Frederica Ber
- Par hervegautier
- Le 09/04/2019
- Dans Mark Greene
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La Feuille Volante n° 1342 – Avril 2019
Frederica Ber – Mark Greene – Bernard Grasset.
A Paris, un homme ordinaire dont nous ne saurons même pas le nom, le narrateur, mène une vie solitaire sans grand intérêt. Un matin, en lisant le journal, il apprend qu'en Italie, dans le massif des Dolomites, on a retrouvé deux personnes mortes, un homme et une femme, attachés l'un à l'autre, au pied d'une muraille rocheuse abrupte. Elle, Phaedra, était d'origine écossaise et lui, Umberto, Italien, architectes tous les deux à Rome. Le fait qu'ils soient ainsi liés entre eux conduit la police à soupçonner un crime rituel, un assassinat, ou un suicide, mais suspecte également une randonneuse qui a été aperçue avec eux et qui a disparu. Son nom est seulement révélé, Frederica Bersaglieri, sans aucune photo ni aucune autre précision. Or ce parisien croit se souvenir que ce nom correspond à une femme qu'il a connue vingt ans auparavant et dont le souvenir s'est incrusté dans sa mémoire, comme une trace indélébile, malgré le temps passé. Elle avait à l'époque une vingtaine d'années, c'était l'été et elle l'avait invité, l'avait en quelque sorte dragué et lui s'était laissé faire, innocemment, presque naïvement, profitant de l'instant présent en se demandant où tout cela allait le conduire (Bersaglieri veut dire tirailleurs en italien!). Ensemble ils avaient bu du vin dans les petits troquets de la capitale ou sur les grands boulevard, exploré les boutiques des bouquinistes et les vieilles brocantes, tutoyé le vide, passé ensemble une nuit sage à la belle étoile sur les toits de Paris, mangé des croissants chauds à l'aube ... mais il n'y a pas eu entre eux de rapports charnels. Il a eu soudain une envie folle de la retrouver. Il y avait quelque chose d'énigmatique chez cette femme, son côté intrépide, espiègle, dirigiste qui avait un temps bousculé sa vie de reclus volontaire. Puis, après une semaine, elle avait disparu. Pour le narrateur, cette femme était évanescente mais aussi une sorte d'invitation à sortir de sa routine esseulée. Parce que le souvenir qu'elle lui a laissé est encore vivace et que les circonstances de la mort de ce couple reste un mystère, il imagine ce qu'aurait pu être sa rencontre avec Phaedra puis avec Umberto dans la montagne italienne, il procède a ce même type de transfert, comme si Frédérica était, pour chacun d'entre eux, une invitation à une nouvelle vie. Tout a son souvenir, et persuadé qu'il s'agit de la même personne, le narrateur explore internet, les reportages, la presse italienne pour en savoir davantage sur cette femme inconnue, savoir si elle a survécu dans cet univers montagneux, si c'est bien elle qui fut son fantôme, vingt auparavant, mais il s'agit malgré tout d'un fait divers, vite gommé par l'actualité internationale
Nous sommes dans une fiction et il est loisible à l'auteur d'en tisser les contours. Il y intègre les rencontres, dues au hasard, à une éventuelle destiné et qui décident parfois d'une vie avec bonheur ou drame. Ici celle du narrateur et de Frederica mais aussi celle qu'il imagine entre cette jeune femme hypothétique et ce couple d’architectes. Il y a beaucoup de développements sur ce thème. Elles sont parfois de simples entrevues éphémères, aléatoires ou au contraire pérennes et le roman se décline en différentes analepses. Les unes correspondent à la réalité, s’inscrivent dans Paris, ses coins secrets, ses squares, ses rues pleines de gens pressés et les autres qui ne sont que le fruit de l'imagination de l'auteur entraînent le lecteur en Italie. Cela j'ai bien aimé à cause du dépaysement. J'ai apprécié aussi que cette semaine d'été se décline sous le sceau d'une amitié un peu bizarre qui ne se termine pas banalement dans un lit, avec descriptions érotiques, plaisirs, déceptions, illusions, serments qu'on jettera aux orties le moment d'exaltation passé. Cela on ne l'a que trop lu. Les relations entre un homme et une femme qui ne se concluent pas par une passade m'ont toujours étonné. L'auteur dessine les apparences d'une sorte de roman policier et en tire le fil imaginaire, mettant en situation Frederica et Phaedra puis Umberto qui se retrouvent, mais je n'ai pas pu m’empêcher d'y voir quelques longueurs, toujours désagréables pour le lecteur. En revanche le regard que porte Frederica sur les choses et sur les gens, prend une dimension différente, inattendue, mystérieuse. Quand elle part pour l'Italie, le narrateur se sent encore plus seul et, pour la retrouver accomplit des gestes rituels un peu fous qui évoquent leurs rencontres dans les rues et les quartiers parisiens, comme une supplique au hasard, comme si cela suffisait à la faire réapparaître. Ce que je retiens aussi c'est la grande solitude de cet homme, comme une réaction au monde extérieur où il n'a pas sa place et qui gardait intact, dans sa mémoire, l'épisode estival avec Frederica.
J'ai pris ce livre que le hasard m'avait désigné sur les rayonnages d'une bibliothèque, comme c'est souvent le cas. Au début je l'ai lu avec curiosité et même un certain plaisir à cause du style fluide et des images poétiques agréables, mais l'épilogue m'a un peu déçu, sans que je sache vraiment pourquoi. M'attendais-je à autre chose, une autre fin était-elle possible nonobstant le contexte de la fiction, l'auteur m'avait-il emmené si loin que j'imaginais autre chose, entre réalité, fantasme, poids du passé, regrets de la vie et attirance vers la mort, nostalgie et solitude… ?
©H.L.
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