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la feuille volante

Trois enquêtes du commissaire Berté

N° 1553 - Juin 2021

 

Tre indagini del commissario Berté (trois enquêtes du commissaire Berté) - Emilio Martini – TEA.

 

Le commissaire, c'est Gigi Berté. Il est d'origine calabraise mais vient de Milan et, dans la première partie (la Regina del Catrame – La reine du goudron) a été muté à la suite d'une affaire pas très claire dont nous ne saurons rien à Lungariva en Ligurie, une de ces villes balnéaires pleines de touristes en été et vides en hiver. Il regrette Milan comme il regrette ses collègues et ses amis qui attendent son retour. Dans son nouveau commissariat où il n'est pas vraiment accepté, on le prend pour un "terrone", un italien du sud, à cause de sa peau mat et de ses cheveux crépus et longs, pas vraiment l’archétype du policier classique. Comme beaucoup de flics il vit séparé mais pense toujours à Patty, son ex-compagne qu'il regrette. Il habite, en attendant mieux, à la pension Aurora, tenue par Marzia, une femme légèrement en surpoids, pas vraiment l'idée qu'il se fait de l'érotisme mais avec qui il se découvre des atomes crochus à cause de ses haïkus et de ses douceurs. Elle s'ennuie un peu sans son mari, capitaine au long cours. Gigi, ce n'est vraiment pas un flic comme les autres mais il ne parle jamais de son secret à personne sauf à Marzia : il écrit des histoires inédits un peu surréalistes et ces écrits sont une sorte de thérapie autant qu'une révolte contre l'injustice et les choses qu'il rencontre au quotidien. C'est aussi peut-être pour exorciser ses problèmes personnels, son éloignement de Milan, son désir des femmes ou simplement s'abandonner au seul plaisir d'écrire. Chacune de ses trois enquêtes nous donne à voir une facette de son talent créatif. Pour sa première affaire dans ce nouveau poste, la réalité va un peu dépasser la fiction et pour la résoudre il aura besoin de sa compétence de policier mais aussi son imagination d'écrivain. En effet, sur une plage, on a trouvé le cadavre d'une femme, Lidia Angelini dite "La reine" la soixantaine, le crâne défoncé, le visage balafré avec des taches de goudron sur les jambes. L'enquête s'oriente sur la vie sentimentale mouvementée de la victime.

Dans le deuxième texte (Farfalla nera – Papillon noir), Berté découvre une célébrité locale, Adeleide Groppini, professeure et directrice du prestigieux lycée San Giorgo de Gênes, retrouvée le crâne défoncé près d'une poubelle. Il ne tardera pas à s'apercevoir que sa vie a quelques connotations avec la sienne mais aussi avec de nombreux côtés sombres. Cette enquête, comme d'ailleurs les autres sont menées dans une atmosphère d'hypocrisie, de respectabilité, de vengeance, de trahison, c'est à dire l'ordinaire de l'espèce humaine.

Pour cette troisième affaire (Chiodo fisso- idée fixe), il n'est plus à Lungariva mais à Milan où il est revenu pour quelques jours de vacances où bien entendu il retrouve de vieux amis dont Valerio Brivio, un copain d'enfance avec qui il a partagé jadis bien des rêves d'avenir. Ce dernier a la gorge tranchée après qu'une femme l'a menacé de mort lors d'une visite dans la galerie d'art Brerat. Il va évidemment enquêter mais là il n'est pas dans sa circonscription, même s'il reste un flic désireux d'aider ses collègues à enquêter et surtout à faire la lumière sur la mort de son ami. Pour autant les indices sont minces, une fausse piste toujours possible à cause de son imagination et des apparences, de sa relative impuissance solitaire face à la noirceur du monde... et il ne sera pas au bout de ses surprises. Cela aura bizarrement pour effet de l'inviter à faire le point sur sa vie personnelle et sentimentale, de lui révéler qu'il n'est plus vraiment fait pour la vie dans les grandes villes mais aussi que les années ont passé et qu'il a vieilli. Au cours de roman, notre commissaire se révèle être un être tourmenté, solitaire, plein de nostalgie et désillusions sur l'amitié, les amours impossibles.

Ce commissaire est un peu spécial, solitaire, intuitif. Dans ces trois affaires les meurtres tournent autour des femmes. Il en rêve, les désire mais demeurent assez inaccessibles. Il me plaît bien dans sa manière d'aborder les choses, dans sa façon d'être, un peu marginal, dans l'intérêt qu'il porte à la cuisine mais aussi dans la pratique de l'écriture, une manière d'exorciser les choses de cette vie. A titre personnel, j'en suis à un moment de ma vie où, dans cet exercice, je ne suis plus très sûr de la réalité cathartique des mots, mais peu importe, c'est toujours une manière de réaction intéressante face à la vie qui est loin d'être aussi belle qu'on veut bien nous le faire croire.

Ces trois nouvelles ont été déjà publiées séparément mais sont réunies ici dans ce recueil. Il aussi faut dire un mot de l'auteur. Sous ce nom qui ressemble bien à un pseudonyme, se cachent deux femmes, deux sœurs, Elena et Michela Martignoni, Milanaises et amoureuses de la Ligurie qui ont déjà écrit de nombreux romans historiques. Une façon de rester dans l'ombre qui contraste avec l'envie de lumière bien dans l'air du temps.

J'ai lu (parfois à haute voix) cet ouvrage inconnu de moi auparavant, en italien pour la beauté de la langue, pour son apprentissage, mais aussi parce que, à ma connaissance, il n'est pas (encore) traduit en français.

©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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