la feuille volante

Les confidences

 

La Feuille Volante n° 1364 Juillet 2019.

 

Les confidences – Marie Nimier – Gallimard.

 

L’univers créatif d’un écrivain s’inscrit soit dans la fiction, soit dans l’autobiographie. La fiction est du domaine de l’imaginaire qui, soit fonctionne et emmène son lecteur consentant dans un ailleurs inattendu, soit dérape complètement, le dépaysement n’est pas au rendez-vous et on passe complètement à côté. Avec l’autobiographie, l’auteur puise dans sa propre vie la nourriture de son œuvre et cela peut tourner facilement au solipsisme. Restent les témoignages des autres. Ici ils sont recueillis anonymement par l’auteure et forment 48 petits récits. A la suite d’une séries de petites annonces judicieusement placées, la population d’une ville est informée qu’une romancière recueillera des « confidences » intimes de ceux qui le souhaitent en vue de la rédaction éventuelle d’une œuvre. Pour que l’anonymat soit respecté, les interventions se feront sur un site dédié ou sur rendez-vous dans un appartement meublé très sommairement et prêté par la mairie où, pour préserver l’anonymat, la femme écoutera, les yeux bandés, le récit des intervenants qui se présenteront. L’idée est plutôt originale et Marie Nimier n’intervient pas directement, se contentant d’être « La reine du silence » en écoutant dans la solitude du lieu et au hasard ceux qui lui parlent soit d’une blessure d’enfance, d’un traumatisme assez profond pour qu’il leur pourrisse la vie, soit évoquent des mots qui leur ont échappés ou qu’ils n’ont pas su ou pas oser dire au bon moment, des obsessions, des regrets, des remords, des mensonges, des fantasmes, des échecs non assumés, des obs intimes qu’on ne confie que dans l’anonymat, de petits affronts ou de grandes trahisons qu’on ne pardonnera ou ne se pardonnera jamais, des amours avortées, jamais oubliées, toujours regrettées, autant d’étapes ordinaires dans leur vie, autant de moments de cet écume des jours qui parfois provoquent le vertige quand on les évoque et qui donnent la mesure du temps qui passe. Cette expérience, qui n’est pour elle pas sans danger, peut provoquer des rencontres inattendues ou improbables, la plupart de ces gens ordinaires livrent avec une grande économie de mots une parcelle de leur existence, des choses simples mais qui les obsèdent parce nous avons tous notre croix à porter. Parfois on s’excuse pour le dérangement, parfois il se trouve des gens pour tourner en dérision cette expérimentation qui pourtant déplace des patients d’un jour qui la vivent comme un appel au secours ou une bouteille lancée à la mer. Cela tient, si l’on veut, de la confession qui allège l’âme, mais sans la dimension religieuse du pardon divin. Cette ouverture sur un autre monde met aussi en évidence pour elle la réalité de son impuissance, de sa désolation de son malaise face à une brûlante, à une détresse.

Qu’en reste-t-il pour les intervenants ? Nous n’en savons que peu de choses puisqu’il n’y a que peu de commentaires de la part de l’auteure, cette dernière faisant confiance à sa mémoire se contentant d’un rôle de scribe qui ne juge personne. Sont-ils apaisés, satisfaits de s’être débarrasser d’une obsession, contents d‘avoir rencontrer un auteur connu, même s’ils ne repartent pas avec un de ses ouvrages dédicacé et fiers peut-être de l’éventuel espoir de se retrouver dans un futur roman et ainsi d’ avoir contribué ne serait-ce qu’un peu, à la création d’une œuvre d’art ? Parviennent-ils réellement à se délivrer par la parole d’autant plus anonyme que celle qui la recueille a les yeux bandés? Après un drame il est d’usage de consulter un psychiatre ou de mettre en place des cellules psychologiques pour aider ceux qui ont été traumatisés à se libérer. C’est un peu la même démarche sauf qu’ici, le traumatisme peut remonter à des années et gangrener la vie de celui qu’il hante. Ces gens viennent spontanément se confier à cette femme dont ils ignorent tout, ce qui donne la mesure de la condition humaine mais surtout celle de la solitude de la société dans laquelle nous vivons. Cela peut tenir du soliloque et la puissance cathartique des mots peut agir comme une soupape de sûreté qui sauvegarde la vie ou la rend plus acceptable malgré la honte, le dégoût ou le mépris de soi.

Les interventions dont elle a eu connaissance étaient pour la plupart orales mais c’est une confession écrite, emprisonnée dans un cahier à spirale, gouvernée par la présence tutélaire paternelle et dont nous ne saurons rien, et d’autant plus étrange qu’elle est agressive et assortie d’une proposition inattendue qui, pour elle, va bouleverser l’ordre des choses. Dès lors l’auteure ne se contente pas de rendre compte de toutes ces témoignages anonymes, elle y va aussi de sa propre confidence, comme portée par tout ce qu’elle vient d’entendre et évoque son père, l’écrivain Roger Nimier, mort à l’âge de 36 ans alors qu’elle n’est elle-même qu’une enfant de 5 ans. Elle en parle comme d’un absent définitivement silencieux, une énigme, évoque le vide que sa disparition brutale a creusé en elle, comme d’un étranger aussi. Il est celui qu’on attend mais qui ne viendra pas. Dès lors l’écriture pour elle reprend sa fonction exploratrice du souvenir, s’impose comme un exorcisme à la fois créateur et libérateur. Peut-être ou peut-être pas !

©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

 

 
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