la feuille volante

Le lien

N°1743 – Mai 2023

 

Le lien– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

 

J’apprécie le style de Laurent Mauvignier et le lire est toujours un plaisir.

C’est un dialogue entre « Elle » et « Lui », une manière de faire le point sur leurs relations au cours de leur vie. Lui est parti il y a trente ans photographier le monde et user de sa liberté et elle est restée dans la chambre, leur chambre, de cette maison isolée dans la campagne, avec sa crainte du danger et seulement des courriers pour l’apaiser. Il s’aimaient sans doute au début mais le fait de passer leur vie ensemble, de voir ce lien originel se détendre et s’altérer en même temps que les forces de leur corps, les a découragés. Constater que partager le même quotidien routinier pendant des années révèle plus que tous les grands discours les failles et les faiblesses de l’autre, son vrai visage, au point qu’on finit par se dire qu’on s’est trompé… c’est une réalité à laquelle ils ont choisi d’échapper ! Il est parti pour ne pas passer à côté de sa vie, pour ne pas avoir, en fin de parcours, à se dire qu’il n’a pas tenté de faire ce qu’il voulait réellement réaliser, pour n’avoir pas de regrets. Et elle l’a regardé s’éloigner par manque de courage ou peut-être pour jouer, avec une certaine vanité, le rôle de celle qui attend, la victime passive ou la gardienne orgueilleuse des lieux ? Il l’a quittée parce qu’il s’ennuyait, par crainte de l’usure du couple qui s’ouvre souvent sur l’indifférence voire la haine, la séparation, mais cette longue absence ressemble aussi à une fuite. Il lui envoyait ses carnets de voyage et ses clichés et elle les archivait, mais la maladie qui l’assaille et la mort qui s’annonce lui interdisent désormais ce travail et c’est pour cela qu’il revient. Il veut réaliser avec elle un livre sur ses errances, des images et des mots quasi clandestins qui voudraient changer un monde immuable dans ses violences et ses injustices.

A-t-elle accepté cette situation, ce quasi veuvage, cette solitude par amour ou parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement? Ça n’a pas été ni pour l’un ni pour l’autre une période chaste, « il faut bien que le corps exulte » dit la chanson, il y a eu des moments de rapides étreintes avec d’autres partenaires où on ne recherche que le plaisir au détriment du bonheur et évidemment de l’amour, et lui y a même ajouté quelques litres d’alcool parce que cela collait bien avec son personnage d’aventurier. Elle a accepté de passer pour une marginale, une séductrice, un briseuse de ménages et a assumé cette image dans cette contrée perdue. Ils auraient pu faire un enfant qui est aussi un gage d’amour pour conforter ce lien entre eux, mais ils s’en sont dispensés, peut-être par sécurité. Il est certes parti au loin mais a emporté avec lui les senteurs et les couleurs du jardin, la chaleur de la pierre et, bien sûr, son visage à elle, mais il parti quand même et dans un geste égoïste où j’ai du mal à voir de l’amour pour elle. Il revient parce qu’elle est malade et qu’elle va mourir c’est à dire qu’il veut garder d’elle une dernière image. Tous les deux ont choisi leur vie, leur recherche d’une forme de bonheur, l’un sans l’autre, avec cette sorte d’assurance de pouvoir se retrouver ensemble si son entreprise était par trop altérée par les découragements et les échecs. Pendant ces retrouvailles qui seront sans doute courtes, ils égrènent les bonnes raisons d’avoir agit ainsi, un peu comme pour se justifier l’un l’autre, comme une confession qui n’exclut évidemment pas la culpabilité. Mais quand même, trente ans ça fait long ! Il a beau dire qu’il ne l’a jamais oubliée, que c’était elle qu’il retrouvait dans le visage des autres femmes, ça me paraît un peu artificiel ! A la fin, elle prétend être heureuse parce qu’elle va mourir c’est à dire qu’elle va enfin être libérée de ses remords, de ce sentiment de gâchis, de ces déceptions, de ces moments de solitudes et de craintes accumulés pendant ses trente années, c’est vraiment tout ce qui lui reste.

Je n’ai peut-être rien compris mais j’ai lu dans ce dialogue deux formes de déréliction, d’échec, deux évidences face à la vie qui est unique et qu’on choisit.

 

 

 
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