Mon nom est sans mémoire
- Par hervegautier
- Le 16/07/2023
- Dans Michela Marzano
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N°1761– Juillet 2023
Mon nom est sans mémoire – Michela Marzano – Stock.
Michela a été élevée par sa famille dans un contexte politique de gauche qui l’a marquée au point d’avoir été elle-même députée du Parti Démocrate italien. Elle découvre que le quatrième prénom, jamais mentionné, de son père est Benito, le même que celui de Mussolini et que son grand-père, Arturo, juge et patriote royaliste, fut un des premiers soutiens du Duce. Ce ne sera pas ce seul prénom qui suscitera ses interrogations.
Dès lors débute pour elle l’exploration d’un pan oublié et peut-être tu de son histoire familiale, à commencer par le parcours de ce grand-père, Arturo, combattant et prisonnier pendant la Grande guerre puis adhérent au nouveau parti fasciste, participant à la « Marche sur Rome », « squadrista », inconditionnel de ce régime dont il était un dignitaire et auquel il devait sa promotion. Son engagement fasciste est pour elle une honte qu’elle ne supporte pas. Dès lors commence une interrogation intime sur ses origines, favorisée peut-être par la naissance de son neveu, par une psychanalyse qui dure déjà depuis vingt ans sans doute parce qu’à cinquante ans et malgré un beau parcours professionnel, elle n’est toujours pas mère, qu’elle est à la recherche d’un traumatisme inconnu subit dans l’enfance, qu’elle est devenue anorexique… Une interrogation psychiatrique est souvent culpabilisante et hasardeuse. Elle va donc remonter le temps laborieusement, entre consultations des documents officiels et découverte des archives retrouvées et des souvenirs familiaux. Elle ira ainsi à la rencontre des membres de sa famille, redessinera l’image d’un père autoritaire, socialiste et brillant universitaire, d’une mère effacée. Cela commence dans les Pouilles, berceau de ses origines et elle va ainsi remonter l’Histoire, celle de ces années qui ont précédé et suivi le « ventennio » mêlées à celles de sa parentèle et de ses soubresauts, aller au devant de ses propres contradictions et de ses failles jusqu’à devoir remettre en question les vérités les plus affirmées. Les images qu’on a lentement idéalisées se lézardent, les apparences patiemment tissées se délitent, les épisodes laissés dans l’ombre révèlent leur existence et ce qu’on croyait impossible affirme sa réalité, les mensonges qui font partie de l’espèce humaine se découvrent mais des questions restent cependant sans réponse. Ce grand-père reste un mystère même pour ses proches entre la volonté de laisser une trace de son passage sur terre, de brouiller les pistes, d’habiller la réalité d’hypocrisie et de non-dits, entre amnésie et mémoire.
Ces recherches généalogiques sont légitimes pour Michela mais il y a des noms lourds à porter surtout quand ils sont associés à des exactions comme ce fut le cas pendant la période fasciste. De cette auscultation du temps et des arcanes de la mémoire on sort rarement indemne. Cette démarche l’amène à s’interroger sur son père et sur elle-même, sur le parcours de chacun à travers sa volonté de cohérence et ses contradictions. Elle éprouve donc le besoin de faire le point dans ce livre baptisé « roman » alors qu’il me semble être davantage un témoignage qu’une fiction. A titre personnel, je m’interroge comme souvent sur l’effet cathartique de l’écriture et ce qu’il en est résulté pour l’auteure par rapport à sa propre démarche psychanalytique et des conséquences parfois inattendues de cette rencontre.
C’est un livre passionnant, fort bien écrit en français, mais également un ouvrage documentaire historiquement important dont le titre italien « Stirpe e Vergogna »(origine et honte) me paraît plus révélateur.
J’ai lu ce livre au départ parce qu’il est en lice pour un prix littéraire, mais rapidement j’ai été happé par la démarche autant que par le style. Ce fut pour moi une belle découverte
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