la vie spirituelle
- Par hervegautier
- Le 27/08/2017
- Dans Laurence (Lorette) Nobécourt
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1167
la vie spirituelle – Laurence Nobécourt – Bernard Grasset.
Ce que confesse au lecteur Laurence Nobécourt peut partaître étonnant. Elle avoue avoir inventé un poète japonais, Yazuki, dont elle cite les vers et dont elle veut faire la biographie. C'est une démarche intéressante à laquelle se livre l'auteure. Ce qu'elle nous propose n'est pas un roman, l'éditeur ne le baptise d'ailleurs pas ainsi, c'est une sorte de démarche personnelle et créative qui commence par la honte d'être née, d'exister. Pour faire face à cela, pour l'exorciser peut-être, elle a commencé par des romans (sous le nom de Lorette) pour leur préférer la poésie et la création d'un un personnage, ce poète japonais du nom de Yazuki parce qu'elle était attirée par ce pays, par sa culture, sa manière de vivre, au point qu'elle a toujours eu l'impression d'avoir été japonaise. Il est vrai que depuis toujours le Japon fascine l'occident. En réalité ce n'est pas si étonnant que cela puisque l'imagination est le domaine de l'écrivain, que la poésie est un monde parallèle où se réfugient bien plus de gens qu'on ne pense parce qu'ils se souviennent de leur enfance et des croyances puériles qui vont avec, et aussi parce que le monde tel qu'il est ne leur convient pas. Une fois créé, cet être va simplement vivre, aimer dans une sorte de microcosme où l'idéal est de mise, entre l'absolu et l'imperfection simplement parce qu'il est à l'image de l'écrivain qui lui insuffle la vie mais aussi lui prête ses phobies, ses fantasmes. Elle est consciente que ce personnage est fictif mais elle va lui donner une vie solitaire, va écrire sa biographie, citer ses poèmes, lui inventer une compagne idéale, Haru, et même se rendre au Japon pour le rencontrer ! Après tout un écrivain comme Fernando Pessoa n'a pas fait autre chose avec tous ses « hétéronymes » qui complètent et éclairent son œuvre. Il va sans dire que la vie de ce Yazuki est d'une autre nature que la nôtre puisqu'elle est imperméable au temps, qu'elle est spirituelle !
J'ai toujours personnellement trouvé passionnant cette position créatrice d'autres personnages, à la fois semblables et différents de l'auteur à qui ils doivent la vie, comme je suis toujours étonné qu'à l'intérieur d'un roman, une créature, par essence fictive, prenne sa liberté et vive une vie qui parfois échappe à l'auteur lui-même qui est pourtant censé en titrer les ficelles. Le plus étrange, si on en croit l'auteur, c'est que Yazuki existe réellement, mais c'est une femme et ce nom n'est qu'un pseudonyme ce qui est une manière de se cacher du monde ! L'auteur ressent cela comme une perte, mais aussi, comme une délivrance. En signant ses propres poèmes qu'elle attribuait à Yazuki elle ainsi dépassé sa honte d'exister grâce à l'écriture. La rencontre qu'elle souhaite au Japon ne sera cependant pas possible entre elles, comme une sorte de symbole. Laurence abandonne cependant le personnage de Yazuky et toutes les fictions qui accompagnent sa vie. A l'entendre, la révélation de cette existence réelle est comme une renaissance, une sorte de prise de conscience en pointillés d'une autre forme de vie. La démarche de l'auteure me paraît intéressante dans la mesure où elle dépasse l’imaginaire. Le poète qu'elle avait imaginé existe vraiment mais il ne correspond pas du tout à l'image qu'elle en avait tissée. Sa démarche d'aller au Japon révèle pour elle, le silence, la solitude née notamment de cette langue qu'elle ne parle pas, le vide né de l'absence d'habitudes parce que sa vie est ici seulement vouée au présent. Auparavant, elle écrivait par mélancolie mais maintenant les mots lui manquent, elle a conscience de ne plus exister, ce qui lui donne l'intuition de la mort. Face à cela, il ne lui reste plus qu'à retrouver Yazuky, pas le vrai mais celui qu'elle a inventé, qu'elle va inviter dans le texte qu'elle va écrire et qui ainsi deviendra un roman, une fiction où il vivra avec Haru.
Elle inscrit ce personnage dans ce décor imaginaire mais copié quand même sur la vraie ville de Kyoto où elle vit temporairement. Cette démarche me paraît aller dans la même sens que la création de ce personnage nippon et peut parfaitement avoir ses sources dans une mémoire héréditaire dont les racines se perdent dans les alvéoles du temps où aucune explication rationnelle n'a sa place. Le plus étonnant dans cette démarche, c'est que l'auteure, une fois qu'elle eut réalisé que le personnage de Yazuki avait une réalité, elle a cherché à le récupérer en tant que personnage de roman, mais tel qu'elle l'avait imaginé, un peu comme s'il vivait sa vie romancée ou l'auteure aurait la seule direction de ce qui lui arriverait. Elle donne libre cours à son amour pour le Japon tout en sachant que le livre qu'elle voulait écrire sur Yazuki n’existera jamais comme elle l'avait imaginé et qu'il lui faudra en faire le deuil. De cette certitude naît une sorte de lassitude, de solitude, de vertige, de vide. Il en résulte une impossibilité d'écrire, un échec. Pourtant son instinct de créateur reprend le dessus. Elle va s'approprier Yazuky, mais celui qu'elle a crée, pas le véritable qui dès lors ne l’intéresse plus, sans doute parce qu'il est bien différent de celui qu'elle a modelé. Sur place il y a l'obstacle de la langue qui accentue l'absence de communication ce qui la fait revenir à un présent bien présent qui, du coup, fait s'évanouir ses rêves nippons. Laurence reste un écrivain qui va se raccrocher aux mots, aux siens, parce cette expérience est source de création. Dès lors, son voyage au Japon n'aura pas été inutile, ce pays sera l'écrin de sa création, Elle va y réunir et y croiser ses personnages qui ainsi ont repris vie dans une sorte d’intemporalité qui ressemble peut-être à l'éternité. Le roman se trame et s'écrit de lui-même, comme par miracle et les mots viennent, jusqu'à la rencontre imaginaire entre elle et Yazuki, à la fois révélatrice et énigmatique, quelque chose d'initiatique comme ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, générateur à la fois de paix intérieure et de création littéraire. Le monde réel est fragile, surtout au Japon et ce malgré les apparences et la page se tourne comme celle d'un livre mais c'est pour elle une sorte de philosophie, une sagesse aux dimensions poétiques qui se confond avec la floraison du printemps qui renaît.
Au départ, ce n'était pas facile mais j'avoue avoir suivi la démarche de cette auteure parce que cette expérience avait pour moi quelque chose de personnel et que j'étais curieux du résultat qu'elle obtiendrait. Je ne connaissais pas Laurence Nobécourt et j'aurais sûrement plaisir à poursuivre cette découverte
© Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
Ajouter un commentaire