Reste avec moi
- Par hervegautier
- Le 26/12/2019
- Dans Ayòbámi Adébáyò
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La Feuille Volante n° 1417– Décembre 2019.
Reste avec moi - Ayòbámi Adébáyò - Éditions Charleston.
Traduit de l'anglais par Josette Chicheportiche.
Ce titre qui est la traduction française d'un prénom africain résonne comme une incantation, une prière et il faut attendre la fin pour savoir qui la prononcera. Ce roman est l'histoire de deux frères, l'un qui a réussi et l'autre non, mais aussi celle d'un amour malheureux entre deux époux avec tout le poids implacable du destin et la nécessité de l'acceptation de soi-même.
Nous sommes dans le Nigeria des années 1980, ses tensions et ses changements politiques, avec l'insécurité qui règne dans ce pays. Dans ce contexte, l'histoire d'amour entre Yejide et Akin leur rencontre l'université, leur mariage, les premiers temps de leur union paraissent être une sorte de havre de paix. Pas si sûr cependant. Ces deux jeunes gens ont reçu une éducation moderne européenne, sont catholiques, ont chacun une activité professionnelle, mais ils sont d'origine africaine et ne peuvent ignorer le poids des traditions, des coutumes, des croyances fétichistes de ce pays. Il y a dans ce couple une opposition constante entre ces deux cultures. Pour Yejide, il y a certes l'envie de ces enfants qui viendront couronner leur amour mais surtout l'obligation qu'elle a de donner des héritiers à son mari et à sa famille puisque la tradition veut que celui qui en a possède le monde. Elle doit donc être enceinte et pour cela ne recule devant aucune consultation de médecins spécialistes, aucun traitement, jusqu'à la sorcellerie et ses étranges potions. Pourtant quatre ans après son mariage, malgré une longue et douloureuse attente de maternité, elle n'est toujours pas gravide et la solution que trouve Akin, sans toutefois en parler à son épouse, est des plus étonnantes, alors même qu'au départ on a l'impression que tout se passe en dehors de lui. Cela résonne autant comme une preuve d'amour pour son épouse que comme une soumission aux traditions familiales africaines.
Il y a plusieurs manières de lire ce roman. Il est fait de beaucoup d'analepses et d'un discours croisé entre Yejide et d'Akin liés au départ par un authentique amour. Lui, c'est un jeune homme bien sous tout rapport qui ferait tout pour son épouse et sa famille, mais la démarche qu'elle accepte spontanément de la part de son beau-frère, Akin, un joueur alcoolique sans envergure qui trompe sa femme et se soucie peu de sa famille, c'est à dire l'exact contraire de son propre frère, est révélatrice. C'est pourtant avec lui qu'elle choisit de tromper son mari et de trouver du plaisir dans cette relation adultère renouvelée. Elle en conçoit certes de la culpabilité judéo-chrétienne, surtout lorsqu'elle tombe enceinte de cet amant, et ces deux premiers enfants, atteints d'une maladie génétique qui entraînera leur mort est ressenti comme une punition divine notamment à travers l'histoire locale de "l'arbre iroko". Face a une telle situation, elle en appelle à Dieu, pas celui de le jungle mais celui de son baptême mais le destin est implacable pour elle qui déroule sa malédiction comme une sanction. Face à cela, le problème de la rédemption est posé ainsi que celui du pardon.
Au fur et à mesure de cette liaison un peu surréaliste, les relations entre les protagonistes évoluent faites de violence, de non-dits, d'hypocrisie, de mensonges, de remords, de honte, de mépris. Cela nous rappelle que nous ne sommes que les modestes usufruitiers de notre propre vie, que les choses humaines sont fragiles, que l'amour est une chose consomptible et ne dure pas toujours. Ce roman, qu'on peut parfaitement lire comme un témoignage davantage que comme une fiction, est réaliste en ce qu'il évoque l'obligation horrible faite aux parents d'aller aux obsèques de leurs enfants mais aussi en ce qu'il brise aussi la trop facile image d’Épinal de l'homme qui abandonne sa famille et son épouse et en tout ce qu'on ressent comme injustice et solitude au moment de cette séparation. Dans le cas de Yejide on peut aisément opposer sa recherche égoïste du plaisir à la bienveillance de son mari. Il l'est cependant un peu moins à la fin qui ressemble à un "happy end" un peu trop convenu. Ce roman a aussi une dimension documentaire puisque non seulement il explore les langues et mythologies vernaculaires, mais également les coutumes et autres rituels ainsi qu'en attestent les nombreuses notes de bas de page.
Je ne suis vraiment entré dans ce roman que très tardivement, vers la moitié, mais à partir de ce moment, il a constitué pour moi un texte captivant et bien écrit.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.
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