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la feuille volante

Les attentifs

N° 1434 - Février 2020.

 

Les attentifs – Marc Mauguin – Robert Laffont.

 

C’est sans doute très personnel mais je partage depuis longtemps avec l’auteur l’intuition que les toiles d’Edward Hopper, parce qu’elles suggèrent l’attente, invitent à l’écriture parce qu’elles portent en elles quelque chose d’inexprimé qui vous transporte ailleurs, dans un autre univers et vous incitent à le partager, un peu comme si les formes, les couleurs et les êtres suscitaient le prolongement de l’histoire. Les personnages de ses tableaux ont dans les yeux quelque chose de mélancolique qui trahit l’état de leur âme et on peut y lire, pour peu qu’on y soit attentif, les aspects délétères de la condition humaine, le désamour, la trahison, l’incompréhension, l’abandon, le désespoir, le vide, le mal de vivre, les fantômes et les remords que chacun d’entre nous porte comme une croix. Je les sens abandonnés, victimes des autres et spécialement de leurs proches qui les connaissent mieux que personne, savent comment les blesser efficacement et qui ne s’en privent pas. Ils le font par vengeance, par méchanceté, par intérêt, par plaisir ou simplement pour se prouver qu’ils existent. Ils sont victimes de leur destin et l’acceptent parce qu’ils ne peuvent faire autrement et ce fatalisme engendre la solitude, le désarroi, une sorte de néant qui fait que, comme le dit Pessoa, ils ne sont rien, mais portent en eux «  tous les rêves du monde », à jamais trahis et impossibles. Ils se raccrochent à n’importe quoi mais tout se dérobe devant eux et les mots qu’ils pourraient prononcer ou écrire pour se libérer restent en eux parce qu’ils n’ont pas réussi, malgré leur bonne foi et leur volonté de bien faire, à trouver leur place dans ce monde, et savent pas qu’ils ne la trouveront jamais mais auront à subir au contraire critiques et lazzis.

 

Cette « saudade », comme disent les Portugais, les rend un peu mythomanes, parfois trop confiants et ils s’imaginent, à titre de compensation pour ce que la vie ne leur donnera jamais, des situations où ils ont le meilleur rôle, se tricotant des fragments d’une vie dont ils ne verront jamais l’ombre d’une réalisation et ils finissent même par y croire malgré les douleurs, les rides ou le fard. Ils font même semblant d’être heureux dans cette solitude faite de frustrations ou dans une vie de couple qui lentement se désagrège au fil du temps, se transforme en mensonges, en trahisons et en adultères, dans une société au vernis suranné où ils voudraient oublier le quotidien avec ses désillusions, sa recherche du plaisir de l’instant et de l’inconnu, la légèreté de l’être, le temps qui passe et l’écume des jours, mais la routine s’impose à eux avec ses usages, son hypocrisie et c’est le vide qui s’installe et avec lui le souvenir des mauvais moments, les regrets, le silence pesant et désespéré, avant-coureur d’une mort considérée comme la fin d’un parcours ou peut-être désirée comme une délivrance. Cette condition humaine qui parfois est une comédie se mue petit à petit en drame intime et silencieux.

 

Nombres de ces nouvelles ont pour cadre le Cap Cod, inséparable de Hopper. J’en imagine les dunes battues par le vent, le bruit du ressac, le cris des mouettes et ce paysage se marie aux personnages de ses peintures, d’autres ont pour cadre New-York, cette ville mythique qui fait aussi partie de l’univers créatif du peintre. L’écriture de Marc Mauguin épouse parfaitement l’ambiance que Hopper entend instiller sous son pinceau. L’auteur choisit un tableau, se l’approprie en le décrivant ou en l’évoquant et retrace autour des personnages et du décor une autre histoire qui témoigne de la communion qui existe entre eux et de la force créatrice qu’il porte. Ces êtres fictifs, il les fait même se croiser, se rencontrer, se connaître, s’oublier, fuir vers un autre quotidien pour découvrir du nouveau ou du mystère, se retrouver malgré le temps et la distance, comme cela arrive parfois dans la vraie vie.

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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