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la feuille volante

Mireille, ouvrière de la chaussure

La Feuille Volante n° 1323

 

Mireille, ouvrière de la chaussure Philippe Gaboriau – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».

 

Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.

 

L'histoire de Mireille, née en 1924, est bien banale, comme celle des gens de ce petit village du Maine et Loire, peuplé de paysans et d'ouvriers, proche de Cholet qui était à l'époque la région la plus manufacturière de France. On entrait dans le monde du travail, tout juste sorti de l'enfance pour trimer chez les autres. Elle fut bonne à 12 ans puis, plus tard, ouvrière de la chaussure. Elle s'est mariée avec Cyrille, un Vosgien rencontré lors d'une noce, a eu deux enfants, a vécu sa vie entre l'usine et le travail de la maison, la messe du dimanche et la résignation prônée par l’Église catholique, a pris sa retraite pour mourir d'un cancer en 2007. Une vie dure mais tranquille finalement parce qu'elle n'a pas cherché à sortir de sa condition, n'a jamais eu de voiture, aimait la cuisine roborative, comptait en anciens francs, payait en liquide, faisait des économies, était réfractaire au changement d'heure, gaulliste, patriote et royaliste, à cause de la région sans doute …l'image d'une certaine France à la fois traditionnelle et attentiste.

 

L'auteur la met en scène en transcrivant ses propres paroles, brutes et sans aucune fioriture, dans ce qui peut s'apparenter à une étude sociologique. En effet, elle parle et puise son monologue dans ses souvenirs, évoque la vie rurale, les habitudes traditionnelles d'un petit village, puis plus tard l'arrivée de la radio, de la télévision avec les « informations » de l'époque et du monde, mais surtout des émissions grand public, alors fort prisées, des noms d'animateurs emblématiques qui ont émergé mais qui se sont dissous dans le passé où qui se sont installés dans la notoriété, des slogans qui ont un temps fait florès mais qui se sont dilués plus tard dans des années de silence, des titres de chansons qui étaient le miroir d'une société qui renaissait... Elle aimait chanter les rengaines où se mêlaient amour, humour, folklore, quotidien, temps qui passe et temps passé. Pour ceux qui ont connu cette période, cela leur dit sûrement quelque chose mais surtout ce n'est pas de nature à les rajeunir ! C'est que ce catalogue vintage où se bousculent les « réclames » et titres d'émissions maintenant oubliées, devient vite fastidieux. A travers cette trop longue énumération, on mesure certes l'évolution des choses, la marche du progrès, l'installation d'un mieux-être pour ceux qui ont connu la difficile période de la guerre, celle de l'après-guerre et l'explosion des « trente glorieuses » mais cet inventaire devient vite lassant. Pire peut-être ce n'est pas convivial comme cela pourrait l'être sans doute parce que les citations sont trop longues, trop nombreuses.

 

Pourtant on a de l'empathie pour cette femme, pour ses jugements définitifs et sans nuance, pour son parler patoisant et peu respectueux de la grammaire où, si on tend un peu l'oreille, on entend l'accent chantant de la Vendée. Elle a travaillé dur toute sa vie et a bien mérité sa retraite, est sans doute satisfaite de son chemin et de celui de son mari, parce qu'ils sont été honnêtes et ont fait simplement leur devoir d'état sans rien demander aux autres, mais bizarrement peut-être cela n'a pas suffit à m'émouvoir, c'est trop descriptif, trop administratif, trop long, pas assez chaleureux. Elle n'a pas manqué pas d'évoquer ses regrets « du bon vieux temps » d'avant, quand elle était jeune mais pauvre même si celui d'après, où elle a été certes plus à l'aise financièrement, lui a permis de réaliser certains de ses rêves. Mais la peinture qu'elle a pratiquée en autodidacte, à la retraite, dans le silence, la réflexion et la création, a accentué un isolement que j'ai ressenti dans ses propos tout au long de ce récit et que son veuvage a consacré. Certes, c'est elle le sujet, mais j'ai eu l'impression dans son témoignage d'une solitude psychologique, Mireille ne parlant vraiment de son mari que lorsqu'il tombe malade et va mourir, un peu comme si, pendant toute leur union, il n'avait été qu'une ombre, que toute la responsabilité de cette famille avait pesé exclusivement sur ses épaules à elle, qu'elle avait exercé une sorte de matriarcat au sein du couple. A l'époque on ne divorçait pas pour des raisons religieuses ou culturelles, et ils ont donc vécu côte à côte, en se supportant plus qu'en s'aimant, comme cela arrive finalement dans les vieux couples.

 

Je retiens cependant que cet ouvrage est une manière de tirer Mireille de l'oubli qui est un grand défaut de l'espèce humaine, de marquer son passage en ce monde, de souligner une trace qui sans cela se serait vite effacée. Elle était la tante de l'auteur et cela a été pour lui un acte de mémoire à l'intention des générations à venir, un travail autour de sa famille, de son village natal, autour de la condition ouvrière en milieu rural, une manière d'explorer sa généalogie personnelle, la culture populaire et la vie qui est fragile, unique, même si elle est très ordinaire.

 

©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

 

 
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