LA VIE EN SOURDINE-David Lodge – Éditions Rivages.
- Par hervegautier
- Le 21/06/2012
- Dans David Lodge
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N°583– Juin 2012.
LA VIE EN SOURDINE – David Lodge – Éditions Rivages.
Traduit de l'anglais par Maurice et Yvonne Couturier.
Desmond Bates est un ancien professeur de linguistique à la retraite dans une petite ville du nord de l'Angleterre. Il est veuf, sexagénaire et remarié avec Winfred dont il est très amoureux. Elle est de quelques années sa cadette mais sa vie mondaine et professionnelle est assez débordante. S'il a choisi une retraite anticipée c'est qu'il a un grave problème d'audition. Il n'est pas complètement sourd, mais plutôt malentendant et se sent maintenant inutile[« Que vais-je faire de moi aujourd’hui ? », question à laquelle il se trouvait confronté chaque matin en se réveillant depuis qu'il était à la retraite »], surtout devant la réussite professionnelle de sa femme. C'est sans doute pour cela qu'il accepte une tournée de conférences en Pologne alors que rien ne le justifie. Comme tous ceux qui souffrent d'un tel désagrément, il est isolé du monde extérieur, malgré les appareils auditifs avec lesquels il semble avoir pas mal de difficultés. Il se réfugie dans la lecture quotidienne du « Guardian » et les visites qu'il fait à son père, seul, vieux et sourd lui aussi. A l'occasion, il ne dédaigne pas un petit verre !
Les activités culturelles de son épouse l’entraînent souvent dans des manifestations où il s'ennuie d'autant plus qu'il entend mal. Dans l'une d'elles, il fait la rencontre d'une jeune étudiante américaine, Alex Loom, qui lui tient un long discours auquel il n'entend goutte, et pour cause! Elle le relance pourtant le lendemain en lui demandant de l'aider dans sa soutenance de thèse... avec pour thème une approche particulière sur le suicide, le lecteur comprendra pourquoi par la suite. Le sujet intéresse Bates, mais ce qui le gêne c'est que ce travail se fera dans le dos d'un de ses collègues encore en poste et surtout qu'une relation équivoque commence à se nouer entre la jeune fille un peu fantasque, affabulatrice et aguicheuse et le vieux professeur. Finalement, elle repartira en Amérique sans avoir mené ses recherches universitaires à leur terme. Son départ illustrera une nouvelle fois son côté cynique et manipulateur.
Le récit prend la forme d'un journal intime tenu par Desmond lui-même, donc à la première personne mais, bizarrement, il change et écrit « Je me sens pris par une brusque envie d'écrire à la troisième personne » pourtant il emploie le « je » dans la presque totalité du récit. Ce texte est la narration d'une tranche de vie d'un vieil homme qui s'ennuie dans sa récente retraite et qui collationne ce qui lui arrive, ses réflexions sur la mort, sur l'amour qu'il porte à sa jeune épouse et ses états d'âme sur une passade possible avec Alex.
Au départ je trouvais que la relation du quotidien de Desmond procurait une lecture fastidieuse, notamment ses tribulations avec son appareil auditif, ses fantasmes personnels et sexuels quelque peu échevelés, ses démêlés avec Alex , ses cours de lecture labiale, les difficultés avec son père aussi sourd que lui, veuf et atteint par la maladie d’Alzheimer. Il excelle pourtant dans la description des moindres gestes, des plus petits détails et s'attache son lecteur qui, grâce à son humour subtil, a envie d'en savoir davantage, même si parfois ses digressions prennent une dimension dangereusement universitaire. Il réussit à rire de lui-même, trouvant dans son infirmité matière à plaisanter(«la surdité est comique, la cécité est tragique », « Il y a au moins une chose que nous autres les sourdingues réussissons à faire dans une réception, c'est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n'ont pas se plaindre de moi en la circonstance »), et ce malgré le fait qu'il associe la surdité à la mort. Le titre anglais lui-même [Deaf Sentence] est un jeu sur le mot deaf (surdité) et death (mort). L'hospitalisation de son père consécutive à une attaque et son décès lui rappellent celui de sa propre mère, « organisé » par son entourage.
En fait, Desmond est à a recherche du bonheur qu'il pensait avoir trouvé en épousant Winfred. Mais cette femme plus jeune que lui, se dérobe de plus en plus à ses sollicitudes sexuelles, lui échappe et il note qu'elle se conduit par rapport à lui « comme une étrangère » plus soucieuse de de son travail que de son mari... et lui l'attend toute la journée à la maison. Sa visite solitaire au camp d'Auschwitz en est l'allégorie, de même que le plaisir qu'il ressent à rester dans le silence qui le protège des agressions du monde extérieur. Il ne profite même pas de la présence d'Alex qui pourrait représenter pour lui une foucade. C'est tout le problème des hommes qui ont épousé des femme plus jeunes et qui désirent le rester et Desmond se prépare à reproduire l'exemple de son père dont il s'occupe pourtant avec patience. On imagine très bien ce qu'il adviendra de lui dans quelques années et la déréliction qui en résultera.
C'est donc un roman doux-amer que nous livre ici cet auteur à la fois érudit et drôle bien qu'il traite de la maladie, de la vieillesse, de la dégradation physique, de la fin de vie et de la différence grandissante qui existe entre un homme vieillissant et une épouse plus jeune que lui et je ne parle pas de de la valse- hésitation de Desmond face à Alex, ses interrogations, ses craintes pour l'avenir, sa phobie de la mort ...
J'avais lu avec plaisir « Jeux de maux » du même auteur (La Feuille Volante n° 330). Encore une fois, je n'ai pas été déçu, David Lodge est vraiment passionnant.
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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