la feuille volante

AGUA DEL NORTE – un disque de MESTURA [Marisa López et Luis Suáres].

 

 

N°273 – Juin 2007

 

AGUA DEL NORTE – un disque de MESTURA [Marisa López et Luis Suáres].

 

Terres asturiennes, de vents, de pluies et de montagnes, de tempêtes et de labeur, loin des clichés espagnols pour touristes avides de soleil et de farniente. Printemps 2007, dans une salle à la chaleur moite, à Gijón... Dehors, il pleut, une pluie froide qui ailleurs dévaste le pays... Un après-midi presque désœuvré que quelques notes de guitare, d'accordéon et une voix vont illuminer. Un CD, cercle de plastique argenté aux reflets d'arc en ciel qui nous renvoie à la fois notre propre image et nous invite à l'ailleurs, au voyage, à la découverte, paroles et musique gravées , je l'ai rapporté avec moi, en France.

 

Agua del Norte”[Eau du nord], pluie de cette région atypique où l'on joue de la cornemuse et où l'on boit du cidre, où la couleur dominante est le vert où les embruns atlantiques vous débarbouillent le visage de leur écume salée, où les vagues s'écrasent contre une grève déchiquetée par la violence des éléments, face à la mer et à son voyage incertain d'anciens émigrants porteurs de rêves, d'espoirs et de futur...

 

Et puis, par le miracle à chaque fois renouvelé et à chaque fois plus étonnant des mots, la poésie s'installe plante petit à petit un décor, les couleurs et les sons, tissent un ailleurs de leur trame légère et intemporelle, libèrent l'accès à un univers différent, d'autant plus inattendu qu'il surprend l'auditeur distrait, en fait un témoin attentif, oui, “les mots sont des ponts qui traversent le monde” comme l'indique l'exergue.

 

Les souvenirs s'avivent, la mémoire des choses revient, parfois triste, parfois pleine d'espoirs, comme les gouttes de cette pluie coutumière du pays asturien. Les notes de la guitare élégante de Luis, la voix envoutante de Marisa qui les module, en soulignent la musique, les silences, les regrets, les remords...le son du violoncelle qui évoque si bien le vent du large ... bouquet d'instants privilégiés!

Le poème est toujours le témoin d'une émotion et l'amour y est à la fois merveilleux et plein de douleurs muettes[Un día de febrero], moments d'extase et regrets du temps qui passe et ne revient jamais. Les mots sont des jalons dans nos vies, en portent la mémoire [La sombra de tu sueňo]. Le mot “rêve” revient souvent, comme pour nous rappeler qu'il nous aide à vivre, à nous projeter dans cet avenir qui porte l'existence, à sortir d'un quotidien morne, parce que cette vie n'est bien souvent faite que de choses fragiles [Corazón negro] dont l'équilibre instable n'est maintenu que par sa force d'attraction qui, nous étant prêté temporairement, nous révèle une autre notion plus acceptable du monde [Que amanezca otra vez]. L'amour transforme notre quotidien comme les gens qui l'inspirent [Quiero nomate], et son alchimie secrète et magique à la fois nous étonne, nous fascine à chaque fois.

 

Dans les textes autant que par la musique, l'aspect éphémère des choses est souligné [Lladrones de suaňos], soulignant la contingence des choses, leur précarité face au temps qui passe et qui détruit tout, jusqu'aux certitudes les plus établies. Cette fragilité est partout évoquée [Isla] dans la solitude et le son de la voix, aussi fuyant que le vent.

 

Même si chaque jour est une miracle, la nostalgie imprime inévitablement sa marque dans les larmes qui coulent des yeux, perles de pluie, traces de sel, qui impriment sur le visage sa cicatrice pérenne, y creuse parfois des rides. Les rêves sont fragiles qui habitent les nuits autant que l'imaginaire éveillé, mais ils entretiennent la vie, la barbouille de bleu et de soleil, comme la géographie maritime de cette contrée, comme tous les fantasmes humains... On en guérit, on les garde en soi comme un souvenir, comme un trésor ou comme une cicatrice. Ils font partie de nos vies, de notre parcours en ce monde, ils sont nos repères, moments douloureux parfois qui nous rappelle que rien n'est jamais définitif, que chaque jour est une remise en question[Un día des febrero].

 

Nos auteurs ajoutent que ce disque a été une belle aventure. Je veux le croire puisque chaque chanson témoigne d'eux-mêmes, de leur vie, porte témoignage d'un moment intime et priviligié...

 

Le partage n'est pas absent de leur démarche puisqu'ils précisent au témoin attentif de leur créativité « Si tu ries, si tu pleures, si tu es capable d'émotions, si tu le sens, si tu luttes, si tu partages, si tu donnes, si tu sais recevoir, si tu rêves, si tu crois que chaque jour est un miracle, ce disque tout entier t'est destiné. ».

 

Ce texte en forme d' envoi prend en quelque sorte congé de chacun d'entre nous, l'invitant à leur rendez-vous intime du poème, chaque fois que le besoin s'en fera sentir.

 

Ce message-là, habillé de mots précieux, serti dans une musique chaude et une voix fascinante , je l'ai goûté loin des Asturies, dans un autre pays de pluies et de verdure, gravé sur un disque argenté, et je m'en suis trouvé bien!

 

© Hervé GAUTIER - juin 2007

http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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