Retour à Ithaque
- Par ervian
- Le 06/10/2025
- Dans cinéma français
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La Feuille Volante - N° 2018– Octobre 2025.
Retour à Ithaque– Un film de Laurent Cantet, écrit par lui-même et par Leonardo Padura. (2014)
Ithaque c’est, dans l’Odyssée d’Homère, une île dont Ulysse est le roi et qu’il regagne au terme d’une longue errance en mer. Il y retrouve son épouse Pénélope qui l’a attendu malgré les sollicitations de nombreux soupirants.
Sur une terrasse qui domine La Havane au soleil couchant, quatre amis, Tania (Isabel Santos), Eddy (Jorge Perugorría), Aldo (Pedro Julio Dias Ferran) , Rafa (Fernando Hechevarria) se retrouvent pour fêter le retour d’Amedeo (Nestór Jimenez) après seize ans d’exil en Espagne. Du crépuscule à l’aube ils évoquent leur jeunesse, leurs projets de vie, leurs espérances et la joyeuse bande de copains qu’ils formaient. Ce retour dans le passé, commencé au départ dans la bonne humeur, ne va évidemment pas sans dialogues parfois cruels et sans concession ce qui en fait un film humain et donc universel, évoquant le traditionnel thème des « rêves perdus », de l’amitié, de la fidélité, de la foi trahie.
Amedeo est un écrivain cubain jadis primé mais qui s’est exilé en Espagne, abandonnant sa femme atteinte d’un cancer, Rafa est un peintre un peu alcoolique qui a arrêté de peindre et survit en vendant des croûtes, Tania est une ophtalmologue complètement ruinée dont les enfants sont partis aux USA avec leur père, comme beaucoup de Cubains, Eddy est un cadre du castrisme, corrompu et arriviste, ce que ses amis ne lui pardonnent pas et surtout un écrivain raté et Aldo, le noir, l’hôte du groupe qui pourtant avait cru au socialisme, survit en bricolant des batteries automobiles et qui doit supporter son fils adolescent, Yoenis, qui ne fait rien et souhaite quitter Cuba. Chacun fait son propre bilan, à la fois cruel et désabusé et évidemment celui de Cuba durant ces seize années difficiles imposées par Castro, qui ont fait suite à la chute de l’URSS et compliqué la vie des Cubains avec la peur, la pauvreté, l’exil et la corruption.
La classique unité de temps , de lieu et d’action (ou d’inaction puisqu’il ne s’agit que de dialogues, d’une sorte de huis-clos sur le toit d’un immeuble) est respectée. Le film se déroule face à la mer qui symbolise la fuite et dans contexte d’une ville foisonnante de bruits et de vie. C’est un film sur le temps passé et donc le vieillissement, la nostalgie où chacun vit difficilement avec ses lâchetés, ses désillusions, ses compromissions, ses regrets, ses remords et cela renvoie à la situation de Cuba lui-même englué dans une dictature castriste et ses promesses avortées. C’est aussi un hymne à l’amitié malgré le sacrifice d’une génération qui a cru à la révolution castriste et qui prend conscience qu’elle a été laissée pour compte.
Leonardo Padura est le co-auteur de ce film et il est incontestable qu’il se retrouve dans le personnage d’Aldo. En effet Padura qui possède également la nationalité espagnole depuis 2011 et donc pourrait vivre en Espagne, mais préfère son Île. Il dit d’ailleurs avoir non pas deux nationalités mais deux citoyennetés et que sa seule nationalité c’est Cuba sans laquelle il ne peut écrire. Le régime contre lequel il est très critique ne lui ouvre que rarement les portes des médias qu’il contrôle alors que son succès est indéniable sur l’île et à l’international. Il y vit donc d’une manière quasiment anonyme.
Ce film est surtout le dernier de Laurent Cantet, metteur en scène humaniste qui jette sur le monde qui l’entoure un regard critique et curieux des problèmes de son temps, palme d’or à Cannes en 2008 pour « Entre les murs », disparu prématurément à l’âge de 63 ans.
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