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la feuille volante

la pitié dangereuse

N°1776– Septembre 2023

 

La pitié dangereuse – Stefan Zweig – Grasset.

Traduit de l’allemand par Alzir Heila .

 

A la veille de la Première guerre mondiale un jeune lieutenant obscur et pauvre, Anton Hofmiller, se trouve en garnison dans une petite ville d’Autriche. Par hasard, il se trouve invité chez un riche notable, M de Kekesfalva, veuf et malade dont la fille unique, Édith, est paralysée. A la suite d’une gaffe, le jeune officier multiplie les gestes d’apaisement et les visites faites à Édith pour se faire pardonner mais les circonstances amènent Anton à prendre la véritable mesure de la personnalité du vieillard. Celui-ci s’attache à Anton en lui témoignant des marques de confiance dans l’espoir de le voir épouser sa fille pour assurer son avenir, misant sans doute sur la pauvreté du jeune homme. Édith éprouve de l’amour pour Anton, où à tout le moins le croit-elle et lui ne lui témoigne que de la pitié pour lui permettre d’entretenir des espoirs de guérison tout en prenant conscience du danger de cet enjeu pour la jeune fille. Voit-il également son avantage dans cette proximité qui peut lui apporter une protection, une occasion unique de sortir de la gêne financière et un avancement plus rapide, les officiers supérieurs de son régiment étant également reçus chez ce riche notable. En réalité il est de parfaite bonne foi et sa pitié est authentique, comme l’est son rôle de bon Samaritain. Veut-elle voir dans cette somme de sollicitudes un attachement amoureux à sa personne que beaucoup d’hommes négligent à cause de son infirmité, nonobstant sa richesse ? Au cours du roman elle n’en est pas moins agressive à l’endroit du jeune homme ce qui peut laisser à penser qu’elle n’est pas dupe de sa conduite envers elle mais cela cache mal ses sentiments amoureux. Elle lui fait même des révélations inattendues au regard des sollicitudes dont elle est l’objet et les hésitations du jeune militaire, ses états d’âme face à cette situation trahissent peut-être celles de Zweig. Anton rassure-t-il Kekesfalva par compassion ou par intérêt face aux révélations du docteur Condor? Ce médecin continue-t-il à soigner Édith par pitié ou pour entretenir sa malade et son père dans l’illusion de la guérison ? Anton prend conscience qu’il a ainsi joué avec le feu et qu’il va s’y brûler, son sens de l’honneur et de la parole donnée sera un temps estompé par le maelstrom de l’Histoire, la mort tant recherchée comme une expiation, se refusant à lui, Ce qu’il considère comme une faute personnelle continuera à peser sur lui jusqu’à la fin.

 

J’ai retrouvé comme toujours chez Zweig la pureté de la phrase (servie par la traduction) mais surtout la délicate et pertinente analyse des sentiments humains, la façon habille et efficace de présenter chaque personnage dans sa réalité, derrière l’hypocrisie, les mensonges et les manœuvres que chacun déploie pour parvenir à ses fins face à la crédulité et à la naïveté de l’autre. Et la vanité des choses humaines ! L’amour est le thème central de ce roman comme il conduit et bouleverse parfois bien des destinés humaines sans qu’il soit toujours possible de distinguer les vrais sentiments des intérêts personnels et des petits arrangements mesquins., Il y a ici une dimension particulière, un sens de l’honneur et de la parole donnée, ce qui est quelque peu anachronique dans notre société d’aujourd’hui qui a perdu nombre de ses repères. Il n’y a pas d’amour mais seulement des preuves d’amour, dit-on, et Édith choisit de les voir dans les sollicitudes du jeune lieutenant qui n’agit envers elle que par pitié. Nous sommes certes dans un roman, mais mon observation de la société humaine me fait de plus en plus faire mienne cette pensée de Lacan « L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Quant à la pitié véritable, en dehors de celle de certains religieux ou humanitaires désintéressés, je n’y ai jamais tellement cru.

 

Zweig était un intellectuel hors pair, un humaniste, un témoin exceptionnel de son temps et de l’espèce humaine. Ce roman parait en 1939 alors qu’il est un écrivain célèbre mais persécuté par le nazisme, ce qui le déterminera à s’exiler en Angleterre sans espoir de retour en Autriche. Il est accompagné de Lotte, sa secrétaire qui deviendra sa femme et le suivra dans la mort au Brésil en 1942. Son désespoir face à l’humanité et à son devenir, le bouleversement dans sa vie personnelle affectent les dernières années de sa vie.

 

 

 

 
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