Apprendre à finir
- Par hervegautier
- Le 05/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
- 2 commentaires
N°1730 – Avril 2023
Apprendre à finir – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
La voix de ce monologue c’est celle d’une femme blessée dont le mari, après un accident de voiture, est paralysé et revient chez lui après une hospitalisation. C’est un couple déjà vieux, la fille aînée est mariée et deux adolescents sont encore au foyer. Elle lui a fait de la place dans leur petite maison, s’occupe de lui avec une attention de tous les instants, avec dévouement et amour et se consacre principalement à lui. Elle sait qu’il remarchera mais qu’il faudra du temps, elle accepte cela avec abnégation mais cette perspective lui permet de faire des projets de voyages avec lui, accepte d’aller faire des ménages pour rendre cela possible, l’immobilisation de son mari compromettant l’équilibre financier du ménage. C’est un peu comme si elle récupérait cet homme, certes diminué, mais qui revenait au foyer, comme si elle cherchait à oublier ce qu’avait été leur vie d’avant l’accident, faite d’invectives, d’insultes, d’hostilités et même de coups de sa part à elle et dont leurs enfants meurtris, désemparés et dégoûtés de leurs parents, avaient été les témoins, comme si cette tranche de vie n’avait jamais existé, comme si cette ambiance délétère était imaginaire, comme si cet homme au passé un peu secret, fait de souffrances dues à la guerre, de doutes et de chômage n’était pas allé chercher dans d’autres bras un bonheur qu’il savait impossible chez lui, comme si elle n’avait jamais été jalouse et agressive. Elle était trompée, le savait et l’acceptait, impuissante à s’opposer à cet adultère.
Maintenant, pour elle c’est une véritable renaissance, avec une volonté de chaque instant de lui témoigner son amour par de petits gestes dévoués du quotidien et, après avoir été désespérée, agressive même, elle revit de l’avoir retrouvé et ce d’autant plus qu’il est coincé chez lui. Elle veut donc lui faire oublier cette maîtresse, cherchant intimement les raisons de cet abandon, en éprouvant même de la culpabilité, se présentant comme une épouse attentive, patiente, absolutoire, tentant d’apprendre à finir cette histoire d’amour de contrebande pour en recommencer une autre avec lui et effacer cette passade, de se poser en garante de la famille. Pourtant tout avait bien commencé entre eux, mais dégénéra très vite, imperceptiblement, sous les coups du quotidien. Elle se présente comme une femme courageuse, patiente, honnête, pleine de sollicitudes face aux erreurs passées de ce mari qui grâce à elle aujourd’hui revit. C’est un peu comme si elle choisissait d’oublier ses rancœurs, sa soif de vengeance, l’ éventualité d’une reprise de cette relation adultère, pour un retour à une vie de famille apaisée, pour que les choses rentrent dans l’ordre, reviennent à une place qu’elles n’auraient jamais dû quitter et peut-être un nouvel amour avec lui.
Lui n’a rien de contrit, de repentant, au contraire, il est bizarrement silencieux comme s’il opposait à ses bons soins une attitude bizarrement indifférente voire négative. C’est à peine s’il prend la parole, se félicite de ses progrès, se réapproprie son entourage, son quartier. Il n’est pas douteux qu’il a de la chance d’être ainsi cocooné, d’être chez lui, avec sa femme aux petits soins. Il vit peut-être mal, comme un reproche , une honte ou une vengeance intime cette sollicitude face à son adultère passé.
Son attitude à elle est peut-être inspirée par l’amour mais j‘y vois une forme d’égoïsme, une manière de se protéger elle-même mais aussi peut-être une opportunité, une dernière chance qu’il ne faut pas laisser passer pour une meilleure qualité de vie commune. Elle envisage même de lui pardonner, d’oublier son orgueil et sa résignation passée et de lutter dans les plus petits gestes du quotidien dans ce seul but et invite même un de ses fils à adopter son attitude. Toute cette posture est évidemment méritoire et porteuse d’avenir pour eux mais j’avoue aussi que je partage ses doutes pour l’avenir, inopportunité des voyages qui les eût réunit, la menace de la reprise de cette relation extraconjugale parce que, malgré tous ses efforts pour paraître plus jeune et plus désirable, l’ombre de l’autre femme qui l’obsède.
Le livre refermé, ce roman me laisse pourtant quelque peu perplexe par les sujets qu’ il soulève, l’amour entre les êtres qui est fragile, le pardon qui est malgré tout difficile, l’oubli, les compromis voire les compromissions, les mensonges qu’on se fait à soi-même pour enjoliver le présent, la honte d’avoir été trompé et aussi de s’être tromper soi-même, d’avoir vu sa confiance trahie et son impuissance à réagir, de connaître les regrets et les remords, les doutes qui empoisonnent le présent et hypothèquent l’avenir, l’hypocrisie qui force à ne rien voir ou à tout supporter, le sentiment d’injustice de voir comment a été récompensé chaque moment d’abnégation passée, la certitude qu’on est plus rien pour celui qu’on a choisi et sa volonté de tourner la page, de passer à autre chose, l’évidence d’être partagé entre la crainte de son départ définitif et la volonté qu’il parte pour que les choses soient enfin claires, que tout ce qu’on avait imaginé s’effondre, la certitude que leur passé destructeur sera toujours le plus fort.
J’apprécie cet auteur pour son style à la fois simple, dénué d’artifices littéraires, parfois brusque, plein d ‘émotions mais aussi pour les thèmes humains qu’il a choisis et qu’il traite à la fois avec humanité et humilité. C’est toujours pour moi un bon moment de lecture mais aussi de réflexion.
Commentaires
-
- 1. Laurent Le 14/05/2023
Alors en effet je ne le lirai que ta critique.
Ce livre me hurle à la G…e
Trop de similitude, je vois d’ailleurs la violence non dans l’adultère, mais dans une haine incommensurable qu’il lui voue ( je n’ai lu que 20 pages) certainement ce n’est pas aussi simple, mais je ne vais pas continuer et te remercie de ta critique, j’ai trop peur d’assister à un genre d’histoire comme dans le film « Le Chat » avec ( s.Signoret que je ne supporte pas)-
- hervegautierLe 14/05/2023
J'ai toujours été frappé par le fait qu'on se marie en croyant, ou en faisant semblant de croire, que cela durera toute la vie. L'amour comme toute les choses humaines est fongible et consomptible, souvent d'ailleurs plus que le reste de ces choses humaines. Alors commencent les compromis et plus souvent les compromissions, avec l'espoir que cela s'arrange, la volonté de durer dans le temps, l'hipocrisie, la volonté de regarder ailleurs, en se disant que c'est mieux chez les autres et puis qu'on est libre ... Alors pourquoi pas? Tout ça pour ça! Que reste-t-il de tout cela quand la Camarde se présentera?
Ajouter un commentaire