Petit pays
- Par hervegautier
- Le 25/07/2017
- Dans Gaël Faye
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La Feuille Volante n° 1156
Petit pays – Gaël Faye – Grasset (Goncourt des lycéens 2016)
C'est l'histoire du petit Gabriel, 10 ans, dans les années 1990, fils d'un père jurassien et d'un mère Tutsi, autant dire un métis, d'autant plus mal à l'aise dans l'une et l'autre communautés que ses parents vont très tôt se séparer. Dans cette région d''Afrique dévastée par la guerre il comprends mal que les Hutu et les Tutsi qui pourtant ont beaucoup de points communs et vivent ensemble, se sont massacrés pour de basses raisons politiques et surtout ethniques. Gaby vit à Bujumbura chez son père une jeunesse insouciante avec ses copains dans la moiteur des jours, la musique et la saveur sucrée des mangues. Puis les événements extérieurs se précipitent qui couvaient déjà depuis longtemps, un coup d’État militaire, un avion abattu où voyageaient deux présidents, ce qui ressemble à un attentat, les Hutu qui appellent à massacrer les Tutsi et tout un pays où jadis il faisait bon vivre bascule dans la guerre civile avec ses haines fratricides, ses massacres, ses barrages militaires, sa peur qui s’empare de toute la population, l'intervention des troupes françaises...
Gaby nous raconte sa vie d'enfant spontanée et insouciante qui soudain rencontre la terreur, le retour en métropole des Français, la panique, la mort. Pour Gaby, cela remet en cause bien des choses et le fait sortir brutalement de l'enfance. Il connaît un peu malgré lui cette situation surréaliste de la vie qui reprend après les hostilités, tout juste émaillée d'un lynchage ou d'un assassinat en pleine rue sous le regard indifférent des autres personnes, pressées de passer leur chemin ou curieuses de cette animation soudaine. Il parle avec ses mots du génocide, du meurtre gratuit de ses cousines, de cette guerre civile qui creuse chaque jour un gouffre entre les gens et le traumatisme que vit sa mère. Face à cet état de chose inadmissible il y a cet état de sidération, pas de culpabilisation, c'est trop judéo-chrétien et parfaitement inutile, mais cette intuition de l’injustice qui fait que certains sont morts et ne le méritaient pas et que d'autres sont vivants et resteront marqués à vie par ces assassinats qui rendent sa mère folle de rage ou de désespoir et en perd la raison. Le petit Gaby fait ainsi connaissance avec l'espèce humaine à laquelle il appartient lui aussi, même s'il ne la comprend pas. Il prend conscience que l'impasse dans laquelle il jouait avec ses copains se transforme, elle aussi, en repère de mort, qu'un homme , animé des pires intentions, change quand il a une arme à la main face à quelqu'un de désarmé... Cette nature humaine est, quelque soit les latitudes, la couleur de peau ou la religion, toujours assoiffée de sang, de violences et de destructions et cette révélation le bouleverse, lui qui serait bien resté encore un peu dans le doux et rassurant cocon de l'enfance. Il croit rencontrer l'amour avec sa correspondante française qu'il n'a jamais vue et son jeune âge lui en donne l'impression à travers les lettres qu'ils échangent mais tout cela n'est qu'un pis-aller et il restera marqué à vie par cette épreuve. Il s'accroche aussi à sa nouvelle passion pour les livres que lui prête une voisine et qui stimuleront son imaginaire. Ses parents non plus n'en sortent pas indemnes même si la vie reprend ses droits, du moins en apparences.
C'est un livre émouvant où on passe du paradis à l'enfer du génocide mais à travers les yeux d'un jeune enfant, qui nous fait ressentir la nostalgie d'un paradis perdu.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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