la feuille volante

Sheller en solitaire.

 

 

N°257 Août 2006

 

 

Sheller en solitaire.

Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises dans cette chronique, la valeur d’une publication ne réside pas uniquement dans sa nouveauté. Ce disque a été réalisé en public en 1991 par Wiliam Sheller et reprend de nombreuses chansons restées dans ma mémoire.

 

C’est quand même plus fort que moi, j’aime ces mots poétiques auxquels s’accrochent les notes claires d’un piano solitaire et complice. Ils font revivre l’enfance, difficile, nostalgique, la famille qui n’est peut-être pas celle qu’on avait espérée, qui ne correspondait pas tout à fait aux clichés admis «  Dans cette famille où les gens voulaient toujours tout remettre en cause », où la quête de l’autre est forte, interrogative, s’apparente à de l’amour ou à quelque chose qui y ressemble «  Et quand t’étais là, je ne savais rien dire, tu ne voyais même pas ce que ça voulait dire, quelqu’un qui tient ton regard aussi fort ». Chacun s’y s’affirme dans un rapport de force qui sera plus tard la règle d’un jeu adulte «  Fallait savoir passer devant mes frères qui jugent et s’interposent »[Basket Ball]. L’enfance est un bien transitoire où l’on engrange des secrets étranges qu’on est seul à connaître. Ils forment les souvenirs d’un monde à venir, en seront les rêves, les fantasmes, les remords aussi… « Le goût usé d’un souvenir de jeunesse qu’on tire d’une machine à cachous » [Petit comme un caillou] J’ai choisi d’y lire le tumulte, l’angoisse, la peur du lendemain, de la mort peut-être, de l’absence assurément, de l’incompréhension, à cause de la différence d’âge, de l’éducation qu’on doit accepter, des choses qu’on doit faire parce qu’elles se font, et que c’est ainsi«  Nicolas, il veut pas qu’on l’embête, tout ce qu’il a dans la tête c’est qu’ il veut rentrer chez lui, j’veux pas rester icii ».[Nicolas]

 

Mais bientôt, l’adolescent se libère, prend sa vie à pleins bras, la vit avec le hasard pour boussole, pour carte, l’image fluctuante des nuages, respiration blanche sur le fond bleu du ciel, avec des rêves et des projets plein la tête, parce qu’on l’a lâché seul, en lui recommandant de se débrouiller «  On m’a bandé les yeux avant que j’ai vu le chemin, on n’a jamais dit viens, on m’a dit va où tu veux »… Alors pourquoi pas ici ?  [Un endroit pour vivre]. Avec en soi, chevillé à l’âme, la certitude de n’être pas grand chose dans cette grande comédie d’une société qu’on n’a pas choisie et dans laquelle on se débat « Je suis un homme de peu, je suis le fils de rien, on m’a bandé les yeux avant que j’ai vu le chemin ».[Un endroit pour vivre] avec aussi cette solitude qui fait partie du jeu, qu’on aime ou qu’on apprivoise, qu’on exorcise un peu «  je courre à côté d’un train qu’on m’a donné au passage, de bonheur … j’me sens toujours tout seul »[J’courre tout seul]. Il y a ceux qui réussissent et qu’on aime pour cela, qu’on envie, et les autres qui poussent des chimères sans consistance, parce que les mots sont du vent, ne bâtissent que des châteaux de sable, friables et éphémères. C’est qu’ils ne sentent pas bien «  dans ce mal foutu monde » où ils n’ont pas leur place. Leurs histoires d’avenir « ne tiennent pas debout », alors, on les voue à la désespérance.

 

Il y a les jeunes filles qui deviendront femmes, aimantes ou indifférentes. Pour l’adolescent solitaire, elles vivent dans un autre monde, inaccessible, et les rêves deviennent fous «  moi je ne vois rien, je suis fier, et je suis fou de vous … elle s’en fout »[fier et fou de vous] « Est-ce tu sais que j’taime en pagaille, c’est comme un mal de vivre à la débraille » [Les mots qui te viennent tout bas].  Il en reste toujours un peu de ces timidités maladives qui laissent une grande place à la chance «  J’attendais toujours là debout, dans ce dernier coin qui me reste, que tu reviennes un jour passer devant chez nous » [Petit comme un cailloux ]. Parfois on peut aussi choisir de se trouver là, simple spectateur d’un décor «  Les filles de l’aurore… elles ont autour du corps de l’amour et de l’or que l’on peut jouer au dés ». On pense, avec raison peut-être, qu’on y restera toujours un peu étranger, alors on tresse des mots qui sont longtemps restés au fond de sa gorge, qui n’ont jamais pu être dits ; on les écrit, dans le silence de la page blanche et du crissement de la plume sur la feuille. Les phrases, qui parfois sont des vers, sont jetées au vent, au hasard, ou jalousement conservées dans les replis de l’âme, pour qu’elles ne soient pas perdues. Elles sont à l’image de la folie qu’on porte en soi, l’autre face de nous-même ! Mots-messages, confiés au vent comme une bouteille livrée aux vagues, avec cet espoir fou qu’ils seront reçus et compris. Ce ne sont plus de simple vibrations mais de véritables déclarations intimes « Jusqu’à chanter des mots où tu te reconnaîtras » [Un endroit pour vivre]

 

La figure de la femme est présente, certes un peu idéalisée, un peu enivrante aussi. Elle accompagne cette vie, l’embellit peut-être. Sa conquête devient une quête intime et perpétuelle « J’ai gardé un mirage dans un drôle de cage, comme savent construire les fous… je t’ai cherchée partout » [Les miroirs dans la boue] 

 

Quand même, la recherche du bonheur qu’on n’a pas connu est légitime, parce qu’on n’a qu’une vie, parce qu’on l’a juste entr’aperçu, comme une vision furtive, à travers les yeux des autres avec cette intuition prégnante, que ces joies existent mais ne sont pas pour soi [Je voudrais être un homme heureux] Alors on aborde ce monde et les gens qui le peuplent avec retenue, avec crainte, parce que cette quête reste empreinte de mystères, de doutes, parce l’amour procède de cette étrange alchimie où l’inconnu le dispute à l’espoir… « Et moi j’te connais à peine, mais ce s’rait une veine qu’on s’en aille un peu comme eux, on pourrait se faire, sans qu’sa gêne, de la place pour deux » [un homme heureux]

 

La solitude de William Sheller n’est pas seulement celle du musicien face à son instrument, ses doigts effleurant parfois les touches noires et blanches, parfois les frappant littéralement. Mots et notes trahissent cet isolement, cet abandon, que la poésie distille. Il y a dans la musique et dans ce compagnonnage avec son piano quelque chose de doux et de violent à la fois. Avec ses mots poétiques, cela donne quelque chose de bien, un dépaysement, une complicité, un climat ...

 

 

 

© Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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