Première neige sur le Mont Fuji
- Par hervegautier
- Le 09/01/2018
- Dans Yasunari Kawabata
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La Feuille Volante n° 1202
Première neige sur le Mont Fuji – Yasunari Kawabata [1899-1972]– Albin Michel.
Traduit du japonais par Cécile Sakai.
Je dois avouer que je suis assez peu versé dans la culture et la littérature japonaises, aussi bien ai-je lu ce recueil de ces six courtes nouvelles, écrites entre 1952 et 1960, comme une découverte de cet écrivain qui fut Prix Nobel de littérature en 1968.
L'art de la nouvelle est difficile et colliger des textes en vue de leur publication est un exercice délicat qui ne procède ni du hasard ni de l'humeur passagère. D'autre part, avoir entre les mains le livre d'un auteur qui a été consacré par le Prix Nobel de littérature m'impose des réflexions personnelles d'autant plus que ma lecture est une découverte. Le livre refermé, j'avoue être un peu circonspect face à ces textes d'où se dégagent des thèmes qui ne procèdent pas, dans le cas de Kawabata, de la simple fiction mais ont une connotation nettement autobiographique et personnelle puisque, comme tout écrivain, il puise dans sa vie et ses souvenirs la substance même de son œuvre. Sous sa plume, comme un exorcisme, reviennent ses obsessions, ses fantasmes qu'il extériorise et matérialise avec des mots, des situations imaginées qui, parfois malgré lui peut-être, lui font plus facilement supporter ses épreuves et ses craintes.
Il y a chez lui une hantise de la guerre et sûrement du traumatisme d'Hiroshima, des séparations qu'elle entraîne et avec elle la solitude définitive, des couples qui se défont à cause d'elle, l'histoire de vies qui auraient pu être belles mais qu'elle a bouleversées. Cette rupture dans leur lien sentimental évoque peut-être un épisode de sa propre vie, la mort aussi, et singulièrement celle d'un enfant, parce qu'ainsi l'avenir s'effondre. Cette lecture attentive me donne également à penser que les symboliques n'en sont pas absentes, celle de l'eau d'un établissement de bains où se retrouvent deux anciens amants que la vie a séparés(« Première neige sur le Mont Fuji »). Ils tenteront par le bain, comme un rituel, de se débarrasser de ce passé délétère mais n'y parviendront pas et repartiront chacun de leur côté, illustrant ainsi une pensée d'Albert Camus selon laquelle on ne peut connaître à l'âge adulte les joies qui ont enchanté notre jeunesse. Même la présence de la montagne sacrée en pointillés, n'y fera rien. Le passé est bien l'idée maîtresse de cette anthologie.
Il me semble qu'il y a aussi une évocation de la difficulté d'écrire pour un écrivain, d'exprimer ses sentiments avec des mots. Ce thème me paraît être abordé dans cette nouvelle (« En silence ») qui met un scène un vieil écrivain qu'une attaque empêche définitivement de s'exprimer par oral ou par écrit. C'est non seulement ces périodes de sécheresse créatives, parfois définitives, qui menacent l’auteur qui sont abordées ici, mais aussi peut-être la difficulté définitive d'exprimer ses émotions, de mettre des mots sur ses maux ou peut-être l'ébauche d'une des sources cachées de l'écriture qu'on peut analyser comme « la mémoire héréditaire », une forme particulière de l'inspiration. Le temps qui passe, vu à travers le très japonais rythme de la nature et des saisons, et avec lui la joie des premières années, l'amour évanoui, la jeunesse définitivement enfuie et la mort à venir, sont des thèmes également abordés à travers la présence du fantôme d'une femme qui accompagne le visiteur du vieil homme (« En silence ») ou celui de cette autre vieille grand-mère qu'il rencontre en revenant dans son village d'enfance longtemps après l'avoir quitté(« Terre natale ») ? Est-il obsédé par la famille et par sa fragilité, lui qui a très tôt été orphelin de père et de mère, par les présences féminines, (sa mère, sa sœur et sa grand-mère) qui ont disparu prématurément de sa vie, par la fidélité entre époux, par l'adultère, par la trahison d'autant plus injuste qu'elle vient d'un proche (« Goutte de pluie »), par le suicide qu'il choisira lui-même pour mettre fin à sa vie ? D'autres nouvelles, comme « Une rangée d'arbres » veulent sans doute souligner la fuite du temps et son action sur les choses, le poids du passé tandis que « La jeune fille et son odeur » insiste sur l'innocence des enfants qui souffrent des méfaits perpétrés par les adultes.
La lecture de ses nouvelles me laisse quelque peu perplexe, plus angoissé que vraiment passionné par ma découverte, étonné peut-être par le style très épuré, par une esthétique différente de la nôtre
© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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