Massif Central
- Par hervegautier
- Le 04/02/2019
- Dans Christian Oster
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La Feuille Volante n° 1320
Massif central – Christian Oster – Éditions de l'Olivier.
Comme dans tous les romans de Christian Oster, le thème est assez simple au départ. Paul, ex-architecte, vient de quitter Maud, sa compagne, qui l'avait préféré à Carl Denver, un individu assez inquiétant et même violent mais extrêmement cultivé dans le domaine du cinéma où il exerce le métier critique et dont les jugements tranchés sont redoutés. Jusque là, rien de bien original. Paul avait connu Maud quand elle était encore avec Carl et la jeune femme avait été si impressionnée par la culture de ce dernier qu'elle avait fini, inconsciemment, par être dépositaire de l'agressivité de son compagnon. Ainsi, quand elle avait décidé de vivre avec Paul, était-elle toujours sous l'influence culturelle de ce son ex, ce qui indisposait son nouveau compagnon et provoquait de fréquentes disputes entre eux. Il vivait cela comme une sorte de possession et ce genre de situation avait érodé l'amour qu'il avait pour elle de sorte que, pour s'en libérer, il avait résolu de la quitter. Il était devenu pour elle une véritable étranger, ce qui lui était insupportable, et c'était en quelque sorte une victoire involontaire de Carl qui cependant ignorait tout de leurs relations difficiles et de leur séparation mais regrettait amèrement Maud au point, apprit Paul, de le rechercher dans Paris, sans doute pour lui faire payer physiquement sa trahison. Il décide donc de fuir au hasard. Après pas mal d'étapes, pas mal d'amis rencontrés, parfois par hasard, il souhaite aller dans le Massif central, où il ne va d'ailleurs pas (Limoges n'est pas à ma connaissance dans ce massif montagneux). Ici nous n'avons pas affaire à un banal adultère mais à une rupture d'un tout autre genre et, bien entendu, le thème « ostérien » de la fuite s'invite à nouveau. Les anciens l'on exprimé à leur manière puisque voyager n'est pas guérir son âme. Au fur et à mesure que le temps passe, Paul s'aperçoit qu'il aime toujours Maud, mais à propos de ses diverses rencontres avec ses amis, le souvenir de Carl ne le quitte pas non plus, à en devenir obsédant, ce qui témoigne d'une dangereuse tendance à la paranoïa. Ainsi s'instaure une sorte de ménage à trois différent du schéma classique mais intéressant dans sa configuration, quelque peu fugace et fantasmée. La solitude de Paul favorise son voyage dans le passé et il se souvient qu'au début de sa vie commune avec Maud, Carl avait continué de les fréquenter tous les deux en une relation bizarrement apaisée, puis avait disparu sans aucune explication. La crainte d'une confrontation physique avec lui n'était venue que par la suite et avait déterminé Paul à fuir après avoir rompu avec Maud. On se demande s'il ne devient pas fou, mais la présence supposée de Carl qui serait constamment à sa poursuite est tellement obsédante qu'il le voit partout et va même jusqu'à l'accuser du meurtre d'un de ses amis qui apparemment n'est qu'un suicide, imagine qu'il rencontre son double, l'accuse de folie, c'est à dire qu'il est maintenant carrément mythomane.
Dans sa course vers le néant, il semble se ressaisir en s'intéressant à Hermine, une cliente d'un des hôtels où il est descendu mais aussi un être plus désespéré que lui. Avec elle, il fait le projet de partir et apprend qu'elle partage avec lui une certaine recherche du vide. On ne sait rien des relations qu'il entretient d'ordinaire avec les femmes, ce qu'il pouvait bien dire à Maud, mais celles qu'il a avec Hermione paraissent aussi absurdement surréalistes que ses affabulations autour de Carl. Il part avec elle en direction des plages du Nord mais ce que nous aurions pu imaginer comme une passade entre eux se termine différemment, avec en toile de fond la silhouette de Carl, comme une obsession.
Je dois dire que la découverte de l’œuvre d'Oster me procure des impressions contradictoires, à la fois un rejet à cause des phrases trop longues que je retrouve cependant chez Mathias Enard, avec en plus une appétence pour le détail parfois inutile et une architecture bizarre, mais aussi une sorte d'attirance due peut-être à l'analyse psychologique au scalpel des personnages, l'ambiance labyrinthique de ses romans où le lecteur est toujours un peu perdu, à la lisière de quelque chose qui se dérobe devant lui. Il n'est pas rare que, le livre refermé, je me demande si j'ai bien compris ce que je viens de lire et qu'il serait bien possible que je sois passé à côté d'un chef d’œuvre sans même m'en rendre compte. Ici, le titre laissait à penser que l'action devait se dérouler dans le Massif central que Paul n'atteint jamais nonobstant ses nombreuses pérégrinations. Après tout, ce n'est pas grave puisque Boris Vian a bien écrit « L'automne à Pékin » qui ne se passe ni en automne ni à Pékin mais qui n'en est pas moins un roman magnifique.
J'ai donc appris à me méfier avec Oster, la simplicité du départ n'est qu'apparence. Paul me fait l'impression de quelqu'un qui se fuit lui-même, incapable de se lier à une femme, incapable de vivre normalement, définitivement seul.
©Hervé GAUTIER – Février 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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