Le collectionneur d'impostures
- Par hervegautier
- Le 03/01/2022
- Dans Frederic Rouvillois
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N°1617- Janvier 2022
Le collectionneur d’impostures – Frédéric Rouvillois – Flammarion.
Parmi tous les travers humains le mensonge est sans doute le plus usité et pour qu’il soit cru, il est recommandé à son auteur de l’imaginer énorme, à la limite de l’extravagant, tant il est vrai qu’une tromperie sophistiquée et minuscule a toutes les chances d’être découverte et bien entendu dénoncée alors que l’énormité est, en la matière, un gage de sérieux .
Le mensonge est tellement subtil qu’à la brutale définition de travestissement délibéré de la vérité, on lui préfère parfois la plus habile « contre-vérité », quand on ne l’affuble pas du qualificatif de « pieux » , ce qui lui donne une toute autre dimension. Traiter quelqu’un de menteur a quelque chose d’infamant, mais si lui préfère le terme d’affabulateur, de bonimenteur, de mystificateur, d’illusionniste... cela a davantage de chance d’être plus facilement accepté. Quant à la casuistique jésuite, elle apporte à la discussion des nuances subtiles.
Dans notre civilisation occidentale, le mensonge est régulièrement pratiqué, qu’il se décline en trahisons, adultères, hypocrisies, affabulations, mystifications, escroqueries..., la liste est longue qui traduit l’imagination humaine en cette matière. C’est une satisfaction personnelle de se dire qu’on a été assez malin pour abuser de la crédulité de son prochain, voire de ses proches, c’est même devenu une règle de vie, la marque d’une réussite sociale et financière que la justice des hommes a bien du mal à sanctionner. Quant à la religion et ses principes judeo-chrétiens, elle peine à les dénoncer au moment où ses ministres tâtent eux-mêmes des prétoires. Si on exclut tout ce qui concerne la vie privée, on ne compte plus les scandales politico-financiers qui ont éclaté justement parce que la confiance sur laquelle était basé le système est soudain venue à manquer, que les victimes ont osé parler, que le hasard s’est manifesté et qu’on n’espère surtout pas la manifestation de la Justice Immanente pour remettre les choses à leur place, elle n’existe pas ! Toutes ces impostures dont beaucoup sont historiques, laissent le témoin sans voix par l’étendue de l’imagination des faussaires mais c’est aussi oublier qu’elles ne réussissent que grâce à la naïveté des victimes. En effet l’imposture peut prendre une dimension collective surtout quand, s’agissant d’un personnage célèbre disparu, on attend son improbable retour. Il serait illusoire de les énumérer, les réunir tient de la gageure mais notre auteur, sur le mode ironique, en dresse une liste, évidemment non exhaustive mais bien réelles puisque les références sont mentionnées… C’est un regard pertinent porté sur l’espèce humaine, ça dure plus de trois cent pages et c’est édifiant!
Duper son prochain permet de se mettre en valeur ou manifeste une volonté plus ou moins consciente d’endosser une personnalité qu’on n’a pas ou une histoire qui n’est pas la sienne. Se prendre pour un autre, le plus souvent descendant d’une lignée prestigieuse, avec titres et patronymes à l’avenant, et surtout vouloir en convaincre ses contemporains pour son seul bénéfice, est devenu une chose quasi courante. On ne compte plus les tentatives le plus souvent réussies d’impostures, même si on s’aperçoit que c’est le plus souvent le fait de personnes fragiles qui pourtant on réussi grâce à l’empathie qu’elles ont suscitée, mais qui ont fini par avouer leur méfait, ont été convaincues de fraude ou sont opportunément passées de vie à trépas. Il n’empêche il y a eu dans le passé beaucoup de morts qui ont ressuscité, et également beaucoup de gens pour en attester ! (actuellement une telle manœuvre a moins de chance de réussir avec l’ADN). Que les politiques se croient obligés de s’indigner publiquement sans prendre la peine de vérifier la véracité des faits est aussi révélateur de leur volonté de faire parler d’eux, quand ils ne cèdent pas trop facilement à la paranoïa ambiante propre à une époque ! Tromper quelqu’un, surtout s’il se dit expert et plus particulièrement si l’université lui confère une aura de sérieuse honorabilité, est un jeu passionnant pour celui qui en est l’auteur. La découverte et la commercialisation de fossiles contrefaits en est l’illustration, sans compter les fausses œuvres d’art, les manuscrits authentifiés par de pseudo-spécialistes, voire la mise en cause abusive de ce qui est officiellement reconnu pour incontestable. Ici la mauvaise foi ajoutée aux manœuvres douteuses emportent souvent la conviction des plus crédules et on ne compte plus les tentatives (réussies) d’extorsions de fonds, le plus souvent aux dépens des plus pauvres à qui on fait miroiter la potentielle richesse, par l’achat de terres lointaines et évidemment fertiles. L’église catholique n’est pas en reste dans cette vaste entreprise de mystification notamment jadis avec la célébration (et la commercialisation) des morceaux de la vraie croix dont il n’est pas raisonnable de penser qu’ils ont pu être authentiques. Cette dernière institution a, en matière de témoignage de la vie du Christ, préféré une bonne fois pour toutes la Vulgate au détriment de tous les nombreux écrits apocryphes sur le sujet. En outre on n’omettra pas les tentatives de captations d’héritage par la rédaction de faux testaments ou codicilles...
Si l’imposture fait partie de l’espèce humaine il est en quelque sorte réconfortant de constater qu’elle-même sujette à contestation, « la fausse imposture prospérant elle-même sur les dénégations qu’elle suscite » ce qui est en quelque sorte un juste retour des choses.
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