondre, leur incontournable culpabilisation, la certitude grandissante de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait quand il le fallait. Ils auront beau verser des larmes, se dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu, que la vie continue, que le temps aplanira leur peine, se convaincre que les morts revivent dans la mémoire des vivants, se raccrocher aux souvenirs, aux photos pour artificiellement faire revivre le disparu, tout cela sera dérisoire face à la réalité, au vide, à l’absence. Même l’affirmation de la religion sur la résurrection se révèle artificielle. Ce qui restera de cette épreuve c’est la solitude, les remords, tout juste atténués par de bienveillantes présences amies, porteuses de mots ou de silences.
Chacun des deux parents, Jean et Marthe, prend alternativement la parole, de même que Gilbert et Geneviève, ses oncle et tante et que Céline, sa cousine. Lui aussi s’exprime mais ce sont des monologues et tous racontent leurs interrogations, leurs difficultés, leur bonne foi, leur solitude, leur impuissance, leur désarroi.
Ce que j’attends d’un romancier c’est, entre autre d’être le miroir de son temps mais aussi de notre condition humaine dont la mort fait partie, même si l’image qu’il nous renvoie est cruelle, simplement parce que la vie est ainsi quand elle choisit ses victimes.
Commentaires
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- 1. Laurent Le 22/06/2023
J’ai laissé les pages de ce récit à plusieurs voix, à peu près vers la moitié du livre, je les ai terminées par ta critique, et je trouve que tes mots sur ce livre m’ont aidé à finir…. -
- 2. Hervé gautier Le 23/06/2023
OK
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