La légende de nos pères
- Par hervegautier
- Le 14/03/2017
- Dans Sorj Chalandon
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La Feuille Volante n° 1115
La légende de nos pères – Sorj Chalandon – Grasset.
Le narrateur à 27 ans quand son père, Pierre Frémaux meurt en 1983 et, devant le cercueil, il prend conscience que cet homme à été un Résistant, un combattant pour la liberté, un déporté, mais qu'il n'a jamais fait état de cette tranche de vie. Dès lors, et puisqu’il est biographe de profession, il ressent comme un devoir de rendre hommage à cet homme d'exception qui n'a jamais rien demandé, ni décoration, ni reconnaissance et n'a voulu faire que son devoir. Il veut être au rendez-vous de la mémoire qui vous fait remonter le temps et porter témoignage pour les générations futures. Quelques années plus tard, il est contacté par une jeune femme, Lupuline, dont le père, de son nom de guerre Tescelin Beuzaboc, a été un héro de la Résistance et elle souhaite que ses faits d'arme soient consignés dans une biographie qu'elle paiera puisqu'elle se révèle incapable de la rédiger elle-même ou préfère l'intermédiaire d'un tiers. Au début, le narrateur accepte ce travail mais rapidement, soit parce qu'il ressent quelque chose pour la belle jeune femme, soit' parce que le doute s'insinue en lui, de copiste zélé et de témoin transparent, il devient un enquêteur suspicieux, ce qui n'est guère dans ses habitudes professionnelles, cherchant dans les archives à recouper les informations qu'il reçoit du vieil homme. Cette posture épuise Tescelin dont l'aura est mise en doute par un étranger et risque de déstabiliser la jeune femme qui verrait s'évanouir la figure héroïque et tutélaire du père. La blessure de Tescelin souvent présentée comme héroïque, prend soudain la teinte banale du quotidien. Le narrateur décrit en ne négligeant aucun détail, les phases de cette démarche, entre volonté de laisser quelque chose de soi à sa postérité, le besoin de se confesser au pas de la mort et cette envie de garder pour soi des choses inavouables où la réalité le dispute à la mythomanie. C'est aussi une démarche intime qu'il ne faut pas manquer, un rendez-vous avec la mémoire, une sorte de « jugement dernier » où le principal intéressé est coincé entre la volonté de parler de lui et l'impossibilité de le faire parce que la parole tient à la fois de la psychothérapie et du témoignage, quelque chose de subtil entre l’orgueil et le silence, entre la volonté de se mettre en exergue et celle de rester en retrait parce que simplement cela peut bousculer la légende qu'on a mis tant de temps à tisser soi-même. Ce faisant, le narrateur modifie le contrat qui le lie à Lupuline, il devait en effet écouter et écrire, sans même le souci de la vérité, mais il hésite. Il se produit alors un phénomène étrange où le narrateur se met à imaginer à son tour, porté peut-être par la force des mots, à prêter à son sujet des paroles qu'il n'a jamais prononcées, à entériner des actions qu'il sait fausses. Alors ce dernier, désireux sans doute d'êtres moins anonyme dans cette guerre invite la narrateur à lui parler de son père, un authentique Résistant oublié, entouré lui aussi de cette aura et qu’inconsciemment le biographe va rechercher à travers l'histoire de Tescelin.
Ce prétexte romancé évoque ceux qui ont traversé cette période de l'histoire, souvent sur la pointe des pieds et d'une manière anonyme et qui souffrent, dans leur for intérieur, de n'avoir pas eu une attitude héroïque. Alors, parce que le temps a passé, parce que l’imagination a peu à peu pris la place de la réalité et qu'il fallait à tout prix masquer les tiédeurs et peut-être les compromissions de l'époque, les intéressés, tissant autour d'eux le mystère ou au contraire l'auto encensement, se sont enveloppés dans l'étoffe du héro que tous les membres de la famille et les amis se font un devoir de célébrer. La fasciation de sa fille pour cette homme était telle cet homme était elle qu'elle allait même jusqu'à s'identifier à lui. Ils furent nombreux les Résistants de la dernière heure, ces combattants de la Libération quand il n'y avait plus de danger, ce qui met en lumière un de ces travers incontournables de la triste espèce humaine à laquelle nous appartenons tous. Ils ont trouvé dans un ultime regain de courage l'occasion de se racheter. Dès lors ce qui devait être un panégyrique atteint bizarrement son but, c'est à dire que l'ouvrage est imprimé et conforte l'image de Tescelin, le narrateur n'ayant pas le courage de dégonfler le mythe, coincé entre l'attirance qu'il éprouve pour Lupuline et sa volonté de porter un témoignage qui se veut véridique. Ainsi le biographe va-t-il rentrer dans son rôle initial, devenir écrivain, créateur à l'imagination féconde pour ne rien gâcher de l’univers artificiel de cet homme et de l'image que sa fille en a. C'est une manière, certes un peu différente, d’être à son tour un véritable menteur, autant au nom de la création littéraire que de sa volonté d'entretenir quelque chose de fictif, une manière d'apporter du bonheur avec sa plume et avec son talent au lieu d'être celui qui fourrage dans une plaie ouverte. Ainsi mêle-t-il la réalité et l'imaginaire avec des mots, retisse-t-il une légende, en rendant hommage à ceux qui sont morts pour la liberté parce que la Camarde leur avait donné rendez-vous et en y invitant ceux qui, comme Tescelin, ont survécu sans même avoir rien fait pour cela, ceux qui ont regardé de loin en évitant de mêler leur sang et leur sueur aux actes de Résistance. Retranscrire, même faussement, une réalité lentement tissée année après année, lui donner par l'écrit, par le texte imprimé sous forme de livre, une sorte de dimension authentique, entériner des actes courageux qui n'ont jamais existé, telle va donc être l'action du narrateur.
J'avoue que j'ai longtemps hésité face à ce livre et cette propension qu'ont ceux qui ne sont rien et qui le savent, à en admirer d'autres qui nagent eux-même en plein fantasme, même si tout cela est faux. Pourtant Tescelin est presque soulagé que la vérité éclate avant sa mort et qu''il soit lui-même l'artisan de cette confession. C'est un peu comme s'il s'allégeait d'un poids devenu soudain trop lourd et qu'il trouve dans l'initiative spontanée de sa fille l'occasion de remettre les choses à leur vraie place... Fini chef de réseau combatif, le héro courageux qui avait dédaigné les honneurs et voici la vraie image de cet homme, tiède et peut-être résigné dans ce pays vaincu où il a, comme tant d'autres, réussi à survivre. Il choisit lui-même et j'y voit aussi la marque d'un certain courage.
J'ai aimé ce roman autant par le style simple, fait de phrases courtes avec lesquelles il est écrit que par les thèmes qu'il traite.
© Hervé GAUTIER – Février 2017. [http://hervegautier.e-monsite.comll
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