la feuille volante

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N°1734 – Avril 2023

 

Continuer – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

 

Sibylle Ossokyne, fille d’émigrés russes, la quarantaine fragile, dont l‘avenir était prometteur mais s’est transformé en un lamentable échec, voyage à cheval avec son fils Samuel dans les montagnes du Kirghizistan, c’est à dire au milieu de nulle part. Ils ne sont pas là par hasard. Elle, mère divorcée et seule, élevant difficilement son fils adolescent, a considéré que cette expérience ne pouvait-être qu’être bénéfique pour son enfant unique en décrochage scolaire, en rupture familiale et au bord de la délinquance, qui estime que tout lui est permis, excès comme rébellions, avec préjugés racistes, dominateurs, homophobes ... Elle a pensé que ce voyage, en bousculant les choses de leur vie au point de les mettre en danger, serait libérateur pour tous les deux et serait en tout cas pour Samuel plus bénéfique qu’un séjour dans un pensionnat catholique comme le suggère son père. A chaque fois que ce dernier apparaît il réveille les tensions et catalyse les oppositions, ce qui est néfaste pour le fils et sa mère. Samuel ne voit pas l’intérêt de cette chevauchée, se rebiffe contre cette forme de fuite, contre ce itinéraire qui se veut initiatique et qui sera peut-être celui de la dernière chance. Le regard qu’il porte sur sa mère fait montre d’une profonde incompréhension qui s’affirmera au cours du voyage. Sibylle tient une sorte de journal intime, un carnet noir sur lequel elle note ses impressions au jour le jour, une sorte de bouée à laquelle elle s’accroche. Cela deviendra peut-être un roman comme elle aime en écrire ou peut-être rien.

Depuis Sénèque nous savons que voyager n’est pas guérir son âme. Cet itinéraire incertain voulu par Sibylle dans ce pays étranger apparaît à son fils comme un parcours cahoteux et incertain comme une fuite inutile, antidote de la peur en général et surtout dangereux parce qu’il est révélateur d’un malaise profond qui touche à son éducation. Non seulement le divorce de ses parents l’a privé d’un père qui, même s’il n’est qu’un être égoïste, lâche et menteur, absent de la vie de son fils n’en fait pas moins partie de leur famille, valeur traditionnelle mais qui a été détruite par ses soins. De plus l’exemple que Sibylle lui a donné se révèle néfaste, elle qui est depuis longtemps familière de l’échec à titre personnel et en matière d’éducation de sin fils en particulier. Cette posture au regard de ce fiasco constant fera naître une forme de culpabilité qui se retournera contre elle. Cette étrange épopée restera en suspens avec peut-être un espoir rendu fragile par l’avenir toujours incertain.

 

Comme je l’ai déjà mentionné, je sais gré à l’auteur d’être le miroir de son temps, de parler de la solitude qui gangrène nos sociétés jusque dans nos propres familles dans les relations parents-adolescents par essence difficiles et l’incompréhension qui va avec à cause de la différence de génération, de l’hypocrisie qui gouverne nos vies et la bonne conscience qui en découle, de la volonté de bien faire et de l’échec qui souvent en résulte, de dénoncer l’espèce humaine qui n’est pas fréquentable, ce que nous savons puisque nous en faisons tous partie, Elle est minée par l’individualisme, la violence, la haine… De plus, j’aurais toujours un intérêt particulier pour l’étude des personnages par rapport à l’écrivain, pour leur itinéraire interne qui s’opposent à celui qui tient le stylo, qui imposent leur personnalité et l’amènent là où ils le souhaitent. Comme dans la vraie vie les personnages de roman ont une existence propre, une liberté qu’ils entendent faire valoir. Comme dans la vraie vie des choses leur réussissent mais surtout leur échappent … J’aime le style de Laurent Mauvignier, à la fois précis, poétique dans les descriptions, pertinent dans les arguments, un texte qu’on suit passionnément jusqu’au bout. Je note également la performance de l’auteur qui a réussi à nous faire rêver de grands espaces… sans quitter sa feuille blanche, sans quitter son bureau.

 

Alors continuer à écrire comme acte de résilience contre les multiples agressions que cette vie nous réserve, même si ce ne sont que des mots qui ne font qu’attester des échecs qu’elle nous réserv pourquoi pas, mais pas seulement, continuer parce que la vie est là, pleine de surprises et de projets...Peut-être ?

 
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