Barcelona
- Par hervegautier
- Le 04/06/2016
- Dans Daniel Sanchez Pardos
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La Feuille Volante n°1047– Juin 2016
BARCELONA – Daniel Sanchez Pardos – Presses de la Cité.
Traduit de l'espagnol par Marianne Millon.
Nous sommes en 1874 à Barcelone, une ville mystérieuse, à la fois vivante, révolutionnaire, imprévisible et bouillonnante où Gabriel Camarasa vient de revenir après de six longues années d'exil à Londres pour s’inscrire dans une école d'architecture. Il fait la connaissance d'un jeune homme, étudiant comme lui : Antoni Gaudí, féru de spiritisme et de photographie, des projets plein la tête... Nous voyons les deux jeunes hommes devenus amis déambuler dans cette ville, dans ses bas-fonds comme dans ses mondanités, avec en arrière-plan un incendie prétendument criminel, une polémique politicienne au terme de laquelle la famille Camarasa, propriétaire du journal les « Nouvelles illustrées » serait revenue pour renverser la République et restaurer la royauté d'Alphonse XII. Des personnages émergent, Fiona Begg, l'illustratrice principale du journal et détective d'occasion (mais pas seulement), ancien amour de Gabriel et qui fascine aussi Antoni, l'énigmatique journaliste Victor Sanmartin, Sempronio, le père de Gabriel qui semble cultiver le secret, Eduardo Anreu, officiellement marchand d'art ruiné, émergeant du passé avec un scandale à propos d'une photo truquée, Gaudí lui-même, non moins mystérieux dans ses pratiques et fréquentations, Gabriel qui, dans tout cela fait montre d'une grande naïveté ... Quand Anreu est découvert assassiné et que tout accuse Sempronio, ce roman prend la dimension d'un thriller historique, haletant et passionnant où les rebondissements le disputent aux fausses pistes, où les tripotages succèdent au chantage, à l'utopie, à la conspiration politique, à l'anarchisme, à la drogue, aux rendez-vous nocturnes inexpliqués, aux manipulations, distillant ainsi un suspense entretenu par Antoni, sorte de dandy dont le rôle se révèle de plus en plus flou comme chef d'un clan de délinquants, coutumiers de trafics en tous genres mais pas uniquement. Lui-même se révèle un redoutable enquêteur très au fait de la situation, ce qui est inattendu pour un étudiant en architecture venu de la campagne de Tarragone. La mère de Gabriel, Lavinia, quitte à cette occasion son rôle d’épouse soumise et effacée pour faire face aux événements, quant à Gabriel, il est invité à sortir de son oisiveté coutumière, de sa position de « maillon faible » dans cette famille jusqu'alors apparemment bourgeoise. Cet assassinat qui ne sera d'ailleurs pas le seul, permet à chacun de se révéler, de laisser libre cours à son imagination où à ses aspirations face aux interrogations et aux événements mais aussi de prendre conscience des réalités, de se souvenir du passé et de découvrir l'autre qu'il croyait connaître ; bref les apparences, que Gabriel croyait immuables, n'en sortent pas indemnes. Au fur à mesure des chapitres, le lecteur découvre les arcanes d'un roman qui se déroule sur fond d'agitation politique, d'imbroglio policier et judiciaire, de luttes d'influence, de conflits d'intérêts dans ce pays « de poudre et d'encens, de tricornes et de clairons » où la restauration monarchique des Bourbon parait être la seule solution face à la déliquescence de l'éphémère 1° République. Les simples mendiants ont leur importance tout comme les ombres qui peuplent les quartiers interlopes de cette ville décidément bien mystérieuse et qui fourmille d'espions et de complices à la solde d'Antoni.
C'est vrai que nous sommes dans une fiction qui autorise tout, c'est vrai aussi que la jeunesse justifie des positions parfois extrémistes que l'age adulte fait parfois évoluer, mais j'avoue que je n’imaginais pas Gaudí dans ce costume, lui dont l'histoire nous a légué l'image d'un homme valétudinaire et un peu utopique, à l'aspect modeste voire négligé, le catholique fervent et même mystique, l'architecte moderniste, génial et visionnaire qui imposa son talent créatif dans cette ville exceptionnelle, conférant un souffle nouveau à l'art, le futur bâtisseur de la Sagrada Familia … Avoir choisi de de le faire revire, même sous ces traits inattendus, m'a bien plu.
Le texte est agréable à lire, bien écrit, vivant (le texte est écrit à la première personne), plein de descriptions minutieuses et parfois poétiques, l'intrigue est bien construite et je sais gré à Babelio, dans le cadre de « masse Critique », et aux éditions Presses de la cité de m'avoir procuré ce bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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