Tout mon amour
- Par hervegautier
- Le 06/05/2023
- Dans Laurent Mauvignier
- 0 commentaire
N°1744 – Mai 2023
Tout mon amour– Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Ici il s’agit d’une pièce de théâtre assez particulière , à la mise en scène dépouillée, faite de peu de décor, de jeux de lumières avec une prédilection pour le noir, la couleur du costume du père, celle de la mère au début mais aussi un jeu sur la symbolique des vêtements de chacun et notamment le rouge vif, celui des robes de la mère et de la fille, de son cosmétique. Les dialogues sont hésitants, parfois faits de non-dits, de silences et de soliloques, comme ce qu’ils avaient à dire était impossible à formuler, la progression de l’intrigue est assez lente de l’intrigue, les personnages sans nom, juste individualisés par leur place dans la famille (le père, la mère...qu’une seule lettre résume). Seule la fille a un prénom, Élisa. Ils semblent s’ignorer entre eux et quand ils se parlent, les dialogues sont peu apaisés, parfois violents, parce que ce qu’ils évoquent appartient à un lourd passé que personne ne peut oublier, les vivants parlent aux morts, les absents imposent leur présence, leur attitude les uns par rapport aux autres indique les qualité de leurs relations personnelles entre eux, leurs oppositions. Certains semblent régler des comptes qu’ils n’ont pas su solder de leur vivant. Cette pièce est la première de Laurent Mauvignier qui nous avait habitué dans ses différents romans à une écriture plus fluide et poétique.
Le Grand-père vient d’être enterré, son fils (Le père) a assisté aux obsèques avec son épouse (La mère) en l’absence de leur fils (Le fils) et d’un oncle qu’on ne verra pas. Tous ont envie d’expédier les formalités de la succession peut-être pour vendre la maison qui porte en elle trop de souvenirs. Intervient une fille Elsa dont on découvre qu’elle a disparu dans un bois dix ans plus tôt. S’engage entre eux une conversation hachée, faite de regrets, de remords, de souvenirs mal digérés, de querelles non réglées, de colères rentrées où l’urgence le dispute à l’hésitation, ou attendre devient la règle. La maison de famille qui sert d’ environnement et qui, petit à petit devient elle-même un personnage.
Je ne sais pas si j’ai bien compris mais Elsa qui revient et que la mère ne veut pas voir, pose le problème. C’est une petite fille de six ans, c’est à dire innocente et incapable de réagir face aux décisions des adultes qu’on a éloigné de sa famille parce qu’elle y était devenue un élément indésirable et parce qu’on voulait favoriser le fils qu’ainsi on surprotège. C’est la mère, castratrice et dominatrice qui est responsable de tout cela parce qu’elle en a décidé ainsi et qui déplore l’évolution de ce fils qui un jour tombera sous l’influence d’une jeune-fille qui le soustraira à son influence.
L’auteur nous replonge dans les vieilles querelles de famille, la solitude, le fossé entre parents et enfants, le favoritisme au sein d’une même famille qui crée des injustices dans la fratrie, la culpabilité, les secrets enfouis au fond de la mémoire, les souvenirs oubliés mais qui peu à peu reviennent, ressassés à devenir obsessionnels, une volonté de se faire mal pour mieux goûter une forme peut-être illusoire de rédemption. L’opposition entre la mère et Elsa est constante et on sent un désir de vengeance chez cette dernière, tandis que la mère, responsable de tout cela, cherche à se donner de bonnes raisons d’avoir agi ainsi et même se pose en victime. La fuite de cette maison chargée de souvenirs malsains est une façon de les nier.
Ajouter un commentaire