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la feuille volante

Une année sous silence

N°1646– Juin 2022

 

Une année sous silence – Jean-Paul Dubois – Éditions Points.

 

Dès les premières pages de ce roman, il m’est revenu en mémoire cette citation de François Nourissier « Les hommes et les femmes qui sont faits l’ un pour l’ autre n’existent pas » C’est sans doute une évidence, même si elle va à l’encontre de toutes les choses fausses qu’on débite à l’envi à propos du mariage mais que les événements se chargent de contredire.

Entre Paul et Anna, la cinquantaine tous les deux, le mariage n’est qu’un décor et on sent bien qu’entre eux rien de subsiste de ce qui jadis les a uni ; mal marié, il se sent de plus en plus étranger dans sa propre maison mais continue sa vie et l’idée de la mort s’installe petit à petit. C’est cependant Anna qui choisit le suicide, peut-être associé à la folie. Dès lors on pourrait imaginer Paul libéré et profitant de la nouvelle vie qui s’offre à lui comme une revanche. Que nenni, c’est la solitude qu’il adopte et sa réaction est une mélange de timidité, de procrastination, de regrets, de fantasmes, de coups de folie névrotiques et parfois libidineux, de fatalisme, une sorte de retrait définitif du monde où il n’aurait pas sa place. En réalité, je l’ai ressenti comme un malheureux sur qui s’acharne le destin et qui, quoiqu’il fasse, sera toujours la proie de la malchance. Il continue de vivre sa vie comme une épreuve qu’il n’a pas choisie mais qu’il subit en silence, se disant que, heureusement, tout cela aura une fin qu’il attend en se demandant quand et comment elle arrivera.

Il est obnubilé par son sexe, fasciné par le corps des femmes qui se confond dans son esprit dans l’image de la mère et de la femme, donnant à leurs seins deux fonctions bien différentes, la nourriture pour l’enfant et le plaisir pour l’homme. Il est aussi obsédé par la mort, celle des autres, à la quelle il assiste avec un mélange de d’indifférence et d’attirance et qui confine par moments à la nécrophilie. Il ne se contente pas de vivre en dehors du monde à la manière d’un délirant, il se venge en quelque sorte sur la société en choisissant des représentants emblématiques, un prêtre débauché et parjure qu’il espionne et tracasse, un psychiatre qu’il harcèle et mystifie. Ils sont l’incarnation de son rejet de la société comme les femmes le sont de son obsession sexuelle. Ils sont aussi l’image de ce qu’il abhorre dans le monde extérieur qu’il refuse, une sorte de manifestation de l’hypocrisie et du mensonge. Pour atteindre son but il se sert de leurs propres armes, la confession et la pseudo-guérison par la parole, ce qui prouve qu’il reste maître du jeu en choisissant, et lui seul, de rompre son silence. Il est aussi tourmenté par le souvenir d’Anna, non que son absence lui pèse, mais il ne manque jamais aucune occasion de régler avec elle, par personnes interposées ou dans le silence de lui-même, tous les comptes qu’il n’a pas eu l’opportunité ou le courage de solder avec elle de son vivant. Il remodèle son histoire et son quotidien personnels à l’aune de sa volonté, même si cela n’est que la manifestation de son imagination malsaine et n’a aucune chance de se réaliser, mais cette démarche atteste qu’il est à la fois conscient mais impuissant devant la réalité.

J’ai retrouvé avec un réel plaisir l’écriture fluide de Jean-Paul Dubois dans ce roman intimiste qui me parait réaliste tel qu’il est présenté. Certes Paul est déprimé, mais avec ce qu’il vit et a vécu, comment ne le serait-il pas ? Tout a foiré dans sa vie, qu’elle soit familiale, amoureuse, personnelle ou professionnelle et si ce séjour psychiatrique dans le silence volontaire a duré une année, il n’a été qu’un intermède dans sa vie dévastée et quand il croisera le regard vide de la camarde ce sera une libération. Il entre de plain-pied dans la folie délirante et criminelle certes, mais celle-ci succède à une période de lucidité, de prise de conscience du dérisoire, du transitoire et surtout de l’ordinaire de sa vie, qu’il exorcise comme il peut par cette période de silence.

Ce roman me paraît non seulement juste mais aussi correspondre à l’authentique perception de l’espèce humaine.

©Hervé GAUTIER – http://hervegautier.e-monsite.com

 
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